Le contrôle de tout, de tous les
actes de la Société est impossible et même autodestructeur. Pour fonctionner,
la Société a besoin de confiance. Et lorsque la confiance ne suffit plus, alors
la vérification est nécessaire. En cela, la vérification repose avant tout sur
la confiance. Si le monde ne peut être que contrôle, il ne peut pas non plus
n'être que confiance. Ainsi, la Société a besoin à la fois du contrôle, de la
vérification mais également de la confiance. Toute la difficulté est d'associer
les deux. Une autre difficulté est de définir la façon dont on va contrôler,
dont on va demander de rendre compte. Ces différentes manières de rendre
compte, de contrôler dépendent de l'objet contrôlé mais également des attentes
de la Société.
L'audit,
qui est une façon de rendre compte s'est largement développé en Grande Bretagne
dans les années 80. L'audit, en plus du secteur financier (traditionnellement
contrôlé via l'audit), a touché des secteurs comme l'enseignement, la médecine,
la justice. On a vu également le développement des organismes d'audit publics.
Le besoin de vérification s'est accru et ce besoin s'est assouvi via l'audit
qui est une façon particulière de contrôler.
Cependant,
l'audit s'est développé non pas seulement quantitativement mais aussi
qualitativement dans le sens où c'est avant tout "l'idée" de l'audit
qui s'est développée. C'est dans ce sens que l'auteur parle d'explosion de
l'audit.
La notion de l'audit: un programme et une
technologie
L'auteur
rejette a priori toute définition précise de l'audit dans le sens où une
définition a forcément une portée normative. Il en donne néanmoins quelques
caractéristiques: indépendance par rapport au sujet contrôlé, technologie de
contrôle, déclaration d'une opinion fondée sur des preuves et un objet
contrôlé.
Il
est important de noter qu'il existe une multitude de définitions de l'audit qui
représentent des situations très diverses. Se pose alors la question de savoir
si l'on peut parler de l'Audit en général autrement dit est ce qu'il est
possible de rassembler ces pratiques diverses sous le terme générique de
l'Audit ? Et dès lors peut-on parler d’une explosion de l'Audit?
Parallèlement,
le terme "audit" demeure assez flou. Mais c'est ce flou qui lui
permet de s'appliquer à des contextes très divers. L'audit, comme toute
pratique, a une dimension programmatique et une dimension technologique (Rose
et Miller, 1992). A savoir, l'audit est une technique (échantillonnage, tests,
méthodes analytiques, etc.) mais aussi une idée, un concept qui lui permet
d'être relié à la Société et à ses attentes, ses objectifs. Ainsi, l'explosion
de l'audit correspond à l'explosion d'une idée sous-jacente à la notion
d'audit.
Une
question alors se pose: celle de savoir pourquoi une telle idée s'est répandue?
Et pourquoi a-t-elle pris une telle force? Quelle relation entretient l'audit
en tant qu'idée avec les audits en tant que techniques diverses? Quelles
implications cela a-t-il sur les contextes dans lesquels l'audit est appliqué
et sur la Société en général?
Les pré requis: l'audit financier
L'idéal
de l'audit financier qui correspond à l'idée de l'audit s'étend à de nombreux
autres secteurs (explosion de l'audit). Pourtant, dans le même temps, l'audit
financier, dans la pratique est remis en cause. On peut même parler d'échec. Il
est alors paradoxal de constater que l'audit financier est à la fois dans une
situation d'échec et dans une situation de succès. Ceci pourrait d'ailleurs
être à la base d’un décalage des attentes ("expectations gap"). Ce
décalage des attentes, autrement dit ce flou, est pourtant à la base du succès
de l'audit et nécessaire à son explosion.
Les causes: un besoin d'autorité et de
responsabilité
Les
causes de l'explosion de l'audit sont essentiellement un changement dans la
conception des entreprises et des administrations et la fin de la distinction
entre secteur privé et secteur public. Les attentes dans les actions du secteur
public se sont rapprochées de celles du privé. On demande plus de
responsabilité et la capacité de rendre des comptes, ce qui a permis le
développement de l'audit, qui lui-même a permis la légitimité des actions des
audités.
De
plus, avec le mouvement du New Public Management, il y a une volonté de l'Etat
à se désengager et à ne constituer qu'une instance de surveillance indirecte,
ce que permet l'audit. L'audit a été également la solution retenue car il est
aussi une idée qui permet d'orienter la performance des audités en terme
d'économie; de rendement et d'efficacité.
Les moyens: le processus d'audit
La
mise en place de l'audit s'effectue via des techniques. La question est alors
de savoir comment ces techniques se sont instituées et quelle légitimité elles
ont? En effet, les pratiques de l'audit sont considérées comme efficaces et
pourtant n'ont comme seule légitimité que le bon sens. On est ici face à une
solution paradoxale.
Les effets et les conséquences de l'audit
L'audit
n'est jamais neutre, dans le sens où il s'agit d'une idée. Il oriente les
relations de responsabilité et les structures de motivation. On peut alors
assister à une situation de découplage où l'audité a mis en place une barrière
entre l'audit et l'activité réelle de l'audité ou à une situation de
colonisation, situation dans laquelle l'audit oriente profondément l'activité
de l'audité.
