Enjeux et limites de la culture du résultat : le cas du processus de contrôle fiscal externe à l'administration des impôts



Le ministère du budget a pris, parmi d’autres, une part active au processus de réforme de l’Etat1 sous l’influence du New Public Management venu des pays anglo-saxons2. L’idée est que les services publics doivent pouvoir être gérés comme une entreprise privée et ainsi soumis à des indicateurs de contrôle de performance (AMAR & BERTHIER, 2007), démarche largement soutenue par la LOLF3 et la RGPP4. Le contrôle fiscal, n’échappe pas à cette perspective voulue par le plus haut niveau de l’Etat. Les services de contrôle ont certes opéré depuis l’après guerre une modernisation importante de leurs équipements et de leurs moyens d’action (DJOUHRI, 2010). Mais les processus de réforme en cours tendent à accélérer les mutations en considérant que cette activité comme toute autre est accessible à l’amélioration et à la performance, justifiant pour les pouvoirs publics la mise en place de nombreux indicateurs d’activité5.
Ce faisant, l’administration cherche à réaliser des économies, tout en voulant persuader les parlementaires de son utilité et de son efficacité. Mais cette focalisation sur le financeur (le contribuable représenté) ne répond pas nécessairement aux attentes de l’usager (un service de qualité pour tous) et du citoyen (égalité devant la loi et devant les charges publiques). A cet égard, la mise en œuvre du droit fiscal, comme pour toute organisation publique, poursuit des objectifs variés, répondant à des intérêts dont la conciliation peut être délicate. Le processus relatif aux opérations de contrôle sur place des entreprises -le contrôle fiscal externe, objet de la présente contribution- en donne une image saisissante : des contrôles utiles au budget de l’Etat ou lutte contre la fraude demandant du temps et visant à l’égalité des citoyens ? Rapidité de l’agent en charge du contrôle ou écoute et respect scrupuleux des droits  du contribuable vérifié ? Ceci est source de complexité tant au stade de l’exécution des tâches que du contrôle de celles-ci. Il est en réalité vital pour l’Etat que la confiance de tous soit maintenue dans le système fiscal6. Le contrôle fiscal y contribue de manière emblématique et constitue de ce fait un enjeu majeur.
Dès lors, en la matière, la seule poursuite d’objectifs quantitatifs répond-elle à ces diverses attentes, ou au contraire ne risque-t-elle  pas d’exacerber les contradictions ? Est-elle simplement possible au regard de la spécificité de l’activité de contrôle fiscal externe ?
Ce questionnement se fait d’autant plus pressant, qu’il semble que depuis plusieurs années l’approche portée par l’administration fiscale rime plutôt avec la recherche de performance chiffrée, pouvant à terme alimenter une défiance, voire le refus de l’impôt7. A cet égard, les services en charge du contrôle fiscal sur place font l’objet d’une attention accrue de la part des services centraux et du ministre, en particulier au moyen de nombreuses mesures de l’activité avec pour but d’en améliorer la performance (1.). Cette ambition se heurte à l’ambivalence de ce qui est attendu de l’administration fiscale relativement au processus étudié : égalité –avec une attention particulière au respect des droits et libertés- versus efficacité avec hiérarchisation des objectifs. Mais les difficultés pour le management viennent aussi de l’activité même dont il est attendu un pilotage de performance. Nous montrerons, à cet égard, que la conciliation ne se fait pas aisément entre une approche quantitative –pour un suivi voire une maximisation- et les spécificités inhérentes au contrôle fiscal (2.). Notre contribution n’est pas de montrer en quoi l’administration fiscale se distingue de la bureaucratie professionnelle8 au sens de Mintzberg (1979) mais bien plutôt de construire une revue de la littérature et de la documentation disponibles sur la rencontre entre performance et contrôle fiscal externe.
Cette investigation vise à apporter un éclairage complémentaire par rapport aux recherches déjà nombreuses menées en sciences de gestion concernant le management des organisations publiques (BARTOLI, 2009, p. 63). Il s’agira en effet de souligner qu’un domaine -au moins- du secteur public s’accorde difficilement avec les outils du contrôle de gestion y compris ceux adaptés aux services. Il sera à cet égard intéressant d’observer que le contrôle de gestion pourra donner l’apparence de remplir sa mission, ceci  grâce à une forme de processus auto-réalisateur, i.e. opérant une transformation du contenu des fonctions, lesquelles n’étaient sensées qu’être mesurées. Le prix payé est une forme d’abandon de la complexité et in fine des véritables enjeux du service public rendu par le contrôle fiscal. La question qui se pose alors plus largement est de savoir si les activités juridiques, autrement dit le droit appliqué à des situations concrètes, ne sont pas  appelées à devenir des sous-produits d’un contrôle de gestion habilement mené. L’idée que le dialogue organisations publiques - outils de la gestion n’est pas aisé ne constitue certes pas une nouveauté. Cependant, il nous semble que la rencontre avec le droit pose le problème avec plus d’acuité, car même s’il est toujours question de pouvoir au sein des organisations, la recherche d’efficacité pourra distordre la finalité de justice du droit. La prise en considération de solutions issues du domaine observé ira dans le sens de la recherche d’une nécessaire adaptation des voies d’amélioration proposées par la gestion au processus étudié. 

1. Recherche de l’efficience et standardisation des pratiques des agents


Le contrôle fiscal, spécialement les vérifications de comptabilité réalisées au sein des entreprises, occupe une place spécifique, symbolique, serait-on tenter de dire, au sein du ministère responsable du programme 1569, inclus dans la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». C’est pourquoi, une attention particulière y est portée par la hiérarchie administrative (1.1.). La mesure de l’activité des agents en charge du contrôle fiscal, laquelle n’est pas nouvelle, est rendue d’autant plus indispensable que la réforme de l’Etat et la RGPP sont devenues des priorités des gouvernements successifs, à la recherche d’efficience et d’un contrôle approfondi des comportements (1.2.). Le contrôle de gestion, comme processus interne de mesure et de pilotage de la performance, pénètre ce faisant au cœur de la conduite de l’Etat. Le contrôle fiscal, en raison de d’une culture interne du secret et de la recherche d’un subtil équilibre entre efficacité légitimante et acceptation par les contribuables de l’idée de contrôles approfondis, pourrait s’en trouvé fragilisé.

1.1. La place particulière du contrôle fiscal


Le contrôle fiscal tient une place spécifique dans le paysage administratif qui ne tient pas uniquement au contenu de la mission, mais plutôt au rôle politique important pris par l’impôt (BOUVIER, 2003, p.11)10 au sein des sociétés occidentales notamment, et ce depuis plusieurs siècles. Cette fonction symbolique de l’impôt ne doit pas être négligée car elle est en réalité cruciale. Elle inscrit l’individu dans la collectivité nationale (se sentir citoyen) et donne en même temps une forme concrète au principe d’égalité (DJOUHRI, 2010, p. 25)11.

Par ailleurs, l’impôt est devenu un enjeu stratégique pour les pays occidentaux depuis l’avènement de l’Etat providence impliquant des besoins budgétaires très importants. Pour l’Etat, la collecte de l’impôt est évidemment essentielle : pour l’année 2011, parmi les 876 milliards de prélèvements obligatoires -soit près de 44% du PIB, taux relativement élevé au sein de OCDE - 382 milliards concernent les recettes fiscales nettes, hors prélèvements destinés aux administrations de sécurité sociales (Rapport sur les prélèvements obligatoires annexé au projet de loi de finances pour 2013, p. 7-8). L’importance du contrôle des recettes s’impose avec évidence12, allié à une nécessaire gestion dynamique de la trésorerie. D’où la pertinence de l’objectif consistant à percevoir dès que possible l’impôt légalement dû par les particuliers et par les entreprises.

Cette double dimension, politique (phénomène citoyen) et budgétaire (ressources pour un Etat visant à une justice redistributive) implique nécessairement que l’impôt soit strictement contrôlé - l’acte de contrôle s’en trouvant couvert de toute la charge symbolique- tout en tant respectant une certaine mesure (BOUVIER, 2003, p.153)13. Cependant, il convient de noter que la dimension de contrôle s’est largement amplifiée au cours du XXe siècle du fait de la mise en place des impôts déclaratifs (DJOUHRI, 2010, p. 84)14 et des réorganisations successives des services fiscaux, accompagnées d’importants investissements dans les systèmes informatiques15.
Le contrôle est redouté par le contribuable, à tort ou à raison, tant il est vrai que la puissance de l’administration, fruit de l’histoire, se concrétise particulièrement au travers de cette activité régalienne. Un regard sur les effectifs en donne une image saisissante : près de 117.000 personnes (Rapport DGFiP, 2011, p. 41) dont 5.000 vérificateurs spécialisés pour les contrôles fiscaux en entreprise16, même si en réalité cela ne permet de contrôler sur place que 1,4 % des entreprises françaises chaque année17.

Cet aspect symbolique du contrôle fiscal se retrouve assez naturellement dans d’autres pays occidentaux, à la recherche d’exemplarité et d’efficacité. Ainsi, l’IRS aux USA est doté, pour certaines unités (Criminal Investigation Division – CID-), de pouvoirs importants (mener des perquisitions, des arrestations, port d’armes…) et ce depuis plusieurs décennies18. Le nombre d’investigations menées par le CID pour une année fiscale, est de 5125 selon les derniers chiffres de l’agence américaine. Par ailleurs, sur le continent européen, la Guardia di Finanza, qui réalise une part importante des contrôles sur place (Rapporto Annuale19, 2011), dispose en Italie de prérogatives importantes pour lutter contre la fraude (perquisitions notamment) et maintenir ce faisant la confiance des citoyens20 dans leur système fiscal.
Cette visibilité de l’action de contrôle passe aussi par la commission européenne, laquelle s’attache ces dernières années à soutenir la lutte contre la fraude fiscale (via l’OLAF – Office de lutte ani-fraude), en vue d’éradiquer la fraude à la TVA en particulier.
Cependant, la place particulière du contrôle fiscal s’exprime moins spectaculairement, mais peut être tout aussi efficacement, au travers des réformes des administrations fiscales au sein de plusieurs pays occidentaux, comme le souligne un rapport de 200621 de la chambre de commerce de Paris. La recherche de civisme fiscal –respect volontaire des obligations- est à cet égard mise largement en avant, signe du souci constant des administrations de trouver la bonne mesure tant la perception positive du système par le citoyen est importante pour l’efficacité de l’ensemble.

Aussi, il n’est pas surprenant, pour revenir au cas français, que l’autorité administrative soit très attentive à la place à donner au contrôle fiscal, entre approches prudente, mesurée et efficace. Cela se traduit concrètement de diverses manières, tandis que la lutte contre la fraude demeure la principale  source de légitimité.

D’une part, la réorganisation de l’administration fiscale au niveau des organes centraux, faisant suite à la fusion du  03 avril 2008 entre deux directions générales (DGI et DGCP, c'est-à-dire Impôt et Trésor Public devenus DGFiP), a réservé une place particulière  au contrôle fiscal, l’ayant en quelque sorte sanctuarisé. En effet, la consultation de l’organigramme de la nouvelle DGFiP22 montre que celui-ci se trouve dans une branche dédiée, au sein de la direction de la fiscalité. En octobre 2011, la sous-direction du contrôle fiscal est devenue, discrètement,  le service de contrôle fiscal, prenant par là même un peu de hauteur dans la hiérarchie structurelle de l’administration centrale. Ce mouvement s’est accompagné de la création de la police fiscale23, en 2009, à l’image des agents spéciaux de l’IRS ou de la Guardia di Finanza.
D’autre part, les rapports annuels de la DGFiP mentionnent clairement que la lutte contre la fraude est une priorité du ministre. L’administration assigne généralement à l’activité de contrôle les finalités suivantes : dissuasive, répressive et budgétaire24. Un auteur ajoute une fonction dite de « protection » (DUPOND, 2005, p. 54) 25 et précise, par ailleurs, que la finalité budgétaire est plus discutable (ibid., p. 495). Il nous semble effectivement que le contrôle fiscal a pour principale finalité une réalisation concrète et dynamique du principe d’égalité devant les charges publiques26. Il permet à ce titre d’assurer une concurrence non faussée dans une économie libérale car il serait immoral de donner une prime à celui qui triche27.
De troisième part, plus substantiellement, le ministre a rendu public deux circulaires relatives au contrôle fiscal28. La circulaire concernant « l’évocation des situations fiscales individuelles auprès du ministre » précise qu’il est mis fin à la cellule fiscale du cabinet, les dossiers devant dorénavant être traités systématiquement par les services locaux, soit directement, soit pour instruction à la demande du ministre saisi initialement. Ceci constitue une évolution majeure de la doctrine interne. La lutte contre la fraude, notamment via le contrôle fiscale externe, commande ainsi le respect d’une égalité stricte dans la manière de traiter les dossiers. Cela revient à reconnaître qu’une forme  d’indépendance doit être accordée aux fonctionnaires opérant dans les services déconcentrés. Elle est certainement apparue nécessaire dans un contexte politique particulier afin de redonner confiance aux citoyens dans leur Etat. Il est topique de relever que cela passe par un relâchement, apparent, du lien hiérarchique. La reconnaissance implicite d’une nécessaire indépendance en vue d’une bonne administration, même si elle n’est pas exceptionnelle au sein de la fonction publique, n’est pas si courante. Il semble ainsi que la recherche de performance, à laquelle il n’est nullement renoncé,  puisse être dissociée d’un lien hiérarchique étroit, un management par le chiffre minorant l’intérêt d’un contrôle systématique a priori de tous les actes matériels. De ce contexte, un suivi strict de l’activité du contrôle fiscal sort renforcé, et ce d’autant que les attentes vis à vis du contrôle fiscal sont fortes.

1.2. La mesure de la performance


Au préalable, nous présenterons les principaux outils mis en œuvre pour la recherche de performance publique, notion dont il conviendra de prendre la mesure en vue de mieux saisir la complexité des enjeux (1.2.1.). Puis nous verrons ensuite le cas particulier du contrôle fiscal externe (1.2.2.).

1.2.1.      La recherche de performance par l’Etat et ses outils pour contexte

Il convient en premier lieu de tenter de donner une définition de la performance. Selon BERLAND et DOHOU (2007), c’est : la réalisation des objectifs organisationnels, quelles que soient la nature et la variété de ces objectifs. Cette réalisation peut se comprendre au sens strict (résultat, aboutissement) ou au sens large du  processus qui mène au résultat (action). Cette définition a l’avantage d’une relative simplicité mais celle-ci n’est qu’apparente. En effet, la notion est en réalité complexe, difficilement saisissable dans le secteur public, pour lequel les enjeux sont importants notamment quand il s’agit de construire des indicateurs y relatifs (BEAUVALLET, 2006)29. Des auteurs ont synthétisé la littérature dans ce domaine (CARASSUS et al., 2011) distinguant les approches économiques et les approches par la notion de parties prenantes, cette dernière se référant volontiers à des indicateurs non financiers en vue de piloter la performance.
En tout état de cause, la performance que l’on pourrait dire publique ne se réduit pas à la recherche de productivité (l’efficience), se distinguant en cela de la gestion privée. CARASSUS et al. proposent la définition suivante de la performance publique, avec pour dessein d’opérer une synthèse entre les différentes approches : capacité d'une organisation publique à maîtriser ses ressources humaines, financières et organisationnelles, afin de produire une offre de services publics adaptée, en qualité et quantité, répondant aux besoins de ses parties prenantes et générant des effets durables vis-à-vis de son territoire.

Dans un contexte de recherche de réduction de la dette publique et de promotion de l’idéologie libérale appliquée aux administrations, l’influence de l’approche économique de la performance publique (la baisse des dépenses et l’optimisation des recettes) se fait nécessairement sentir, privilégiant la trilogie pertinence-efficacité-efficience30 (DEMEESTERE, 2005, in CARASSUS, 2011, p. 6), même si réduction des coûts et obtention d’une qualité de service sont bien souvent antinomiques (ibid.). Ces composantes de la performance sont attribuées à des catégories de  parties prenantes spécifiques :
* La pertinence socio-économique (rationalité des choix) est attendue par le citoyen ou l’électeur, celle-ci devant respecter le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques
* La qualité de service –son efficacité- est attendue par l’usager, utilisateur direct des services publics, faisant de nouveau écho au principe d’égalité
* L’efficience est attendue par le contribuable (en tant que financeur)

Nonobstant cette tendance à privilégier le versant économique, fondamentalement, ce sont la légalité et le principe de l’égalité qui structurent (ou devraient structurer) l’action administrative sur le territoire, à la différence d’une entreprise privée qui segmente, hiérarchise, à la recherche d’un profit financier. Le modèle proposé par CARASSUS et al. prend cet aspect en compte, le qualifiant « d’effet » (outcome) de la performance publique (ibid., p. 15)

Cette quête de performance même analysée comme multidimensionnelle et spécifique (CHATELAIN-PONROY, 2008, p. 32), est quoiqu’il en soit devenue emblématique de l’action publique31 et a pour vocation de structurer durablement l’organisation de l’Etat dans un contexte de rationalisation des moyens. Encadré par la LOLF, le budget de l’Etat, acte politique par excellence mais également vecteur de communication, en est la principale chambre d’écho.
La contribution de la LOLF à l’amélioration des performances de l’État repose, en principe, sur deux piliers (BOUVIER, 2010, p. 497) : d’une part une plus grande souplesse de gestion pour les res­ponsables administratifs, et d’autre part  la mise en oeuvre d’une démarche de perfor­mance, permettant de faire passer la gestion publique « d’une logique de moyens, à une logique de résultats » selon la communication étatique en la matière.

Avant la LOLF, les crédits budgétaires étaient cloisonnés, par nature de dépenses (entretien, frais de personnel, loyers…), dans environ 800 chapitres. Depuis, ils sont répartis entre environ 130 programmes associés à des politiques publiques32 (aide au développement, enseignement scolaire du 1er degré…), au sein desquels ils sont fongibles et même si cette fongibilité n’est pas totale, elle facilite la gestion budgétaire. Ainsi les crédits de personnel peuvent par exemple être utilisés pour payer des dépenses d’une autre nature, mais pas l’inverse. La fixation de plafonds d’emplois globaux au niveau de chaque ministère a aussi été un élément de souplesse.

En contrepartie de règles de gestion plus souples, les gestionnaires de programmes budgétaires sont « res­ponsables » des résultats obtenus. Ceux-ci sont mesu­rés par des indicateurs quantitatifs de performance qui correspondent à des objectifs fixés dans les projets annuels de performance.

L’objectif assigné à cette démarche de performance vise finalement à améliorer la qualité des services rendus par l’État et l’efficacité de ses interventions tout en maîtrisant les dépenses publiques.

De nombreux indicateurs de performance, souvent fondés sur des enquêtes de satisfaction auprès des usagers, mesurent la qualité des services publics, mais il reste encore à en faire une synthèse, ce qui pose certes de délicats problèmes méthodo­logiques, et à en examiner l’évolution dans le temps. L’amélioration de la qualité de l’action publique reste donc à démontrer.

Il est intéressant de noter que la Grande Bretagne, pourtant considérée comme pionnière en la matière, semble abandonner progressivement cette politique de gestion par les indicateurs comme le souligne un rapport récent de la Cour des comptes (2011, p. 153, p. 165), tandis que l’Allemagne n’en utilise pas (ibid, p. 153)

Depuis 2007, la révision générale des politiques publiques (RGPP) s’intéresse également à la maîtrise des dépenses de l’Etat et à l’amélioration de la qualité des services publics. Elle a donné lieu à environ 500 décisions pouvant pour la plupart être rangées dans deux grandes catégories : des réorganisations administratives (fusions de services, mutualisation de certaines fonctions…) et des améliorations ponctuelles de la qualité et de la productivité dans les services (par exemple, le développement des communications par Internet avec les usagers dans une administration particulière).

La recherche de performance s’étend aussi à la gestion des ressources humaines de l’État suivant en cela deux axes. D’une part, il est envisagé  de lier performance et rémunération au niveau collectif mais aussi individuel (BEAUVALLET, 2010, p. 68)33. L’idée sous-jacente est qu’un fonctionnaire travaillera d’autant mieux que ses primes augmenteront avec ses résultats chiffrés. Passons sur l’effet potentiellement négatif que cela pourra avoir auprès du public, mais surtout, il est à craindre que l’agent  orientera son activité vers ce qui est  plus facile34, au détriment de ce qui prend du temps, des affaires délicates, de ce qui constitue la valeur publique (TROSA, 2010, p. 590). 
D’autre part, la performance pour l’Etat se décline au niveau macroscopique par la volonté de diminuer globalement  le nombre de fonctionnaires. Les traitements versés correspondent certes chaque mois à un décaissement de trésorerie pour l’Etat. Cependant, les fonctions assurées par l’administration sont constituées pour l’essentiel de services (notion entendue au sens large, réglementation et prestations) et donc par nature nécessitant l’intervention d’individus. Une approche purement comptable, assimilant les salaires à des charges à réduire quoiqu’il arrive, relève d’une simplification hâtive, particulièrement dans la sphère publique. Au surplus, une réflexion sur l’outil comptable lui-même pourrait modifier la perspective (JUBE, 2008, p. 340)35.

1.2.2. Le cas du contrôle fiscal externe

Le pilotage de la performance au moyen de suivis statistiques se retrouve tout naturellement dans le contexte du contrôle fiscal externe (1.2.2.1.). Nous relèverons cependant qu’il est paradoxal d’axer la démarche de performance sur les statistiques alors que l’administration n’est pas démunie ni quant au contrôle de l’activité de l’agent en charge des vérifications de comptabilité, ni quant aux voies d’amélioration (1.2.2.2.).