Les perspectives: la société de l'audit
L'explosion
de l'audit a une autre conséquence, celle de couper le dialogue et donc de
limiter la transparence et la démocratie. Il impose la confiance dans l'audit
effectué. Seul le contrôle est une source de confiance et le développement de l'audit
contribue à créer la Société de l'audit qui exige toujours plus de contrôles
externes et indépendants pour rétablir la confiance, la demande de plus de
contrôle mettant en péril la confiance. La Société de l'audit se situe alors
dans un cercle vicieux
Fraude, attentes et montée en puissance de l'audit financier
L'audit
financier est une pratique très ancienne et c'est lui qui a influencé les
pratiques d'audit dans d'autres contextes (même si elles ont une conception
distincte à de nombreux points de vue). L'audit financier constitue un modèle
de référence. L'auteur veut ici montrer que, malgré son rôle de référence,
l'efficacité de l'audit financier et la pertinence de ses méthodes restent
floues. Au final, la qualité de l'audit dépend du jugement de l'auditeur; d'où
sa remise en cause mais aussi son succès.
Bref historique de l'audit financier
La
nécessité de l'audit s'est fait sentir à partir du moment où un principal
n'était plus capable de "contrôler" son agent (ou d'avoir confiance
en lui). Les premiers audits se faisaient sous forme orale. Les preuves avaient
alors la forme de témoignages. Avec la complexification des transactions, les
preuves sont devenues des documents.
L'audit
financier tel qu'on le connaît actuellement est apparu au XIXème siècle au
moment où la propriété s'est séparée de la direction de l'entreprise. L'audit
avait alors pour but d'attester la qualité des états financiers. L'audit, à
partir de la deuxième moitié du XIXème siècle, est devenu un objet de
législation et une obligation pour les entreprises à responsabilité limitée,
l'auditeur devant appartenir à une association professionnelle agréée. L'audit
financier est devenu un "examen
indépendant et l'expression d'une opinion par un auditeur qualifié à propos des
états financiers d'une entreprise".
La vérification et le contrôle interne
L'auteur
aborde ici la question du type de contrôle à effectuer par l'audit financier.
Il existe un dilemme entre la profondeur de l'audit (la vérification doit
consister à comparer les états financiers aux opérations enregistrées ou à la
réalité des opérations) et la portée de l'audit (c'est-à-dire le nombre de
transactions à contrôler) sachant que l'audit a un coût.
Un
moyen de résoudre ce dilemme est alors de s'appuyer sur l'autocontrôle exercé
par l'audité sur lui-même, c'est à dire le contrôle interne, pour mener l'audit
externe. Ainsi la portée de l'audit dépend de la qualité du contrôle interne et
l'audité devient un acteur actif de son propre audit. L'audit financier devient
alors un audit des systèmes plus qu'un audit de la réalité des transactions
dites contrôlées.
De
façon générale, l'évolution de l'audit se résume en tentatives de résolution de
problèmes pratiques sous contrainte de coût.
Audit, fraudes et attentes
Le
premier objectif de l'audit a été la détection des fraudes ou des erreurs
(examen exhaustif de toutes les transactions). Ce n'est qu'au milieu du XXème
siècle que l'objectif de l'audit devint l'émission d'une opinion sur les états
financiers de façon progressive (pour les praticiens). Les attentes du public,
des bénéficiaires de l'audit, n'en restent pas moins la détection des fraudes,
d'où l'existence d'un décalage en matière d'attentes (se pose encore ici, mais
différemment la question de savoir si l'audit doit contrôler des systèmes ou la
réalité des transactions). De là naît également la question de l'étendue de la
responsabilité des auditeurs.
Au
niveau technique, il est important de noter que la boîte à outils de l'auditeur
n'est pas complexe et repose principalement sur le jugement d'un homme:
l'auditeur. Pourtant, pour préserver l'existence de l'audit, il est nécessaire
"d'enjoliver" la situation au niveau du grand public, pour préserver
un flou nécessaire à l'existence de l'audit, d'où un décalage des attentes.
L'auditeur est incapable de détecter toutes les fraudes et il faut pourtant que
le grand public le pense.
L'audit et la dialectique de l'échec
Comme
les attentes envers l'audit sont la détection des fraudes, l'audit se retrouve
souvent en situation d'échec. Il est cependant difficile devant le cas d'une
faillite, alors que les états financiers ont été certifiés, de savoir s'il
s'agit d'un échec de l'audit ou non (c'est
dire que la faillite était prévisible ou non). Ainsi, l'audit est voué à
l'échec (au moins dans les attentes des bénéficiaires).
A
chaque vague d'échec de l'audit, on assiste à une nouvelle réglementation, une
nouvelle réforme de l'audit pour réintroduire de la confiance dans l'audit.
Ainsi, l'audit est de plus en plus institutionnalisé, formalisé, du fait qu'il
est voué à l'échec.
L'obscurité essentielle de l'audit
Il
existe une obscurité quant à la valeur ajoutée de l'audit. En effet, on ne peut
mesurer la qualité d'un audit, la qualité d'une certification. On ne connaît
pas la fonction de production de l'audit, pas même les auditeurs, de là il
existe une obscurité quant aux connaissances du couple coût - certitude de
l'audit.
De
cette obscurité, naît l'importance de la réputation des cabinets d'audit (la
qualité de jugement d'un auditeur se mesure avec le temps), l'importance de
faire confiance aux professionnels. Si la réputation n'était pas si importante
sur le marché de l'audit (donc si la fonction de production était connue),
celui-ci serait pénétrable par des non auditeurs. Cette situation pourrait
mener à la disparition de l'audit. Cette incertitude confère un certain pouvoir
aux auditeurs. Ce niveau d'incertitude permet à l'audit de vivre et de
s'adapter aux réformes et même de s'étendre à d'autres contextes.