1.2.2.1. Le suivi statistique et ses usages
  
Il apparaît que la recherche de performance au sein de l’administration fiscale se décline principalement au moyen de l’outil  statistique. Même si cette approche n’est pas nouvelle[i], elle a été développée ces dernières années dans un contexte porteur, comme présenté au paragraphe précédent. A priori ce contrôle de gestion vise tant la conduite des comportements des acteurs du contrôle fiscal que la recherche de productivité.
A cet égard, le rapport d’activité 2011 de la DGFiP présentent des indicateurs en nombre important, spécialement pour ce qui concerne le contrôle fiscal[ii], dans la ligne des rapports des années précédentes. Dans le même sens, les annexes aux lois de finances présentent de nombreux chiffres[iii], s’appuyant en cela sur l’article 76 de la loi finance de 1976. Or ceci peut surprendre puisque les bleus budgétaires (Projet Annuel de Performance – PAP- documents également annexés au projet de loi de finances) ne visent, en la matière, qu’un seul indicateur[iv].
Il doit être souligné que nonobstant l’insistance sur la notion de performance au sein de l’ex DGI depuis de nombreuses années (les rapports de performance depuis 2001 en attestent), les réorganisations et la « mise sous tension » des agents, certains indicateurs « phares » du contrôle fiscal sur place demeurent malgré tout remarquablement stables : nombre de contrôles -près de 47.000-, droits nets établis –près de 7 milliards d’euros-. Il est en réalité question pour l’administration de contrôler les comportements plus que de viser à maximiser les résultats, en dépit des apparences. C’est bien un seul aspect du contrôle de gestion (contrôle du comportement) qui est en jeu semble-t-il, renforcée par la présence constante de la logique du contrôle des résultats, même si cette dernière est largement amputée du fait d’un faible développement de l’étude des coûts. Il s’agit par ailleurs pour l’administration de gérer l’acceptabilité du contrôle fiscal au sein de la population tout en donnant quelques gages au Parlement au travers de mise en exergue de certains résultats.
 Les restitutions chiffrées de l’administration s’appuient principalement sur le système DIGITAL[v] (infocentre d’analyse décisionnelle) mis en place depuis quelques années, lequel vise à fournir au directeur général, aux délégués interrégionaux, aux administrateurs des finances publiques ainsi qu’aux différents responsables de services, un suivi trimestriel, sous forme de tableaux de bord, des performances de chaque structure. Sont ainsi générés des indicateurs utiles au dialogue de gestion (entre l’échelon n et n+1), à l’élaboration des contrats de performance et de moyens (jusque 2008) et à l’ensemble du dispositif de contrôle de gestion[vi] (batterie de plus de 100 indicateurs représentatifs des missions fiscales et foncières). L’ancrage théorique est celui de la théorie de l’agence (JENSEN & MECKLING, 1976) qui s’applique à la relation nouée entre un mandant (« le principal ») et un mandataire (« l’agent »). Dans ce cadre, le principal (le directeur général) accorde un contrat à l’agent (le directeur des services déconcentrés) qui fixe à celui-là des objectifs mesurables, ce qui en facilite l’évaluation, et lui offre en retour une relative liberté de manœuvre. La particularité, en l’espèce, est que le mandant n’est pas le politique comme on aurait pu s’y attendre mais la structure administrative qui se fixe à elle-même de multiples objectifs.
Il en résulte quoiqu’il en soit que l’administrateur général des finances publiques (ex DSF), à la tête des services locaux, est considéré comme un « patron » , responsable de sa missions et de l’usage des moyens[vii], dont il est attendu qu’il mette « le réseau sous tension » via les orientations stratégiques  déclinés dans le PICF[viii] pour le contrôle fiscal.
Plus particulièrement centrée sur le contrôle fiscal, l’application ALPAGE[ix] permet un suivi des données issues des contrôles fiscaux (type d’entreprise contrôlée, droits et amendes proposées au cours de la procédure, agent ayant effectué le contrôle).

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la surveillance de l’activité du vérificateur soit devenue une réalité, un directeur des services locaux de l’administration fiscale remarquant : « Auparavant [années 60] le vérificateur était libre…maintenant il est fortement encadré, surveillé » (CHOTIN, 1994, p. 298). LEROY dans sa thèse (1993, p. 156-166) relève qu’il y a une « obsession » de suivre statistiquement le travail des agents au sein de l’ex DGI et il note que ce suivi (le rendement) est utilisé par le chef de brigade comme outil  de pression vis-à-vis des vérificateurs (ibid., p. 159) en échange d’une certaine liberté d’action. M. CHOUSSAT remarque que « dans aucune autre entreprise au monde, les statistiques n’occupent une place aussi importante qu’à la DGI… »[x]. Cette grande attention portée au  rendement est confirmée par CHOTIN[xi] (1994, p. 292), « les vérificateurs sont jugés au rendement.. » et par le rapport FOUQUET, lequel souligne, p. 33, l’effet induit sur la manière de travailler : « …La perception d’un objectif de rendement budgétaire prépondérant et une logique de résultat qui conduit le vérificateur à chercher le motif de redressement par tous les moyens plutôt qu’à juger en toute impartialité du respect des textes par le contribuable ; […] des redressements effectués au détriment du contribuable alors même que les intérêts du Trésor n’ont pas été, en fait, lésés », puis «[ ...] De manière générale, bien que l’objectif de rendement budgétaire du contrôle fiscal ne soit explicitement traduit dans aucun indicateur interne ou externe de la DGI, les personnes interrogées considèrent, à tort ou à raison, que cet objectif est dominant dans la conduite des travaux des vérificateurs ; il peut dès lors entrer en contradiction avec l’objectif formulé dans le contrat de performance de la DGI (mais non assorti d’indicateurs) d’ application mesurée de la loi fiscale ». LEROY (1993, p.180) indique également que la recherche du rendement statistique oriente significativement la prise de décision des vérificateurs. Le risque de formatage du comportement des acteurs, du fait des outils et méthodes de gestion, a déjà été soulignée par les recherches en gestion par le passé (BERRY, 1983, p. 39). Plus largement, il ressort qu’il est délicat de mettre en place un contrôle de gestion opérationnel pour le processus de contrôle fiscal eu égard à des finalités (répressif, dissuasif, budgétaire) potentiellement contradictoires pouvant engendrer des effets contre-productifs : orientation des contrôles vers ce qui est facile, ce qui rapporte.

L’administration fiscale américaine, sensible aux effets potentiellement délétères de cette course à la performance a prévu à la section 1204 de l’IRS Restructuring and Reform Act de 1998 que l’IRS n’utilisera pas les enregistrements des résultats des redressements fiscaux pour évaluer les agents ou leur imposer des objectifs[xii], élément repris sous une forme plus développée dans les directives internes –the regulations- des services concernés[xiii].

Il est symptomatique que, pour la France, les D.O.S. (Document d’Orientations Stratégiques, construits de manière participative) , lesquels remplacent les contrats de performance depuis 2010, contiennent relativement peu de données chiffrées[xiv], semblant amorcer un freinage concernant le lien performance - chiffres, tant la méfiance est de mise vis à vis de l’administration fiscale[xv]. Rien n’indique, quoiqu’il en soit,  que la poursuite du dispositif objectifs-indicateurs soit actuellement ralentie, la démarche continuant d’être sous influence des programmes annuels de performance[xvi] (PAP).

1.2.2.2. Les autres modes de contrôle de l’activité du vérificateur

En plus de ce strict suivi de l’activité de contrôle fiscal externe, il convient de relever que l’administration dispose d’outils variés à même de garantir au contribuable la compétence et la déontologie des vérificateurs de comptabilité. Ces approches, certes plus qualitatives, ne seront cependant pas sans effet sur la performance professionnelle d’ensemble du fonctionnaire.

En premier lieu, il est clair que la formation initiale[xvii] ainsi que les actions de formation continue ont pour objet de maintenir, voire de faire progresser la professionnalisation. Le rapport de la commission sur les préventions des conflits d’intérêts précise[xviii] que «  l’Ecole nationale des finances publiques, dans le cadre de sa réforme, a prévu des formations relatives à la responsabilité et la déontologie des agents, adaptées au particularisme des fonctions financières (contrôle fiscal et douanier, recouvrement des deniers publics…) ». Le recrutement préalable par concours[xix] y pourvoit également, même si l’objet principal de ce type de recrutement vise plus à assurer une égalité de traitement. Un facteur important tient en réalité à l’expérience accumulée des agents en charge du contrôle fiscal.

Par ailleurs, le contribuable peut à tout moment saisir les supérieurs hiérarchiques du vérificateur dans le cadre des opérations de contrôle sur place[xx], permettant à ceux-ci de s’assurer que l’agent fait son travail en répondant aux attentes du service. L’approche qualitative sera renforcée par le fait qu’au sein d’une brigade de vérification le supérieur direct a le grade d’Inspecteur Principal, lequel, comme le prévoit le statut, ne peut être qu’un ancien inspecteur, bien souvent ex vérificateur. Nous nous trouvons alors plus dans une configuration de jugement des travaux par un pair, situation favorable à la prise en compte des difficultés du métier, bien loin d’un management distant, uniquement orienté par les chiffres[xxi].

Enfin, les investigations sont en partie explicitées dans la proposition de rectification, ce qui permet un contrôle supplémentaire du travail fait par l’agent, forme de contrôle interne, par ailleurs en plein essor tant au niveau fonction publique qu’au sein de l’administration fiscale elle-même[xxii]. Cette focalisation sur le processus de travail du vérificateur de comptabilité tend à se renforcer via la mise en œuvre d’une nouvelle application informatique, Rialto investigation, en vue de permettre une traçabilité exhaustive des axes de contrôle ainsi que leur normalisation[xxiii].

Le respect de l’éthique professionnelle (JEAN-PIERRE, 1999) constitue un autre moyen de contrôle très efficace du travail des agents publics, toute la ligne hiérarchique étant concernée. Il doit être noté qu’il n’existe pas, au sens strict, de code de déontologie à destination des vérificateurs. Mais, il est possible de considérer que les garanties du contribuable constituent une forme de charte déontologique pour l’agent en charge des contrôles, car au-delà de la procédure, c’est bien l’équilibre de la relation et la considération due aux contribuables qui sont visés. Au-delà du droit fiscal, les agents sont tenus de respecter des grands principes énoncés par la loi (administrative et pénale) ou la jurisprudence. Mais, il est difficile de savoir si le contrôle disciplinaire et déontologique est une arme efficace, les sanctions n’étant pas rendues publiques. Quoiqu’il en soit, la commission de déontologie permet de faire respecter une certaine morale professionnelle au sein de la fonction publique mais ne concerne que le cas des agents quittant momentanément, voire définitivement  l’administration. Cependant, la portée symbolique de ces décisions, qui sont publiées dans un rapport annuel, ne saurait être minimisée.

Dans ce contexte, les nombreux discours sur la déontologie, notamment dans la fonction publique, sont ambivalents ; ils peuvent être vus comme une tentative de mieux surveiller les fonctionnaires; ce peut être également les prémisses d’un glissement de perspective de l’agent simple exécutant vers un agent plus autonome et corrélativement plus responsable. Ce faisant, n’est-il pas question en réalité du point de passage entre le fonctionnaire interchangeable à un fonctionnaire gouvernable (PEQUEUX, 2010, p. 384)[xxiv] ?

Quoiqu’il en soit, le contrôle de l’activité des agents, en vue d’améliorer la performance,  est possible de diverses manières mais demeure en réalité limité car il bute inéluctablement sur la spécificité de l’action administrative et plus particulièrement sur la liberté inhérente au contrôle fiscal sur place. Il s’agit en réalité de savoir si un approfondissement du contrôle de gestion est réellement envisageable tant il ressort de manière évidente que depuis plusieurs années les indicateurs d’activité et de performance biaisent le processus étudié.