L'auditeur dans le secteur des services
financiers
L'audit
est au cœur de la réglementation du secteur financier. Si la confiance en
l'auditeur s'effondre alors la confiance dans la réglementation du secteur
financier s'effondre avec lui. Ainsi, malgré le fait que l'audit soit voué à la
dialectique de l'échec, cette pratique persiste pour maintenir la confiance
dans le système. De ce fait, à chaque épisode de crise de l'audit, on
particularise les échecs pour maintenir l'idée que l'audit est un bon système
de contrôle.
Pour
préserver la confiance, on formalise alors des pratiques déjà
institutionnalisées. Cependant, cette formalisation, cette réforme font l'objet
de négociation entre la profession et les différentes strates réglementaires,
le résultat étant le fruit d'un jeu politique.
Le système de l'audit financier
Il
n'y a cependant pas que l'aspect réglementaire, officiel qui permet d'assurer
une certaine confiance dans l'audit. Il s'agit simplement d'un premier niveau
d'un système qui, dans son ensemble, assure une stabilité à l'audit.
Le
deuxième niveau est celui qui permet à tous les professionnels d'acquérir ces
connaissances officielles (1er niveau). Il s'agit des processus de
formation et de socialisation.
Le
troisième niveau est celui de la pratique, de la formation du jugement sur les
états financiers. Il s'agit de concilier les pressions économiques avec le
niveau d'assurance nécessaire de la véracité de l'objet étudié.
Le
quatrième niveau est le lien qui joint la pratique (3ème niveau),
les connaissances officielles (1er niveau), le système de formation
(2ème niveau) avec le niveau de qualité requis par l'environnement
de l'audit, les attentes des utilisateurs de l'audit.
L'audit et la réinvention de la gouvernance
L'auteur
s'intéresse ici aux causes de l'explosion de l'audit, au fait que l'audit ne
s'applique non plus seulement au secteur de la finance mais également à
d'autres domaines.
Depuis
les années 90, la volonté de mettre en place une bonne gouvernance des
entreprises s'est développée. On peut définir de multiples façons la
gouvernance, cependant un élément revient très souvent: celui de l'importance
du contrôle interne. L'auteur examine trois programmes d'intensification de la
gouvernance des entreprises, la place prise par l'audit dans de tels changements
et les limites que celui-ci rencontre.
L'internalisation de la gouvernance: le New
Public Management et l'audit d'optimisation des ressources
Le
premier programme étudié est celui du New Public Management qui a pour but de
réinsuffler l'esprit d'entreprise dans la machine d'Etat, de réintroduire des
mécanismes de marché dans son fonctionnement. Un tel programme s'est mis en
place du fait de la nécessité de réduire les impôts mais aussi de la volonté de
désengagement de l'Etat de la sphère économique. Une troisième cause est la
nécessité ressentie d'une plus grande responsabilité des services publics. Le
fait de considérer l'aspect financier comme central et une volonté de contrôle
à distance ont permis à l'audit de se développer dans un tel programme.
La
forme d'audit qui s'est développée n'est cependant pas la copie conforme de
l'audit financier. Il s'agit plus d'un audit d'optimisation des ressources. Cet
audit se concentre sur trois points: les trois "E": économie,
efficacité et efficience. Il y a cependant un dilemme au sein même de l'audit
d'optimisation des ressources: le besoin d'économie pour préserver la ressource
fiscale est antinomique avec l'envie d'une plus grande qualité des services
publics. L'audit a une apparence politique neutre, c'est-à-dire qu'apparemment
il ne privilégie pas une direction plutôt qu'une autre. Cela n'est pourtant pas
possible.
Le
développement de l'audit dans le programme du New Public Management s'est
également accompagné d'un essor des institutions d'audit public (même si elles
existent depuis un certain temps). En Grande Bretagne, il existe deux organes
d'audit public. Le premier est l'Office national de l'audit qui est
traditionnellement l'organe d'audit suprême et qui a le rôle de contrôler et
d'évaluer les actions de l'exécutif pour le Parlement. Cet organe doit être
neutre au sens politique dans le sens où il ne doit évaluer que les moyens mis
en œuvre par l'exécutif pour atteindre les fins déterminées par le Parlement.
Le
deuxième organe est la Commission créée dans le but de mettre en place le
programme du New Public Management. C'est un organisme créé par le pouvoir
exécutif mais qui peut également rendre compte au Secrétaire d'Etat. Les audits
mis en place par la commission sont des audits d'optimisation des ressources
dans l'esprit du New Public Management. Ici se pose alors la question de la
neutralité de l'audit public. Le but principal de la commission est de mettre
un frein aux dépenses publiques, ainsi les audits pratiqués s'orientent déjà
vers un audit de l'économie plutôt que vers un audit des trois "E".
Ceci est d'autant plus vrai que la Commission d'audit a fait régulièrement
appel à des cabinets d'audit privés forcément imprégnés par les techniques de
l'audit financier.
L'audit
d'optimisation (les trois "E") peut être mis en œuvre de différentes
façons. En effet, il existe une marge de manœuvre dans la conduite d'audit
d'optimisation. Cette obscurité des objectifs de l'audit d'optimisation (tout
comme cela était vrai pour l'audit financier) lui permet d'exister et d'évoluer
selon les besoins. Ainsi, il évolue en privilégiant l'économie plutôt que
l'efficacité ou inversement, mais surtout en faisant cohabiter des objectifs
pourtant antinomiques.