2. Les limites inhérentes à l’activité de contrôle


Le droit fiscal et le droit des affaires plus largement ont introduit une nouvelle perception  de la règle de droit, laquelle est volontiers utilisée comme un instrument (VARNEROT, 2001, p. 705) d’optimisation de la charge fiscale. Les montages fiscaux permettant d’éviter l’impôt se sont ainsi multipliés. Cette imagination débridée, stimulée par un marché du droit au sein duquel la concurrence est vive (ibid., p. 730), appelle réactivité et liberté d’analyse de la part des inspecteurs lesquels sont au contact quotidien de ces pratiques. Cela demande nécessairement du temps (de formation, d’analyse…).
Dans ce contexte, la supervision managériale (LEGENDRE, 2007, p. 42) de l’activité de contrôle fiscal est délicate à mettre en œuvre[xxv], tant du fait de l’objet de l’activité – la réalisation de l’intérêt général- que de ses particularités.
En premier lieu, il est possible de trouver des limites tenant tant à la place de l’Etat et à son rôle au sein de la société qu’aux difficultés pour articuler performance et activité juridique d’intérêt général (2.1.). Certes, cet aspect peut se retrouver pour divers domaines de la sphère publique mais il semble que le cas du contrôle fiscal en donne une vue particulièrement saisissante.
La singularité de la relation contrôleur-contrôlé en est également une bonne illustration, le contrôle hiérarchique n’ayant que peu de prise à ce sujet, sauf à s’assurer que l’agent exécute sa mission en respectant les règles élémentaires de déontologie (2.2.).
Enfin, la mise en œuvre des lois et règlements –les normes fiscales- pose des questions délicates relativement à leur interprétation où à nouveau la question de la liberté se fait pressante (2.3.).
Il ne saurait être question ici de nier que l’administration doit des comptes aux contribuables-financeurs mais plutôt de souligner que pour le domaine étudié, les obstacles sont importants et non aisément contournables.

2.1. Des limites du fait d’une activité d’intérêt général : complexité de mise en œuvre et respect du droit public

Même si la LOLF et le budget de l’Etat font la promotion de l’idée de performance des services publics, seuls trois sous-indicateurs, relatifs à l’assiette et au recouvrement des impôts dans un contexte de contrôle fiscal, sont relatés au sein du programme n° 156, dans les bleus budgétaires[xxvi], en annexe à la loi de finances. Ils ont trait à la mise en place de l’objectif n° 3 « Assurer la lutte contre la fraude fiscale et le recouvrement offensif des impôts et des amendes ». Plus précisément, un seul indicateur concerne directement le contrôle fiscal externe[xxvii].
Ceci est peut être l’expression du fait que l’activité en cause est délicate à appréhender de manière pertinente et fiable via des indicateurs. Il est également possible d’y voir une relative modération des pouvoirs publics, dans leur communication concernant le contrôle fiscal afin de ne pas apparaître trop répressif[xxviii].
Cependant, il nous semble plus pertinent de se placer du point de vue du droit des finances publiques. En réalité, la relative faiblesse du nombre d’objectifs fixés et d’indicateurs mis en œuvre en cette matière, nous paraît cohérent. En effet, la loi de finances se présente comme une suite d’autorisations données par le législateur à l’exécutif d’effectuer des opérations de recettes et dépenses (BOUVIER, 2010, pp. 289-290). L’autorisation concernant les recettes fiscales a un caractère limité en ne portant que sur la perception de l’impôt, c'est-à-dire son recouvrement et ce en application du principe de l’annualité du consentement de l’impôt. De plus, les prévisions de recettes sont purement évaluatives, nécessairement tributaires des mouvements de l’économie, tandis que le niveau de fraude ou d’évasion fiscale est par nature difficile à évaluer. Ainsi, dans ce cadre, le législateur ne saurait demander à l’administration des résultats chiffrés pour le contrôle fiscal sur place (article L. 13 du Livre des Procédures Fiscales) en particulier. L’administration n’est ainsi pas liée par les prévisions de la loi de finances (ibid.). Ce faisant, elle n’est pas tenue de garantir un nombre de contrôles fiscaux annuels, et encore moins de s’engager sur des chiffres concernant une « performance » de son activité. Il nous semble ainsi, à la lecture des rapports annuels de la DGFiP, que l’administration est en décalage avec ce que prévoit la loi de finances.

Ces premières observations sont déjà l’indice du caractère incantatoire du discours sur la performance qui devra s’adapter à différentes branches du droit ainsi qu’à de problèmes délicats de mise en œuvre.
A cet égard,  la recherche de performance pour l’ensemble des services de l’Etat posent de sérieuses difficultés tant en termes de méthode que de cohérence des buts poursuivis[xxix]. En effet, de première part, la définition des services produits par les administrations, et leur traduc­tion en indicateurs quantitatifs, est souvent un exercice délicat, la qualité des services étant diffi­cile à mesurer. D’autre part, les objectifs des administrations sont souvent multiples et la nature des tâches demandées aux agents est complexe. Or les indicateurs ne reflètent qu’imparfaitement la pluralité et la complexité des attentes, la recherche de résultats risquant d’induire des comportements non souhaitables.
Il s’agit donc de  construire des indicateurs plus sophistiqués (MAURY, 2008), par exemple en pondérant les services rendus (le nombre de contrôles par exemple) par leur degré de complexité. Enfin, pour apprécier la productivité des services, il faut pouvoir déterminer les moyens qui leur sont affectés, ce qui suppose une comptabilité d’analyse des coûts suffi­samment fiable.

Ces difficultés se retrouveront naturellement pour l’activité de contrôle fiscal, la mesure de performance d’un service de contrôle étant source de difficultés[xxx]. En effet, tout d’abord, il nous semble paradoxal d’invoquer la notion de performance pour un service en charge de surveiller la bonne application de la loi, égale pour tous par définition. En effet, un souci d’efficience demanderait la fixation de priorités et donc des renoncements. Mais comment choisir parmi les textes normatifs, lesquels ont tous vocation à être pleinement appliqués à l’ensemble des secteurs de la vie économique, tandis que les attentes de l’usager, du contribuable et du citoyen sont tout autant contradictoires que légitimes.

De même, la notion de gain de productivité ne fait pas vraiment sens[xxxi]. Seul pourrait être éventuellement invoqué un gain de vitesse. Mais l’application correcte de la loi et des règlements ne peut se dispenser d’une étude au cas par cas, ce qui nécessite un certain temps d’appréciation.
Une enquête de la Cour des comptes sur le contrôle fiscal a souligné que le dispositif de performance mis en place incite les vérificateurs à sanctionner les contribuables et les fraudes les plus faciles à appréhender et non les plus répréhensibles[xxxii].

Dans ce contexte, la notion de client en attente d’un service paraît inappropriée tant elle rendrait le contrôle, et partant la critique, quasi-impossible. L’insistance sur l’idée de l’indépendance de l’agent[xxxiii] à l’égard de certaines parties prenantes est significative à cet égard.

Ainsi,  il paraît difficilement envisageable de passer à une phase taylorienne ou industrielle du contrôle fiscal, seule à même de fournir des gains apparents de productivité[xxxiv].
A cette aune, les indicateurs ne sont utiles qu’ex post, permettant d’agréger les résultats des contrôles en vue d’en faire le reporting à la direction locale puis générale, tandis qu’un usage pour le pilotage paraît compromis.

Concernant l’éventuelle mise en place de la prime individuelle[xxxv] à la performance pour les inspecteurs des finances publiques, se posent les difficultés suivantes pour l’activité de contrôle fiscal externe :
- Il semble objectivement difficile pour un chef de service de juger du travail d’un vérificateur (de tenter une évaluation synthétique de la performance individuelle) sans être tenté d’utiliser les données chiffrées issues du résultat de ses contrôles. Au-delà du fait que cette approche n’est pas légitime en regard d’une norme simplifiée CNIL[xxxvi],  il est en effet délicat de juger de la qualité respective des travaux de différents inspecteurs alors que chacun traite de cas particuliers avec une autonomie d’action et d’analyse certaine. A cet égard, le risque de formatage de l’action et du jugement porté sur celle-ci est loin d’être négligeable (CHATELAIN-PONROY, 2008, p. 56).
- Par ailleurs, si les six à huit personnes composant le service de contrôle sont toutes motivées et de bon niveau[xxxvii], comment faire pour répartir la prime individuellement ? Les approches statistiques de type courbe de gauss[xxxviii] (PHILIP, 2005; DESROSIERES, 2008, p. 7), en vogue dans le domaine de la gestion du personnel, n’ont aucun sens à l’échelle d’un  service de base et nécessite une population de plus grande ampleur. Nous pouvons donc douter de la pertinence de ce type d’approche tant scientifiquement qu’en terme d’efficacité collective.
-  L’image donnée vis-à-vis des contribuables peut s’en trouver dégradée. Il sera loisible à ces derniers de penser que l’inspecteur veut faire du chiffre pour améliorer sa prime. Ainsi, la légitimité de l’action du fonctionnaire en charge du contrôle pourrait être mise à mal, ayant par là même des répercussions sur l’efficacité de l’action administrative.
L’importance prise par la problématique d’incitation à la performance individuelle permet de souligner que tout dispositif de contrôle de gestion dans une organisation publique s’attache principalement aux individus. Et c’est précisément du sens que ceux-ci donnent à leurs actions, et aux contraintes auxquelles ils doivent faire face que surviennent les difficultés les plus ardues.

2.2. Des limites du fait de la singularité de la relation contrôleur-contrôlé


Les contrôles fiscaux sur place se font généralement avec un unique vérificateur[xxxix]. L’entreprise contrôlée est bien souvent elle-même représentée par une seule personne lors des interventions sur place,  le chef d’entreprise ou un expert-comptable, ou encore un avocat spécialisé.

Il s’instaure alors naturellement un dialogue personnalisé sur une certaine durée[xl]. L’établissement d’un débat oral et contradictoire est d’ailleurs prescrit par la jurisprudence du conseil d’Etat[xli] sous peine d’irrégularité de la procédure.

La relation contrôleur-contrôlé prend ici tout sa singularité. En effet, il ne s’agit pas  uniquement d’une affaire de droit ou de juriste mais également d’une relation humaine avec toute la difficulté que cela peut comporter (CHOTIN, 1994,  p. 287 ; DUPOND, 2005, p. 505).

LEROY[xlii] (1993, p. 33), insiste sur la relation personnalisée se nouant entre le vérificateur et le contribuable. Cet auteur souligne que, même si, la relation est conditionnée par l’organisation administrative et le contexte socio-économique, elle est chaque fois rejouée tant la liberté du fonctionnaire est importante, la relation contrôleur-contrôlé se déroulant à la périphérie de l’organisation. Il remarque également que l’aspect négociation entre le vérificateur et le contribuable n’est pas négligeable (ibid., p. 235)[xliii], et permet d’éviter des contentieux ultérieurs.

Même si nous percevons aisément que le contrôle hiérarchique ne peut pas tenir un rôle prépondérant dans ce contexte, l’influence du responsable de service pourra tout de même ponctuellement se faire sentir. En effet, les décisions prises par le vérificateur peuvent être influencées par les stratégies discursives et la recherche d’efficacité de la part de l’administration. Ainsi, la liberté du vérificateur demeure toute relative si l’on considère que la recherche du rendement statistique oriente significativement la prise de décision des vérificateurs. Mais, selon nous, il n’est nullement évident que cet appétit pour la statistique soit partagé par l’ensemble des vérificateurs.

La position « d’expert » de l’inspecteur des finances publiques vis-à-vis du contribuable, a une grande influence (ibid., p 241.)[xliv] dans la structuration de la relation contrôleur –contrôlé. Cependant, il convient de souligner le rôle important de médiation joué par le conseil ou de l’expert-comptable (CHOTIN, 1994, p 232 et s.)[xlv], lequel assure un rééquilibrage apparent des pouvoirs.
Nous pouvons à ce titre nous appuyer sur les recherches menées sur l’audit et notamment le travail de RICHARD (2000) concernant la relation, au sein de grandes entreprises, entre le commissaire aux comptes et le directeur financier. Elle remarque que ces relations peuvent être vues comme des rapports entre pairs (par opposition aux relations contractuelles ou hiérarchiques). Cette caractérisation n’est pas sans rappeler la relation contrôleur-contrôlé,  spécialement dans les grandes ou moyennes entreprises, lorsque l’inspecteur a pour interlocuteur un expert comptable. La relation se fonde alors sur la compétence (ibid., p. 156)[xlvi] supposée de l’inspecteur, permettant l’émergence d’un climat de confiance[xlvii] relatif,  tout en s’inscrivant dans un cadre institutionnel de face à face inspecteur - professionnel du chiffre ou du droit. Cela pourrait  expliquer certains mécanismes de régulation des relations, notamment la survenance de discussions informelles (CHOTIN, 1994, p. 244 et s.)[xlviii], dans un contexte de contrôle fiscal.