L'auteur
souligne un autre problème. L'audit a besoin de mesures quantitatives, de
preuves pour donner un jugement. Hors, la mesure de l'efficacité des services
publics n'est pas toujours évidente ni définie avant que l'audit d'optimisation
soit en place. Ainsi, l'audit va construire la performance par la construction
d'indicateurs de performance autant qu'il va la vérifier. De plus, sachant que
l'audit d'optimisation des ressources est fortement influencé par l'audit
financier, les mesures d'efficience et d'économie auront tendance à prendre le
pas sur les mesures d'efficacité. On peut alors affirmer que l'audit
d'optimisation est tout sauf neutre.
L'internalisation de la gouvernance:
réglementation et essor du contrôle interne
La
redéfinition du rôle de l'Etat en tant que contrôleur externe de services publics
a été concomitante à une discussion sur l'autorégulation (ou encore le contrôle
interne) tant au niveau public que privé. On attend une plus grande efficacité
de l'autorégulation et on voit alors apparaître une couche de strates
réglementaires, l'audit servant d'intermédiaires entre ces strates, ce qui
contribue à l'explosion de l'audit.
Le
code Cadbury s'inscrit dans une telle perspective. Il met au centre de la
réglementation le contrôle interne mais également la gestion des risques qui
lui est attenante. Ainsi, le conseil d'administration est chargé d'établir un
rapport sur l'efficacité du contrôle interne, l'auditeur devant le contrôler.
Se pose alors la question de la nature du contrôle? L'auditeur doit contrôler
que le rapport existe bien ou alors il
doit vérifier l'efficacité du contrôle interne? On est face au risque que le
contrôle du contrôle ne vérifie plus la réalité économique du fait que l'audit
externe ne contrôle plus que des systèmes. On a alors une évolution du rôle de
l'audit. Il doit rendre visibles les dispositions internes de contrôle mis en
place par les entreprises. Notons que les nouvelles missions de conseil
suscitées par le code Cadbury en matière de contrôle interne constitue
également une source de l'explosion de l'audit.
L'internalisation de la gouvernance: l'audit
de qualité et l'audit environnemental
Le
troisième programme étudié par l'auteur est celui du développement de l'audit
de qualité et particulièrement l'audit environnemental qui est un audit de
qualité. Même si la qualité a toujours était au cœur des préoccupations des
entreprises, celle-ci a changé dans les années 80. Autrefois on se préoccupait
de la qualité des produits. Aujourd'hui, on se préoccupe davantage de la
qualité du processus. Ainsi, la qualité est devenue une notion de gestion
notamment avec la notion de qualité totale.
L'esprit
de la qualité totale est de mettre en place une organisation interne
performante capable de générer de la qualité. La qualité totale, qui comme on
l'a dit touche aux processus, ne constitue pas une recherche de l'excellence
mais une conformité à des normes préétablies de qualité de ces processus.
Ainsi, l'audit trouve sa place dans la garantie de la qualité, de la conformité
aux normes. L'audit est d'autant plus nécessaire que la qualité est un concept
flou, non visible qu'il faut garantir pour le rendre crédible aux yeux du monde
extérieur et ce sous la forme d'un audit. Il faut également rappeler que ce
souci de la qualité a autant touché le secteur privé que le secteur public
(audit d'efficacité).
Un
exemple particulier de l'audit de qualité pourrait être l'audit
environnemental. Au Royaume-Uni, la réglementation environnementale est faite à
la fois de dispositions obligatoires et de mesures volontaires. L'aspect
intéressant de l'audit environnemental est qu'il repose aussi sur du
volontariat. A ce titre, il s'appuie principalement sur les systèmes internes
des entreprises, il est à la fois un objet de réglementation et à la fois un
outil de gestion dont se servent en interne les entreprises.
Même
si l'audit financier a servi de référence à l'audit environnemental, il s'en
distingue principalement par le fait que l'audit environnemental est avant tout
un outil de gestion qui permet de communiquer avec l'extérieur et qui permet de
se conformer à la réglementation (en tant que fonction secondaire). Au
contraire, l'audit financier est un outil de réglementation qui parfois être
utilisé en interne. Ainsi, l'audit sert d'instrument de liaison entre le corps
réglementaire et les mécanismes internes (avec une visée de gestion) des
entreprises. Les auditeurs ont une position d'intermédiaire dans le dialogue.
Il
est important de souligner que l'audit environnemental, tout comme l'audit
financier ou l'audit d'optimisation des ressources, porte en lui une certaine
obscurité quant à ces objectifs. La production de l'audit, autrement dit
l'assurance d'une qualité de l'environnement,
demeure dans l'obscurité. De même, la documentation relative à l'audit
environnemental reste également dans le vague.
Le
fait que l'audit environnemental soit devenu, non plus seulement un outil de
gestion, mais aussi un outil réglementaire a contribué à l'explosion de
l'audit. De même, les audits de qualité, de façon générale, ne sont peut être
pas tous devenus des audits obligatoires au sens réglementaire, mais le sont
devenus dans un sens isomorphique, poussés à la conformité.