Il s’agit ici d’interactions complexes entre le droit, l’éthique, combinées aux influences réciproques portées par les acteurs (BEL HAJ ALI , 2010, pp. 79-86)[xlix]. Le contrôle s’en trouve théâtralisé, chacun essayant de trouver la bonne distance (CHOTIN, 1994, p. 239 et s.). Ce qui se joue également, au travers de ces processus discursifs et d’échanges de point de vue est la construction de l’identité du métier de vérificateur.
Cet aspect cognitif (LEROY, 1993)[l] de l’acte de contrôle et de sa rationalité sous-jacente se devait d’être souligné nous permettant d’approcher au plus près de la liberté d’action du vérificateur, laquelle laisse place à un arbitraire inévitable, mais inhérent à la situation légalement créée.

La hiérarchie administrative n’est cependant pas démunie face à ce colloque singulier entre le contrôleur et le contrôlé puisque ce dernier peut à tout moment exercer un recours auprès de l’inspecteur principal ou de l’interlocuteur départemental[li]. Mais il demeure des zones d’incertitudes pour le management quant à l’action du vérificateur.

L’idée de performance, entendue comme suivi de résultats chiffrés en vue de leur maximisation, ne peut dans ce contexte qu’être relativisée, même si le contrôle du comportement de l’inspecteur est réel.

Cette situation particulière dans laquelle se trouve l’inspecteur des finances publiques se distinguent selon nous nettement des autres cas de face à face entre un agent public et un usager, pour lequel la notion parfois usitée de client est en l’espèce inadaptée. Ainsi, la relation se passe dans des locaux extérieurs à l’administration, sur une période relativement longue (parfois plusieurs mois), sur le mode de l’oralité pour une part (donc un contrôle hiérarchique réduit), avec mise en oeuvre systématique de notions juridiques variées et complexes impliquant très souvent des professionnels de haut niveau (avocat, expert-comptable). Ceci conforte une certaine liberté d’action pour le vérificateur de comptabilité, assez éloignée de l’image du fonctionnaire appliquant mécaniquement des circulaires internes.

La liberté du vérificateur, et ses limites, s’expriment également au travers de l’interprétation des textes qui devront être appliqués.

2.3. Le problème de l’interprétation des textes normatifs


L’interprétation des textes applicables à une situation donnée fera inéluctablement appel à la liberté de l’inspecteur des finances publiques en charge d’un contrôle (2.3.1.). Naturellement, cette liberté ne sera pas sans borne, notamment en regard de ce qui est considéré comme une opération normale (2.3.2.).

2.3.1. La liberté permise par l’interprétation

Le fonctionnaire en général, l’agent en charge des contrôles fiscaux plus particulièrement, fait face à de très nombreux textes dans la perspective de remplir sa mission : Constitution, conventions entre Etats, lois, règlements et circulaires, voire la jurisprudence. Dans tous les cas, il est question d’appliquer le droit au sens large et donc d’interpréter les textes (BERGEL, 1999, p. 245 et s.)[lii].
L’administration fiscale, à son plus haut niveau, use largement des circulaires et directives pour diverses raisons : éclairer le contribuable et ses conseils, infléchir discrètement les textes de lois (CHOTIN, 1994, p. 64 ; BOUVIER, 2010, p. 239)[liii], tenter enfin d’encadrer l’interprétation qui pourra être faite des textes fiscaux par les fonctionnaires dans leurs tâches quotidiennes.
Même si cette démarche est courante pour une administration publique, il n’en demeure pas moins qu’il y a une prolifération de circulaires en matière fiscale. Ainsi, régulièrement l’administration fait connaître sa doctrine au moyen des bulletins officiels des impôts (devenu BOFiP en septembre 2012), de la documentation administrative et des réponses aux questions des parlementaires.
Dans ce contexte –des interprétations faites par la direction générale-, existe-t-il une liberté d’interprétation des textes normatifs  pour l’inspecteur en charge des opérations de contrôle fiscal ?

Pour tenter de répondre à cette question, il nous faut revenir à des considérations plus théoriques sur l’interprétation en droit.

L’interprétation est une opération par laquelle une signification est attribuée à quelque chose, à un énoncé par exemple. L’interprétation désigne, à la fois, l’opération par laquelle une signification est attribuée, et le produit de cette opération.
Deux théories s’opposent : selon la première, l’interprétation est un acte de la connaissance ; selon la seconde, dite réaliste, elle est un acte de volonté, correspondant à la libre décision de l’interprète. Si la seconde théorie est exacte, l’interprète dispose d’un pouvoir considérable puisque celui-ci fait exister  la norme qu’il est sensé appliquer.

L’interprète est classiquement le juge. Il est l’interprète authentique et légitime, celui qui légalement concrétise  la norme en l’appliquant  au cas par cas. A cet égard le juriste s’efforce de composer entre la sécurité juridique et l’adaptation nécessaire aux évolutions de la société, et ce, en vue  d’assurer légitimité et cohérence au droit fiscal.

Mais, la problématique de l’interprétation ne s’arrête pas là, dans la mesure où nous acceptons de quitter les rivages rassurant de l’interprétation authentique, et tentons de nous placer à hauteur d’homme.

A cet égard, il convient de relever que l’inspecteur des finances publiques en charge d’un contrôle fiscal est celui qui voit ou  ne voit pas les éléments factuels soumis à son contrôle. Ce pouvoir est très grand, un directeur de l’administration fiscal relevant que « le véritable pouvoir du vérificateur, c’est de voir ou de ne pas voir ; il est lui-même le plus puissant de notre administration, c’est un pouvoir extrêmement important », (CHOTIN, 1994, p. 298). Ensuite, parmi ce qui est vu et analysé, il y a des faits qui seront éliminés comme étant jugés non pertinents. Puis vient le travail de qualification[liv], inhérent à toute activité de juriste. Ces différentes étapes sont particulièrement saillantes dans le cadre d’un contrôle fiscal au cours duquel les opérations à analyser sont multiples et la réalité de l’entreprise toujours complexe à appréhender. Parallèlement à cet ensemble d’opérations, l’inspecteur se devra également d’interpréter les textes applicables, les bulletins officiels ne pouvant évidemment pas prévoir tous les cas. Dans ce contexte, le travail d’interprétation pourra être particulièrement élaboré (VARNEROT, 2000, p. 372)[lv] .
L’inspecteur des finances publiques pourra ainsi user largement de toutes ces possibilités qui sont autant de degrés de liberté dans son action et ses analyses (CHOTIN, 1994, pp. 210-244)[lvi].

Certes, l’agent est inévitablement influencé par les directives reçues (générales ou individuelles), par les textes législatifs clairs (mais un texte juridique peut-il l’être, tant il a vocation à être interprété ) ou par les interprétations issues de la jurisprudence, et plus largement par le contexte socio-économique, autant de limites à sa liberté. Mais il lui appartient tout de même d’en opérer une synthèse, d’en resituer le sens. Tout ceci donne l’image d’un droit qui se construit sur un réseau d’une multiplicité d’interprètes, source de complexité, rendant de nouveau très difficile toute mesure de l’activité (et l’interprétation d’éventuelles non-performances) tant elle n’est pas routinière.

En pratique, les contribuables ne remettent pas systématiquement en cause les analyses de l’inspecteur, celui-ci jouissant d’un respect en liaison avec sa position d’expert de la matière[lvii]. Aussi, son interprétation et ses analyses fixeront l’état du droit pour ces contribuables et auront une grande valeur[lviii], au moins symbolique. En absence de contentieux, l’interprétation délivrée par l’agent devient subjectivement authentique serait-on tenter de dire.

Aussi, si un suivi strict de l’activité du vérificateur semble s’imposer du seul point de vue hiérarchique, celui-ci ne pourra jamais venir à bout des fragments de liberté décrits supra sauf à dénaturer complètement le métier.
A ce sujet, il est à remarquer qu’une expérimentation[lix] a été mise en place relativement à la certification des brigades de vérifications[lx]. Or, il est classique de considérer que la normalisation, qu’induit inévitablement la certification, est une manière d’opérer un contrôle complet sur le processus en cause en vue de l’améliorer mais aussi d’exercer une étroite surveillance. C’est une approche industrielle, à la recherche de la qualité totale, permettant de cadrer plus complètement les éventuelles initiatives  de l’opérateur.
Seul l’avenir pourra dire si cette orientation donnée en interne donne des résultats satisfaisants.

Dès lors, ce n’est pas seulement la visée d’amélioration des résultats qui est problématique pour l’administration fiscale mais également le suivi de l’activité.

Cette liberté permise par l’interprétation nous paraît non seulement inhérente à l’activité en cause mais également un bien car sinon comment exercer efficacement le contrôle et analyser au cas par cas le bien-fondé des situations comptables et juridiques des entreprises. La lutte contre la fraude commande elle-même le recours à cette liberté. Cependant de nombreux mécanismes internes (circulaires, suivi hiérarchique), comme nous l’avons relevé, viennent poser quelques garde-fous.

Par ailleurs, un processus de régulation externe, au travers de la notion de normalité, peut se révéler efficace pour contrôler notamment l’activité d’interprétation de l’agent.

2.3.2. L’ordre du normal comme limite à la liberté 

Ce qui est en jeu n’est pas seulement d’observer comment est interprété et appliqué un texte normatif. Il s’agit également de prendre en considération l’idée que l’analyse des faits ne sera pas sans lien avec la notion de normalité, venant enrichir en quelque sorte l’ordre juridique.

La jurisprudence se réfère très souvent à la notion de normalité pour juger qu’une opération est conforme ou non au droit fiscal, typiquement dans le  domaine de l’acte anormal de gestion[lxi].

Le vérificateur aussi, tant en référence à sa lecture des décisions de justice, qu’à ses vérifications antérieures, ne manquera pas d’orienter ses investigations vers l’inhabituel, ce qui ne peut que conforter l’ordre des choses. Car, de toute évidence, les entreprises offrent nécessairement quelques similitudes entre elles (fonctions exercées en leur sein, marge brute réalisées selon les secteurs notamment). C’est la condition même de la possibilité d’une vie sociale.

Enfin, cette construction partagée de la normalité fait intervenir l’administration et sa hiérarchie qui influencent nécessairement le vérificateur dans son appréciation de ce qui normal ou non par les directives données et l’insistance mise sur un sujet donné. A ce titre la hiérarchie joue un rôle ambigu en tentant d’influer sur les analyses factuelles du vérificateur tout en lui reconnaissant une marge de manœuvre, ne pouvant totalement limiter sa liberté. Les relations sont ici complexes. Il y a en réalité co-construction du jugement.

Cette prise en compte de l’ordre du normal est inhérente à l’analyse du juriste sur les situations de fait dans la vie sociale. Le processus est circulaire car le normal est à la fois le produit et la source.
Cela constitue une forme de déterminisme, un préjugé, la liberté humaine semblant paradoxalement n’y avoir que peu de place. Cependant, cette notion de normalité est relative, changeante, peu maîtrisable pour la hiérarchie administrative et l’on retrouve quelque chose de la liberté d’interprétation que nous décrivions supra.

Conclusion : le droit aux résultats ou des résultats par le droit ?

Il est inévitable que, dans une société qui accorde tant d’importance aux chiffres, le contrôle fiscal ne puisse échapper à un mouvement d’ensemble de la gestion publique qui vise la performance, l’obtention du meilleur service au meilleur coût. De même il n’est pas surprenant qu’au sein d’un système aussi centralisé et hiérarchisé que l’est administration fiscale, il y ait une volonté permanente d’un pilotage strict. Dans ce contexte, le contrôle de gestion, bien qu’outil en apparence neutre, offre aux managers une forme de légitimité, tout en permettant la transposition de méthodes rodées dans le secteur privé. Le renforcement du pouvoir hiérarchique en découle.
Or l’approfondissement du contrôle de gestion auquel nous assistons au sein de l’administration fiscale entraîne des effets contre-productifs non négligeables tant en interne qu’en externe, ces deux aspects étant d’ailleurs intimement liés.
En effet, il n’est pas impossible que la focalisation sur l’instrument statistique, en vue de mieux contrôler les vérificateurs par une standardisation des pratiques, puisse dégrader durablement la confiance des contribuables dans leur système de contrôle fiscal, ceux-ci ne voyant en l’inspecteur qu’un « chasseur de primes », tandis que l’adhésion des agents n’est pas acquise, loin s’en faut[lxii].  Le risque de mettre à mal la légitimité d’action de ce fonctionnaire est alors important au détriment de l’efficacité des contrôles externes, laquelle repose sur un nécessaire consentement, excepté pour les fraudes graves.
Surtout, la logique de performance apparaît aller à l’encontre des spécificités du métier de vérificateur, caractérisé par une relative liberté dans la mise en œuvre effective des textes normatifs. Or cette liberté d’action et d’analyse est indispensable pour l’appréhension de nouvelles formes de fraude et l’application au cas par cas d’une législation relativement complexe.
Enfin, la visée permanente d’efficacité budgétaire multiplie les contrôles sur certains secteurs d’activité, en délaisse d’autres, rompant le principe d’égalité. De plus, la recherche de gain de vitesse pour chaque contrôle incite l’inspecteur à ne s’attaquer qu’à ce qui est le plus simple, au détriment de ce qui fait la valeur, pour les non-contrôlés, d’un contrôle fiscal : s’assurer du respect de l’ensemble de la législation fiscale, permettre ce faisant la mise à égalité des acteurs économiques, détecter la fraude ou l’abus. Et ceci demande du temps.
L’activité de contrôle fiscal externe n’a pas affaire à des clients dont il s’agirait de maximiser le bien être, les entreprises désirant rarement être contrôlées, tandis que la loi débattue, votée et promulguée s’impose à tous.

Il nous semble ainsi que l’application du droit par les agents de l’administration mais aussi par les juges[lxiii]  rencontre de sérieuses difficultés avec la recherche d’un « toujours plus » de statistiques comme nous l’avons montré pour le cas des vérificateurs de comptabilité, sauf à réduire le droit à un système expert pouvant, à la limite, être mis en œuvre par des machines.
Or l’accent mis sur le contrôle de gestion, entendu comme technique de contrôle dynamique des comportements et des résultats des agents de l’application du droit, en s’appuyant sur les systèmes automatiques de traitement de l’information, y prédispose. Ce faisant la technique juridique –autre technique disciplinaire mais au moyen d’une norme dont la finalité est la recherche certes d’utilité mais aussi d’égalité et de justice- se trouve placée au second rang. Cette situation ne fait que renforcer une forme de contingence de la norme, la promotion de la régulation dans le domaine du droit s’en faisant l’écho. Cela pose alors la question de la légitimité de ce basculement, en démocratie, car le pouvoir de la gestion dans la sphère publique est-il réellement le pouvoir des citoyens ? Notamment l’identification de débats ayant donné lieu à des prises de décisions circonstanciées n’est pas aisée, concernant les nombreux objectifs et indicateurs du budget de l’Etat dont le statut, d’ailleurs, n’est pas clairement défini (sont-ce des normes, de vagues  souhaits ? Pour quelle sanction ?). Pourtant, l’influence de l’idée de performance est indéniable au sein des services administratifs, les indicateurs devenant une forme de norme à usage interne.

Aussi, concernant le problème des impasses auxquelles mène la culture de la performance pour le contrôle fiscal externe, il nous apparaît que trouver la ressource nécessaire au sein des techniques de contrôle de gestion des services (MEYSONNIER, 2011)[lxiv]  est une voie délicate car même si des progrès ont pu être réalisés, celles-ci sont à la source de difficultés. A cet égard, on voit mal comment un instrument de gestion peut réguler les éventuelles interventions politiques ayant en vue d’interrompre un contrôle fiscal (CHOTIN, 1993, p. 210)[lxv]. Même si ce n’est pas la voie que semble suivre les hauts fonctionnaires de l’administration fiscale avec la mise en place de Rialto investigation[lxvi], il nous semble que les solutions sont plus à rechercher du côté du droit (y compris dans sa forme moderne de régulation), peut être parce que la légitimité est plus assurée pour ces matières aussi sensibles.

En réalité, c’est par le droit –et sa codification-, la jurisprudence –unifiée par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation- et la doctrine administrative – car il est responsable de la part de l’administration de tenter d’encadrer l’action des agents en vue notamment de garantir une certaine cohérence dans l’application du droit fiscal - qu’une homogénéisation (et une forme de cadrage) est à attendre plus que par le contrôle de gestion qui ne peut faire du cas par cas sauf à devenir non opérationnel. Mais, il faut faire un pas de plus en vue de proposer une amélioration du processus étudié avec l’idée que la liberté d’action du vérificateur présente selon nous plus d’avantages que d’inconvénients, tant celle-ci nous apparaît être une force pour une action efficace et lisible plutôt qu’ un problème que le management devrait s’efforcer de résoudre.

Ainsi, si l’on considère que l’enjeu pour l’administration –et conséquemment la performance attendue par l’ensemble des parties prenantes- est de permettre au vérificateur de donner l’apparence d’instruire à charge et à décharge au cours de ses contrôles, il conviendrait alors de formaliser juridiquement la situation de relative liberté du vérificateur. Il pourrait ainsi être envisagé une modification de son statut dans l’intérêt du contribuable et de l’Etat, à même de promouvoir l’idée d’impartialité et d’indépendance de ce fonctionnaire vis-à-vis des parties en présence. Il semble en effet, que la confiance du public se maintienne par la représentation d’un Etat impartial et juste et donc impliquant des fonctionnaires qui permettent d’incarner ces mêmes valeurs, plus que ne pourrait le faire la production de tableaux de chiffres. Le contrôle de gestion y trouvera probablement ses limites, à moins de considérer qu’en tant que science de l’ingénierie du social (MAGNE, 2007, p. 13) il peut être conséquent d’aller puiser quelques ressources dans d’autres techniques de coordination et de pouvoir. Cette modification de l’organisation pourrait s’accompagner d’une part d’un recours plus systématique à l’audit -dont les modalités d’exécution restent à définir- et d’autre part d’une plus grande responsabilité juridique des agents, tandis que la notion de carrière devra être revue à la lumière de cette notion d’indépendance. C’est par les regards croisés du droit et de la gestion qu’un équilibre pourra probablement être obtenu en la matière.