Les
trois programmes vus ci-dessus donnent une place importante à l'audit. En
effet, ils le placent dans une posture de contrôle de systèmes, de contrôle du
contrôle dans un mécanisme beaucoup plus vaste où l'autorégulation est la règle
et où les strates réglementaires se superposent. L'objet de réglementation est
devenu le système. "L'explosion de l'audit est liée au besoin de créer une
entité d'auto-vérification susceptible d'être auditée, qui tente d'associer
l'idéal de responsabilité à celui d'auto-apprentissage." L'audit est
devenu à la fois un outil de gestion et de réglementation.
Les outils de l'audit : échantillons, spécialistes et
systèmes
L'auteur,
au travers de trois exemples, veut ici montrer que les techniques utilisées par
l'audit contribuent à démontrer l'efficacité de l'audit tant du point de vue
technique que programmatique. Ces techniques et surtout leur construction
sociale permettent de donner "l'illusion" de la valeur ajoutée de la
certification donnée par l'audit.
L'échantillonnage, les risques et l'économie
de l'audit
La
question de l'échantillonnage porte en elle le dilemme de la portée (combien de
contrôle faut-il effectuer?) et de la profondeur (jusqu'où faut-il pousser les
tests) sachant que l'audit a un coût, et qu'on ne connaît pas précisément la
fonction de production de l'audit soit la fonction coût-certitude.
Au
départ, l'échantillonnage était une technique de l'audit apparue par la
pratique: il était devenu impossible de tout contrôler. On n'avait pourtant
pas, à l’époque, une connaissance précise de la représentativité de
l'échantillon contrôlé. Ces contrôles n'avaient alors pas théoriquement la force
de preuves sur lesquelles l'auditeur pouvait appuyer son jugement. Cependant,
il existait un consensus tacite sur ce qu'était une preuve raisonnable et sur
ce qui était jugé comme représentatif.
Par
la suite, et après le développement de la statistique, les auditeurs ont essayé
d'apporter des soubassements théoriques à leur pratique d'échantillonnage.
Pourtant, la statistique apparaissait trop formelle et pouvait constituer, à
plus ou moins long terme, une atteinte au pouvoir que possédaient les professionnels:
le pouvoir de jugement, et ce malgré les pressions externes. Ainsi, s'est
installé un jeu dialectique entre le formalisme des pratiques, nécessaire à la
confiance dans la profession et le jugement de l'auditeur, c'est-à-dire une
marge de manœuvre pour le praticien.
A
partir du milieu des années 80, les méthodes d'échantillonnage sont abandonnées
au profit des méthodes centrées sur le risque. On abandonne, par là même,
l'envie de rationaliser l'audit. On accepte plus le fait que l'audit est avant
tout un jugement. Le succès de ces méthodes, en plus de se focaliser sur les
risques atypiques mais de fortes intensités qui est la préoccupation ambiante,
vient du fait qu'il s'agit d'une méthode qui entretient une certaine obscurité.
Celle-ci permet l'existence d'une impression de changement programmatique sans
réel changement dans les techniques utilisées. Ainsi, l'audit fait constamment
appel à des techniques qui permettent de le légitimer mais aussi de
fonctionner.
Les spécialistes et l'autorité que confère
la distance
L'auditeur,
pour certifier l'objet audité, devrait avoir une connaissance de toutes les
techniques utilisées par cet objet. Or, ceci est impossible. L'auditeur doit
forcément recourir à des experts. Un bon exemple serait l'estimation (d'un
immeuble de l'émission de gaz de la performance ou encore d'une marque) où
l'auditeur est obligé de recourir au savoir d'experts et de faire confiance à
leur savoir-faire, sinon l'audit reste impossible.
L'audit
n'est possible que s'il existe un consensus sur la bonne manière de faire, ici
il s'agirait d'un consensus sur la bonne façon d'estimer. Si le consensus
n'existe pas alors l'audit est impossible. Or le consensus n'existe que si les
méthodes utilisées par les experts sont crédibles et donc si l'expert est
crédible. La crédibilité d'un expert se construit socialement, elle se négocie.
Ainsi, savoir si il est possible ou non d'effectuer un audit dépend d'une
négociation sociale. De plus, l'auditeur "comptable" n'accepte pas
forcément le diagnostic d'un expert non comptable puisqu'il lui subtilise un
certain pouvoir, ce qui constitue également un point de négociation.
Les systèmes de gestion considérés comme
d'éventuels objets d'audit
Pour
juger de la qualité d'un produit et donc d'un système de production, il suffit
d'analyser ce produit. Cependant, cela n'est pas toujours possible. Une autre
solution est alors l'audit des systèmes. Ceci est le cas pour l'audit
financier, il est devenu impossible d'auditer toutes les transactions à la
source des états financiers, on audite alors le système de contrôle interne.
Ceci est également vrai pour l'audit environnemental et les audits de qualité
en général. Au Royaume-Uni, pour mener de tels audits de qualité (définition
d'objectifs, contrôle des systèmes pour voir si les objectifs ont été atteints,
puis redéfinition de nouveaux objectifs dans un but d'amélioration), a été
élaborée la norme BS 5750 par
exemple.
Cette
situation contribue à l'explosion de l'audit. L'audit intervient de deux façons
différentes dans ce processus. D'abord, il y a un audit interne qui détermine
si le système a réussi à atteindre les objectifs fixés. Ensuite il y a un audit
externe pour vérifier que l'audit interne mis en place est en conformité par
rapport à la norme de qualité. Ceci permet la reconnaissance publique de
l'audit interne.
Le
problème de tels audits est que la performance et les objectifs à atteindre en
terme de performance sont déterminés par l'audité lui-même. L'importance est
alors d'obtenir une accréditation des systèmes plutôt que l'atteinte d'un
certain niveau de performance.
Rendre l'audit possible
Rendre
l'audit possible est un problème technique de choix des méthodes utilisées mais
il faut également que ces méthodes utilisées soient considérées par tous comme
raisonnables, qu'elles soient institutionnalisées, reconnues socialement.
Les
trois exemples ci-dessus ont montré tout l'enjeu de la reconnaissance sociale
des techniques utilisées pour que l'audit puisse être mené, et ce tout en
gardant l'obscurité nécessaire à l'existence même de l'audit. Cependant,
l'audit modifie son environnement.
Les outils de l'audit : entités et performance
L'auteur
analyse les conséquences de l'explosion de l'audit et plus particulièrement
dans la mise en place du New Public Management. Dans ce cas, l'audit n'a pas
été mis en place pour vérifier mais pour stimuler le changement via la
définition d'indicateurs de performance auditables.
Le New Public Management: critiques et
réactions
Le
New Public Management a la vocation de réintroduire l'esprit d'entreprise dans
les services publics. Cependant, la culture gestionnaire insufflée tend à
détruire la culture professionnelle des fonctionnaires, mettant en péril la
qualité des services.
Il
n'y a pas d'évaluation de cette réforme alors que l'esprit de cette réforme est
en partie l'évaluation. Il n'y a donc pas de remise en cause possible.
Enfin,
l'instrument utilisé, c'est-à-dire l'audit, est supposé être efficace et
neutre; ce qui n'est pas forcément le cas. L'auteur le démontre dans les
paragraphes suivants.
La performance soumise à l'audit:
dissociation ou colonisation?
Le
but est ici de visualiser les liens que peut avoir l'audit avec son
environnement, et plus particulièrement les situations d'échec de l'audit. Il
existe deux situations d'échec "de
type pur": la dissociation et la colonisation.
La
dissociation est le fait que de nouvelles structures se développent au sein de
l'audité pour constituer un rempart par rapport au système d'évaluation
externe. Ainsi, l'audit et l'activité de l'audité sont déconnectés. L'audit
s'intéresse plus à la forme de la performance qu'à sa réalité. Ces pratiques de
compartimentation sont coûteuses et diminuent la performance des audités, ce
qui constitue donc un échec de l'audit (qui vise à l'évaluation et
l'amélioration des performances). Il faut cependant noter que la dissociation
n'est jamais parfaite.
La
colonisation est la deuxième situation d'échec de l'audit. L'audit a une telle
influence sur l'entreprise auditée qu'il lui impose ses propres valeurs et tend
à terme à supprimer les spécificités de l'audité et surtout la notion de ce qui
est important. Ce type de situation peut alors provoquer des dysfonctionnements
et donc nuire à la performance, ce qui constitue un échec pour l'audit. Pourtant,
l'audit d'optimisation des ressources (dans le cadre du New Public Management)
a pour but un certain degré de colonisation des services publics. Il faut
cependant noter que la colonisation n'est jamais totale, il existe toujours une
forme de résistance de la part des audités.
L'auteur
considère ensuite trois exemples qu'il va analyser, cherchant à voir comment
l'audit influence ses "clients" et voir quelle trajectoire d'échecs
ils empruntent.
L'audit des enseignants et des chercheurs
La
réforme du New Public Management s'est accompagnée d'abord de changements
institutionnels, de nouveaux modèles d'autorité mais aussi de nouveaux
indicateurs formalisés pour contrôler la répartition et l'utilisation des fonds
dévoués à l'enseignement et la recherche en place d'une auto-évaluation.
Au
niveau de la recherche, l'audit tend à évaluer la qualité de la production. Les
allocations de fonds commencent d'ailleurs à être influencés par les
indicateurs de qualité. Les différents indicateurs utilisés ont été les feuilles
de présence (non appliqué devant une grosse protestation), l'audit financier
(assez flexible pour être accepté des chercheurs), etc. Les conséquences d'une
telle réforme a été d'inciter à publier davantage, et ce au détriment de
l'enseignement, de publier des articles dans des revues prestigieuses plutôt
que l'édition de livres (non reconnu comme le produit d'une recherche) ou que
la préparation de conférences. On assiste donc à une forme de colonisation de
l'audit.
Au
niveau de l'enseignement, l'audit oscille entre l'assurance de la qualité de
l'enseignement en tant que produit et l'assurance de la qualité du processus
d'enseignement donc de l'institution. Les universités ont développé des
stratégies de dissociation en créant des organes chargés de gérer l'évaluation
externe. La résistance par rapport aux changements est donc assez prégnante.
La
situation actuelle des chercheurs et enseignants face à l'audit est encore
ambivalente, les systèmes de contrôle ne sont pas encore complètement opérationnels,
les objectifs de l'audit de qualité ne sont pas encore fixés. Cependant, ce qui
peut être dit est que l'audit tel qu'il est pratiqué aujourd'hui est
contre productif et coûte.
L'audit des médecins et des infirmières
L'audit
médical est une pratique bien antérieure à la réforme du New Public Management.
Ainsi, la réforme n'a d'abord pas eu de réelles influences sur la nature de
l'audit pratiqué. Celui-ci est resté très informel et proche du terrain. On
note cependant l'existence de conflits entre médecins et professionnels de
l'audit pour prendre en charge le processus d'évaluation. Certains changements
d'ordre institutionnel ont eu lieu, comme la création d'un véritable marché des
services médicaux, ou l'obtention de fonds par les médecins généralistes sous
la condition dune certaine forme d'audit.