1 Sur le manque supposé d’efficacité de l’Etat, FAUROUX (sous la dir.), SPITZ. (2004). Etat d'urgence. Réformer ou abdiquer : le choix français. Laffont. Ce souci n’est pas nouveau. Ainsi M. André TARDIEU avait intitulé le chapitre premier de son ouvrage La réforme de l'Etat : "Cela ne peut plus durer", Flammarion, 1934.
2 Cependant, dans les années 70, le mouvement de rationalisation des choix budgétaires (RCB) avait sensiblement les mêmes objectifs. Mais cette approche était alors mal acceptée.
3 Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF), 01/08/2001, petite révolution ayant touché les finances publiques, avec une mise en pratique depuis 2006.
4 Révision Générale des Politiques Publiques. Ces mutations sont également activement soutenues par les cabinets de conseils privés, cf. HENRY O., PIERRU F. (2012).
5 La presse spécialisée rapporte qu’un cabinet privé de conseils serait intervenu pour la mise en place d’indicateurs de performance au sein de ministères, processus initié et amplifié au sein du ministère des finances. Cette information est accessible sur le site suivant (page du 04/01/2008, consultée en octobre 2012) : http://www.consultingnewsline.com/Info/Actu/Actualit%E9s/Mars_&_Co.html.
6 C’est le problème de favoriser, de maintenir le consentement à l’impôt.
7 Un indice de la dégradation des rapports peut être observé dans l’augmentation importante de dépôts de plainte de la part de l’administration pour opposition à contrôle fiscal entre 2006 et 2011 (passant de 14 à 71) selon l’annexe au projet de loi de finances pour 2013, Evaluation des voies et moyens, t. 1, 2012, p. 207. Cependant, le phénomène doit être relativisé eu égard au nombre de contrôles annuels (près de 47.000 contrôles fiscaux externes, i.e. au sein des entreprises).
Le rapport FOUQUET O. (2008). Améliorer la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et les contribuables : une nouvelle approche, p. 7, mentionne également « une relation de méfiance réciproque » entre le contribuable et le contrôle fiscal.
8 Pour une analyse de l’organisation du contrôle fiscal comme une bureaucratie traditionnelle mais présentant cependant certaines ambiguïtés eu égard au travail concret des agents, v. LEROY, M. (1993).  Le contrôle fiscal.
9 L’adoption d’un vocabulaire « Lolfien » s’impose de plus en plus au sein de l’Etat. À chaque programme budgétaire est associé un projet annuel de performance –PAP- qui en présente notamment les objectifs, en annexe du projet de loi de finances initial, et un rapport annuel de performance –RAP- qui présente notam­ment les résultats atteints, en annexe du projet de loi de règlement.
10 Selon cet auteur, l’histoire de l’Etat est indissociable de l’histoire de l’impôt ; l’impôt et son consentement  sont au fondement des démocraties modernes.
11 Sous l’ancien régime, ce principe d’égalité était bien souvent bafoué, source de ressentiments, une des causes  probables  de la révolution française, selon cet auteur. Cependant, nous pouvons noter que de nos jours, les régimes d’imposition prévus par le législateur sont très variés, ce qui peut laisser penser que la fiscalité est un droit de la discrimination. Mais les différences ainsi instituées ne le sont que dans un but d’intérêt général, tenant compte les différences objectives de situations.
12 Selon les statistiques issues du rapport annuel 2011 de la DGFiP, les contrôles sur pièces ont permis des rehaussements de  base imposable, auxquels s’ajoutent des pénalités, à hauteur de 5,6 milliards d'euros contre 10,8 milliards d'euros pour les contrôles sur place ; cependant il convient de relativiser la portée budgétaire du contrôle fiscal dit « sur place », i.e. au sein des entreprises, cf. infra note 24, in fine.
13 Concernant les mouvements de contestation contre l’impôt dans les années 50 et 70.
14 L’auteur relève cependant que même sous l’ancien régime, les anciennes régies (contributions indirectes et enregistrement) exerçaient un contrôle strict et régulier des impôts dont elles avaient la charge.
15 Des sommes très importantes y sont consacrées chaque année depuis plus de 20 ans, 150 millions d’euros par an en moyenne entre 1988 et 1998, selon ANGELS, B. (2000). Rapport d’information du Sénat,  n° 205, p. 124.
16 Selon une communication du ministère du budget, 2009, p. 5.
17 Selon le rapport annuel DGFIP, 2011, p. 34, il y a 47.000 contrôles fiscaux externes par an, lesquels rapportés au nombre d’entreprises –3.400.000 selon INSEE- donne en théorie un contrôle tout les 71 ans pour une entreprise donnée.
18 L’action d’agents du Département du Trésor, dont fait partie le CID-auparavant appelé Intelligence Unit-, a contribué à mettre Al Capone hors d’état de nuire dans les années 30.
19Consultable sur le site internet de la Guardia di Finanza : http://www.gdf.gov.it/repository/ContentManagement/information/P358324029/RapportoAnnuale2011_Dati.pdf?download=1
20 La presse se fait volontiers l’écho des actions de ce corps de contrôle, cf. à ce sujet le site de La Stampa avec de nombreux articles à ce sujet,  rien que pour l’année 2012.
21 Consultable sur le site internet de la CCI (page consultée en octobre 2012) : http://www.oefe.ccip.fr/sites/www.oefe.ccip.fr/files/files/upload/15_06_06_Audition_CPO_Controlefiscal.pdf
22 Consultable sur le site internet du ministère de l’économie et des finances (page consultée en octobre 2012) http://www.economie.gouv.fr/dgfip/lorganigramme-dgfip
23 L’effectif est cependant modeste –22 agents dont 13 issues de la DGFiP- selon le rapport DGFiP 2011, p.8.
24 Qu’il convient de relativiser, v. le rapport public annuel de la cour des comptes 2010, concernant les méthodes du contrôle fiscal, p. 171-206 ; même si la Cour insiste sur l’enjeu budgétaire dans son introduction (p. 171),  elle rappelle immédiatement (p. 173) qu’une part importante des sommes rappelées à la suite des contrôles ne sont pas recouvrées ; à cet égard, la Cour note (p. 195) que « Les résultats sont….décevants si on considère l’indicateur retenu par la DGFiP qui rapporte les créances recouvrées à la fin d’une année N aux droits et pénalités mis en recouvrement en N-2 à la suite de contrôles fiscaux externes », le taux étant en effet de l’ordre de 40% ; i.e. moins de la moitié des créances sont recouvrées 2 ans après le contrôle ; dès lors si l’on prend les chiffres du rapport 2011 de la DGFIP, nous obtenons : recettes recouvrées 511 Mds (p. 33), résultats du contrôle fiscal externe 10,8 Mds x 40% soit 4,3 Mds recouvrés au bout de 2 ans, ce qui n’est certes pas négligeable mais qui ne représente que 0,85% (4,3/511) des recettes annuelles recouvrées par la DGFiP ; et ce calcul est optimiste car il existe des rappels qui ne consistent qu’en un décalage dans le temps (une provision rattachée au mauvais exercice par exemple) et qui donc ne rapportent rien au Trésor ; ce point est rappelé par le rapport FOUQUET, préc., p. 33 : « …des redressements effectués au détriment du contribuable alors même que les intérêts du Trésor n’ont pas été, en fait, lésés ». Cependant le calcul précèdent ne prend pas en compte les rectifications de déficits qui pourtant ont un impact certain à terme.
25 Protection des contribuables en tant qu’ils sont mis à égalité devant les charges publiques.
26 Cette perspective qui inclut en réalité les finalités répressive et dissuasive, peut être perçue comme une  protection pour tout contribuable, voire une protection contre la déloyauté des acteurs économiques au sein du marché concurrentiel, et conséquemment minore la finalité budgétaire.
27 Une moindre charge fiscale. Il peut être noté que l’article L. 233 du Livre des Procédures Fiscales permet à des groupements de professionnels de se constituer partie civile dans une instance de fraude fiscale diligentée à l’encontre d’un professionnel malhonnête, lequel ce faisant avait déjoué les règles d’une concurrence loyale. Cependant le droit de la concurrence est ambiguë lorsqu’il préserve le dénonciateur d’une entente quand bien même celui-ci y a pleinement participé.
28 Deux circulaires du 02/11/2010, l’une  relative aux Principes d’organisation du contrôle fiscal, l’autre  concernant l’Evocation des situations fiscales individuelles auprès du ministre du budget, accessibles sur le site internet du ministère du budget et sur le site circulaires.gouv.fr.
29 Pour une analyse relative à la difficulté de construire des indicateurs dans le secteur public, telle la justice, et sur les effets pervers associés.
30 Guide méthodologique LOLF, 2004, p. 21
31 Le mot « performance » est abondamment utilisé : projet annuel de performance, rapport annuel de performance… Il est présent dans trois articles (48, 51 et 54) de la LOLF.
32 Nous sommes ainsi passés d’une présentation des comptes par nature à une présentation par destination.
33 L’auteur relève des effets pervers, les primes se révélant contre-productives. Ces primes collectives sont la suite logique de l’introduction des indicateurs depuis près de 20 ans. La LOLF depuis 2006 accentue cette tendance.
V. égal. La synthèse OCDE « Rémunération liée à la performance dans l’administration », août 2005, disponible à l’adresse : http://www.oecd.org/dataoecd/0/12/35289009.pdf, page consultée en octobre 2012 ; ces études montrent que cette approche n’a pas toujours obtenu des résultats positifs dans les administrations. Les dispositifs d’intéressement collectif semblent souvent plus adaptés ; v. égal. Rapport d’information sur L’intéressement collectif dans la fonction publique , 2009, où il est souligné que le mécanisme des primes est peu appliqué à l’étranger, p. 16.
34 Du fait des indicateurs uniquement, v. à ce sujet Cour des comptes, Rapport public annuel,  Les méthodes et résultats du contrôle fiscal. 2010.
35 Sur cette question, l’auteur suggère d’enregistrer au bilan un actif image de la force de travail du salarié. Il resterait à montrer dans quelle mesure ceci peut être transposé à la fonction publique. Ceci amènerait à une réflexion sur l’interprétation et les éventuelles modifications de la norme n° 5 du RNCE (Recueil des Normes Comptables de l’Etat).
36 894 indicateurs et 424 objectifs selon le Rapport public de la Cour des comptes. (2011).  La mise en oeuvre de la LOLF : un bilan pour de nouvelles perspectives. p. 160. Tandis que la Grande Bretagne semble abandonner cette politique de la performance par indicateurs et objectifs, ibid. p. 165.
[i] Rapport public, préc., 2011, p. 152.
[ii] Nombre de contrôles réalisés, droits rappelés et pénalités, nombre de contrôles à caractère répressif, nombre de droits d’enquête, les indicateurs soumis à intéressement, etc. in Rapport annuel de la DGFIP, 2011. Depuis 2009, le mot « performance » a disparu de l’intitulé de ce type de document comme pour amoindrir cette quête de résultats chiffrés.
[iii] Annexe au projet de loi de finances pour 2013, Evaluation des voies et moyens, tome 1, p. 191 et s.
[iv] Cf. seconde partie de la présente contribution.
[v] Auteur anonyme. (2005). Rôle et compétence du délégué interrégional, Revue du Trésor : n°8-9, p. 427. Septembre.
[vi] Démarche dite DPA (Diagnostic Plan d’Action). Le chef d’orchestre du contrôle de gestion est le délégué interrégional du directeur général.
[vii] Informations accessible sur internet, à l’adresse :
 www.performance-publique.budget.gouv.fr/ fileadmin/ medias/ documents/ performance/ controle-gestion/ Les_fonctions_support/ SI/ 13_Fixation_des_objectifs_des_services_locaux_a_la_DGI_-_Juillet_2006 .pdf
[viii] Le Plan interrégional de contrôle fiscal (PICF) permet de renforcer la coordination du contrôle fiscal entre les échelons nationaux (les directions nationales de contrôle ou de recherche) et les directions locales.
[ix] V. arrêté du 02/10/2012, publié au JORF n° 0245 du 20/10/2012, portant création d’un traitement automatisé de données dénommé « ALPAGE », lequel existe en réalité depuis 1986.
[x] CHOUSSAT, J. (1990). Rapport sur l’amélioration du dialogue social et la modernisation de la gestion au ministère des finances. p. 22.  In LEROY, M. (1993). p. 156.
[xi] Un directeur reconnaît que la notion de rendement est très présente et que l’activité est pilotée en fonction de celui-ci même si cela « choque l’esprit fiscal » selon ses propres propos –il s’agissait là de l’activité de contentieux-, des vérificateurs interrogés par ailleurs se plaignant de la pression de la hiérarchie pour augmenter les rendements de contrôles fiscaux.
[xii] « (a) IN GENERAL: The Internal Revenue Service shall not use records of tax enforcement results (1) to evaluate employees; or (2) to impose or suggest production quotas or goals with respect to such employees ».
[xiii] Au sein de l’IRM (Internal Revenue Manual), à  destination des managers, accessible à l’adresse suivante (page consultée en octobre 2012) :
[xiv] Selon le rapporteur à l’Assemblée National, CARCENAC T., annexe 23 du projet de loi de finances 2010,  p. 67.
[xv] Rapport FOUQUET, préc.,  p. 33.
[xvi] Rapport d’activité du CIAP (Comité Interministériel d’Audit des Programmes), 2011, not. p. 11.
[xvii] Formation professionnelle assurée par l’Ecole Nationale des Impôts devenue récemment un établissement de l’Ecole nationale des Finances Publiques, créée par Arrêté du 4 août 2010 portant création d'un service à compétence nationale dénommé « Ecole nationale des finances publiques ».