Le
corps médical, face à la menace de la réforme, a développé une stratégie de
"dissociation inverse", c'est-à-dire que le corps médical a eu une
attitude proactive, mettant en avant une vision de l'audit local (sous la coupe
médicale) et volontaire. Le but de la stratégie est de maintenir une certaine
opacité de la réalité de l'audit face aux contrôleurs externes.
Le
mouvement s'et également accompagné d'une forme de colonisation par la
pénétration d'objectifs gestionnaires plutôt que médicaux. La question de
l'adéquation du cycle de l'audit, par nature court, avec le cycle des
traitements parfois longs (surtout dans certaines spécialités comme la
psychiatrie) s'est posée, tout comme la définition de l'efficacité, de la
qualité.
Dans
l'ensemble l'audit médical reste contesté tant au niveau de sa définition (qui
reste floue) qu'au niveau de ses applications. Les professionnels
souhaiteraient un audit de qualité centré sur le processus alors qu'on tend
vers un audit de qualité centré sur les résultats, plus facile à mener. La
question des indicateurs de performance reste entière, surtout quant à leur
degré de finesse. "A l'heure actuelle", on ne peut encore dire quelle
tendance, colonisation ou dissociation va prendre le pas sur l'autre, mais les
deux sont présentes.
Les auditeurs financiers et l'audit
Malgré
l'explosion de l'audit, celui-ci n'est pas au dessus de tous soupçons. C'est
pourquoi, au Royaume-Uni, a été instauré l'audit de la qualité de l'audit. Ceci
est passé par des changements institutionnels et notamment la création de l'Unité de contrôle collectif. Il s'agit
d'un audit d'assurance de la qualité centré sur le processus. Ainsi, les
cabinets comptables, petits ou grands, ont dû investir dans une base
documentaire pour démontrer la qualité de leur processus de jugement.
L'audit
des petits cabinets, pourtant nécessaire pour une représentativité de la
population auditée, a rencontré des problèmes de mise en œuvre du fait de son
coût. L'absence de documents écrits a conduit l'unité de contrôle collectif à
rendre des jugements défavorables du fait de manque de preuves matérielles pour
consolider son jugement sur la qualité de l'audit. Ceci a provoqué l'arrêt de
l'audit des petites structures, ce qui constitue un échec de l'audit de
l'audit.
L'audit
de la qualité de l'audit est une approche, on l'a dit, basée sur les processus.
En effet, un audit centré sur les résultats apparaît extrêmement difficile à
mener du fait de la non connaissance de la fonction de production de la
qualité. Ainsi, l'audit de l'audit a dû se contenter de vérifier que les
procédures suivies étaient bien en accord avec les règles de la profession, ce
qui n'apprend pas grand-chose sur la réalité de la qualité de l'audit.
En quête de performance: l'audit,
l'évaluation et l'efficacité
Ici,
l'auteur aborde les différences entre l'audit et l'évaluation (pratiquée
traditionnellement pour mesurer l'efficacité d'un service) quant aux
indicateurs de performance. Ainsi, il essaie de circonscrire les conséquences
de l'audit quant aux mesures de performance utilisées (faisant l'hypothèse que
l'audit n'est pas neutre et oriente l manière de mesurer la performance). Ce
problème se pose d'autant plus dans les services publics, plus qu'immatériels et
pour lesquels la performance est difficilement mesurable.
L'audit
a la fâcheuse tendance de ne considérer que les indicateurs facilement
mesurables, laissant de côté toute la complexité du processus et de l'échec ou
du succès d'un service donné.
Klein
et Carter (cités par Power) font une distinction entre le produit et le
résultat. Le produit est l'output d'un service; le résultat, quant à lui, est
l'impact ou la conséquence du produit. L'évaluation tend à s'intéresser au
résultat, donc à la performance dans toute sa complexité. L'audit, au contraire
s'intéresse au produit, plus facile à discerner que le résultat, évitant ainsi
la complexité. L’audit utilise une mesure simple mais perd du même coup la
compréhension de toute une partie de la performance. Ainsi, malgré une fausse
impression, l'audit n'est pas neutre. Alors, que de façon générale, on
considère que l'évaluation n'est pas neutre alors que l'audit présente une
neutralité, la précédente remarque tend à montrer l’inverse. Notons que lorsque
le produit est également difficilement mesurable, les indicateurs de
performance tendent à se concentrer sur les entrants, c'est-à-dire les coûts.
L'audit,
pour être possible, a besoin de critères de performance clairs car il constitue
une pratique de vérification, de conformité par rapport à des normes
préétablies. S'il y a absence de normes préétablies, alors l'audit est
impossible, seule l'évaluation demeure possible. Ainsi, si on institutionnalise
les critères de performance (c'est-à-dire qu'ils soient acceptés de tous), on
réduit l'évaluation à un simple audit. C'est le courant qu'emprunte le New
Public Management.
L'audit: un remède fatal?
Le
titre du paragraphe pose la question de savoir si, au final, la solution de
l'audit ne conduit pas à une diminution de l'efficacité. La question est
légitime, dans le sens où les cas étudiés par l'auteur montrent des
trajectoires d'échec de l'audit: colonisation, dissociation, qui entraînent des
coûts supplémentaires. Il est alors temps de mesurer ou plutôt d'évaluer les
apports de l'audit tant en gains qu'en pertes. En effet, il faut redécouvrir la
complexité des liens de l'audit avec l'objet audité.