[xviii] Rapport de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, janvier 2011 p. 52.
[xix] Diplôme de Licence nécessaire pour les inspecteurs des finances publiques, art. 6 du décret n° 2010-986 du 26 août 2010 portant statut particulier des personnels de catégorie A de la direction générale des finances publiques.
[xx] Au cours d’un contrôle fiscal, les recours possibles sont nombreux (chef de service, interlocuteur départemental, ministre).
[xxi] Ce faisant, nous pouvons faire l’hypothèse que la tension peut être forte pour ce management intermédiaire entre compréhension des problèmes du métier, lui portant estime, et attentes de résultats des directions locale ou nationale.
[xxii] Cour des comptes. (2010). Rapport public annuel, préc. p. 192.
[xxiii] V. le communiqué du syndicat CGT Finances Publiques de Paris, accessible à l’adresse suivante (page consultée en octobre 2012) :
Pour une analyse moins critique, v. le communiqué du syndicat CFDT Finances Publiques, accessible à l’adresse suivante (page consultée en octobre 2012) :
http://www.cfdt-finances.fr/Rialto-investigations-le-bilan
[xxiv] Pour reprendre une expression de cet auteur concernant les mutations des relations managers-actionnaires.
[xxv] Même si celle-ci est très encadrée, la fonction publique étant bâtie, pour une large part, sur le principe hiérarchique, lequel permet au chef de service notamment d’organiser son service. Ce travail organisé nécessite tout naturellement des règles internes lesquelles cependant ne peuvent avoir pour objet ou pour effet que de mieux remplir la mission, sous le sceau du principe de légalité, limite forte au principe hiérarchique.
[xxvi] Projet annuel de performance, accessible à l’adresse suivante (consultée en décembre 2012) :
en sélectionnant au sein du budget général la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ».
[xxvii] Intitulé : « Pourcentage des contrôles réprimant les fraudes les plus caractérisées ».
[xxviii] Ce point est corroboré par le Rapport annuel DGFiP, 2011, p. 35, lequel précise qu’environ 1000 affaires sont renvoyées chaque année devant les tribunaux correctionnels. Nous serions tenter d’ajouter seulement 1000…
[xxix] Même pour les entreprises privées, des limites ont été soulignées depuis longtemps, v. pour une synthèse CHATELAIN-PONROY. (2008). p. 56.
[xxx] Le rapport FOUQUET, préc.,  relevant plutôt les insuffisances des mesures, p. 42.
[xxxi] Et pragmatiquement, la Société veut-elle vraiment plus de contrôles fiscaux ?
[xxxii] Cour des comptes, rapport préc., 2010, pp. 171-206, spéc. p. 190 ; la Cour relève de plus, que les services ont été un peu trop loin ces dernières années en se concentrant sur l’aspect budgétaire (le rendement des contrôles) au détriment de l’égalité devant l’impôt (certains secteurs d’activités sont sous-vérifiés).
[xxxiii] V. à ce sujet, l’art 24 du Décret n° 2010-986 du 26 août 2010 portant statut particulier des personnels de catégorie A de la direction générale des finances publiques.
Cette idée d’indépendance des agents publics se retrouve plus largement au niveau de l’Union Européenne au sein de laquelle a été instauré un « Code de bonne conduite administrative », à l’art. 8 en particulier.
[xxxiv] Seule la spécialisation peut permettre d’envisager un gain d’efficience, mais avec pour corollaire un relatif  appauvrissement des tâches. Cette spécialisation est déjà à l’œuvre au sein des brigades nationales et de certaines brigades de DIRCOFI, comme le précise le Rapport de performance 2001 de la DGI, accessible à l’adresse :  http://www2.impots.gouv.fr/documentation/rapports/activites/dgi/2001/art8/art8_10_1.htm, page consultée en octobre 2012.
[xxxv] Une prime collective (un intéressement) existe déjà depuis 2005, de 150 € / an par agent au maximum, versée si certains objectifs sont atteints par l’ensemble de la DGFiP.
[xxxvi] Norme simplifiée n° 46 : Délibération n°2005-002 du 13 janvier 2005 portant adoption d'une norme destinée à simplifier l'obligation de déclaration des traitements mis en œuvre par les organismes publics et privés pour la gestion de leurs personnels. Accessible à l’adresse suivante :
L’article 2 précise : Finalités du traitement / organisation du travail / « gestion des tâches des personnels, à l'exclusion de tout traitement permettant un contrôle individuel de leur productivité ; »
[xxxvii] Ce qui est tout de même probable sachant que les agents sont entrés par concours de catégorie A et ne demeurent plusieurs années au sein d’un service de contrôle que par goût personnel eu égard aux difficultés objectives du métier.
[xxxviii] Parmi une population donnée, il y aurait 20% de très bons, 10% de peu performants. On se demande quelle étude scientifique a pu produire de tels chiffres. Ceci viendrait en réalité de sociétés américaines telle General Electric (« le forced ranking » i.e. des quotas), selon une publication de la revue Alternatives économiques, accessible à l’adresse :
DESROSIERES remarque (p. 17) que c’est GALTON F. qui a repris les courbes de QUETELET et les a transposées pour une analyse de la valeur génétique des individus dans une perspective eugéniste.  Il semble ainsi que les ressources humaines soient gérées sur des bases théoriques liées à ce mouvement de pensée.
[xxxix] Il est en effet plus rare que les contrôles se fassent à deux personnes ne serait-ce que pour une question de coût. Cette situation ne semble pas poser de problème particulier, les vérificateurs étant formés à cela et en ayant l’habitude.
[xl] En effet aucune limite relative à la durée des opérations sur place n’est fixée par les textes pour les PME et les grandes entreprises. Une limite de 3 mois est cependant prévue pour les plus petites structures commerciales.
[xli] V. par ex. CE, 02/05/1990, n° 58215, RJF 6/90 n° 721 ; c’est au contribuable de prouver que le dialogue n’a pas eu lieu nonobstant les interventions sur place ; il y a une présomption en faveur de l’administration.
[xlii] Cet auteur développe dans sa thèse une analyse basée sur les représentations et la rationalité des acteurs du contrôle.
[xliii] Ceci peut se comprendre dans la mesure où la loi s’interprète et où l’administration elle-même attend de la mesure de la part des agents ; c’est la notion « d’application mesurée de la loi fiscale » mentionnée dans le Rapport FOUQUET, préc.,  p. 5.
[xliv] L’auteur parle de « juge fiscal » afin de caractériser la position très particulière du vérificateur.
[xlv] Pour une description fine du rôle de l’expert tant vis-à-vis du client que vis-à-vis de l’inspecteur lors d’un contrôle sur place.
[xlvi] Point clé pour la qualité de l’audit selon RICHARD. Selon nous, plus le contribuable perçoit une indépendance de l’inspecteur (instruction menée à charge et à décharge), plus grande est la légitimité du contrôle, du moins aux yeux du contrôlé. Cela prend du temps, à rebours d’une recherche d’efficience.
[xlvii] RICHARD caractérise la relation de confiance selon la typologie suivante : confiance calculée (relation d’agence),  hybride (relation inscrite socialement), puis institutionnelle (relation institutionnalisée).
[xlviii] Concernant la négociation qui parfois s’engage entre contrôleur et contrôlé pour arriver à un accord d’ensemble, tout en restant dans le cadre légal. Cela ne doit pas surprendre dans le cadre d’une procédure qui se veut essentiellement orale et contradictoire.
[xlix] Pour une synthèse des modèles complexes d’interactions entre individus - organisation et prise de décision éthique dans un contexte d’audit des comptes.
[l] Cognitif signifie s’intéresser à la manière dont l’individu (approche de l’individualisme méthodologique) traite l’information et comment se construit ainsi une rationalité de l’action dans une relation interindividuelle. Un des pères de la sociologie cognitive est M. Aaron CICOUREL.
[li] Ayant généralement grade de directeur divisionnaire, devenu administrateur des finances publiques adjoint dans le cadre de la fusion des corps entre la DGI et la DGCP.
[lii] Pour une présentation synthétique de l’interprétation en droit.
[liii] Ce qui est surprenant, et ce d’autant plus que les lois de finances sont préparées par ceux-là même qui par la suite voudraient en orienter l’interprétation. Une explication tiendrait à considérer que la matière est très technique et nécessite de fréquentes adaptations que le travail législatif ne permet pas. Une autre analyse consisterait à y voir une stratégie de l’administration : faire voter des lois sévères par le parlement puis en adoucir l’application, ce qui permet d’avoir le beau rôle et gérer avec plus de facilité la relation avec le contribuable, in CHOTIN ; v. égal. BOUVIER sur le rôle clé du ministère des finances.
La question du contrôle démocratique « d’amendements de la loi » via des circulaires se pose alors avec acuité et ce d’autant plus que les articles L 80 et s. du Livres des Procédures fiscales prévoient que le contribuable peut se prévaloir du contenu de la doctrine administrative à l’encontre d’une loi. Les fonctionnaires (et les juges) se trouvent donc dans l’obligation d’appliquer à l’occasion un texte illégal.  
[liv] Voire de requalification, comme le permet la jurisprudence du Conseil d’Etat.
[lv] Selon certains auteurs, cette prolifération est une source de liberté pour l’interprète qui pourra tenter de remettre de l’ordre au sein d’une production normative manquant de cohérence d’ensemble ; par ailleurs, le rapport FOUQUET, préc., p. 8, rappelle que, pour ne s’en tenir qu’à ce corpus, le Code Général des Impôts contient environ 5.000 articles dont 1.000 sont modifiés chaque année.
[lvi] Une application rigide des textes n’est  pas demandée par l’administration fiscale, c’est la notion « d’application mesurée du droit fiscal », v. not. Rep. Min. Vampa, QE n° 86168, AN, 16/11/2010.
[lvii] Et de manière plus pragmatique, le contribuable pourra être découragé par la longueur des procédures, voire par les convergences de vue entre administration et juges.
[lviii] Y compris d’ailleurs, en cas de contestation ultérieure car les faits retenus et les interprétations données auront une influence sur les contours du débat juridique. L’inspecteur serait ainsi une quasi source de droit (à distinguer d’une source du droit).
[lix] Cette manière de faire est devenue un  rituel  pour le pouvoir exécutif, voire aussi pour le pouvoir législatif ; le changement serait plus facile, plus acceptable s’il se fait graduellement, précédé d’expérimentations.
[lx] Mention en est faite dans le rapport DGFiP 2009, p. 16, accessible à l’adresse :
http://www2.impots.gouv.fr/documentation/rapports/activites/dgfip/2009/index.html#18
[lxi] Il s’agit de savoir si l’opération est normale, conforme à certaines habitudes économiques et au delà, sociales pour décider si la charge enregistrée dans la comptabilité de l’entreprise est déductible des bases de l’impôt sur le revenu. A cet égard, nous pouvons donner les exemples suivants : étude des rémunérations des dirigeants, analyse des prix des transactions au niveau transnational…
[lxii] Cour des comptes. (2011). Rapport public. La mise en oeuvre de la LOLF : un bilan pour de nouvelles perspectives. p. 155, notant qu’un sondage IPSOS souligne une relative défiance des agents publics face aux indicateurs : « …41 %[une minorité donc] considèrent  que  la  performance  des  agents  de  la  fonction  publique  doit  être  mesurée  à  l’aide  d’indicateurs  chiffrés ».
[lxiii] L’usage des statistiques au sein du monde judiciaire touche probablement à la caricature, la vitesse, le nombre de dossiers traités par unité de temps devenant le critère d’une bonne justice. Mais jugez vite est-ce encore juger ? Sur un blog bien connu du domaine de la justice, un témoignage d’un magistrat en donne une perspective instructive. V. l’adresse ci-dessous, page consultée en octobre 2012 (datée de 2008) :
Ce discours sur la recherche de productivité n’est pas contredit par un haut magistrat, lors d’un colloque à la Cour de Cassation (2003). Rendre compte de la qualité de la justice, le contrôle interne. VI-A L’évaluation. Accessible à l’adresse suivante (page consultée en octobre 2012) :
http://www.courdecassation.fr/colloques_activites_formation_4/2003_2035/commaret_avocat_8294.html#
En amont, au stade de l’enquête de police, la course au nombre de gardes à vue a donné une image saisissante en 2010 des apories des discours sur la performance dans un domaine régalien.
[lxiv] V. MEYSONNIER, F. (2011), l’analyse, basée sur la relation client-entreprise privée, nous semble non adaptée au contexte étudié, même si certains concepts sont transposés dans la sphère publique (recherche de qualité, gestion des délais, bonnes pratiques..).
[lxv] V. égal. l’audition le 12 avril 2012 de Mme PECRESSE, ancien ministre du Budget, devant une commission d’enquête du Sénat sur l’évasion des capitaux,  « …Si vous me demandez si, dans une période très antérieure à mes fonctions, la liste des contrôles fiscaux était soumise à l'approbation du ministre, je vous répondrai par l'affirmative. Tel n'est toutefois pas le cas depuis que je suis en fonction : cela ne se fait plus ; c'est une période révolue… », accessible à l’adresse suivante :
http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20120409/ce_evasion.html
[lxvi] Cf. supra, note 59.

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