Et
pourtant, est-ce possible? Dans le sens où l'audit est condamné au succès
puisqu'il est à la base de la réglementation actuelle, et ce malgré la
dialectique de l'échec qui lui est inhérente.
L'audit, la confiance et le risque
Le
dernier chapitre de l'ouvrage s'interroge quant aux conséquences globales de
l'explosion de l'audit sur la Société. Il essaie donc de mettre en lumière les
caractéristiques de la "Société de
l'audit".
Il
étudie les relations qu'entretient cette société avec la démocratie, la
confiance (puisqu'il est dit au début de l'ouvrage que le contrôle se substitue
à la confiance quand celle-ci est effritée) mais aussi avec les risques.
Audit, Responsabilité et démocratie
Le
but de l'audit est de soumettre un service, une activité à un contrôle
extérieur indépendant. Le problème est alors de connaître la nature et la
vocation du jugement rendu à partir de ce contrôle. Ce jugement constitue-t-il
une certification (adapté ou non à l'objectif), un label de qualité, un rapport
contradictoire, critique? En fait, le plus souvent, l'audit est un label de
qualité dans le sens où il n'apporte que l'opinion de professionnels, il ne
donne pas de réelles informations sur l'objet audité (même si cela est moins
vrai dans un audit d'optimisation des ressources, par exemple). Le but
principal de l'audit (en tant que label de qualité) a pour but principal de
rassurer, d'introduire du confort. En effet, il n'existe pas réellement de
rapports franchement négatifs, le risque de perdre la confiance dans les
institutions et la réglementation étant trop fort.
L’audit
n'est pas une invitation au dialogue dans le sens où très peu d'informations
sont fournies, seul est important le fait qu'un audit ait été effectué. Ainsi,
l'audit n'est pas véritablement démocratique.
De
plus, sachant que l'audit doit procurer du confort, donc ne jamais être
franchement négatif, il ne pousse pas à plus de responsabilité puisque l'audité
ne doit rendre compte que pour la forme. Ceci est paradoxal du fait notamment
qu'une des causes de l'explosion de l'audit est le besoin de plus de
responsabilité.
L'audit, la surveillance et l'inspection
L'auteur
cherche ici à savoir si l'explosion de l'audit s'accompagne d'une montée de la
surveillance ou de l'inspection ou alors si le phénomène est tout simplement
une modification des modalités de contrôle.
La
surveillance se concentre principalement sur les personnes contrairement à
l'audit qui s'intéresse désormais aux systèmes. De cela, on peut dire que la
surveillance est un contrôle de premier ordre alors que l'audit ne l'est plus.
Ainsi, l'audit est profondément éloigné de la surveillance dans le sens où il ne
sous entend pas une forme de coercition, contrairement à la surveillance.
Les
liens entre inspection et audit sont plus ténus. De plus, l'explosion de
l'audit, au Royaume-Uni, s'est accompagnée d'un développement des corps
d'inspection de l'Etat, ce qui peut pousser à un questionnement. Tout d'abord,
l'inspection est une notion difficile à cerner. Pourtant, on peut dire que
l'inspection et l'audit partagent le fait d’être des pratiques interactives. La
base de ces deux pratiques est le respect par rapport à des normes préétablies,
la conformité. Pourtant, tout comme la surveillance, l'objet de l'inspection
est la personne et non des systèmes de gestion, même si cela tend de moins en
moins à être vrai, du fait du rapprochement de l'inspection vers l'audit.
Une
différence notable entre inspection et audit est le fait que les contrôles
"d'inspection" n'ont pas un cycle particulier. On peut augmenter leur
fréquence quand on le souhaite et les mener de façon inopinée, et ce
contrairement à l'audit. C'est cette différence qui marque définitivement la
frontière entre les deux types de contrôle.
On
peut dès lors avancer que l'explosion de l'audit est moins un basculement du
contrôle vers la surveillance ou l'inspection qu'un changement du style du
contrôle. L'audit constitue un contrôle externe indépendant de systèmes
internes qui ont été soumis à l'auto-inspection.
L'audit et la confiance
La
particularité de l'audit est la place qu'il occupe entre le principal et
l'agent à partir du moment où la confiance entre deux n'est plus assez forte
pour se suffire à elle-même et qu'il faut la restaurer. La confiance en l'audit
est une confiance secondaire. Ceci soulève un paradoxe: pour pallier à un
manque de confiance, le principal fait encore appel à la confiance.
La spécificité de la société de
l'audit est le fait que la confiance dans les auditeurs est institutionnalisée.
L'audit,
mis en place pour retrouver de la confiance, suscite le plus souvent de la
méfiance chez l'audité. Ainsi, l'explosion de l'audit, dans une volonté de
rétablir la confiance, a aussi eu pour conséquence de créer de la méfiance.
L'audit
est cependant condamné à faire confiance à un moment donné à l'audité pour au
moins avoir un début d'information. L'audit est dépendant de l'audité. Ceci est
accentué avec l'évolution actuelle de l'audit qui se base sur l'auto-évaluation
que constitue le contrôle interne.
La
société de l'audit réclame plus de confiance. Pour cela, elle se sent obligée
de faire appel à l'audit pour restaurer cette confiance. Par là même, elle est
obligée de faire confiance. On parlait tout à l'heure de la dialectique de
l'échec, il faut parler ici de la dialectique de la confiance.
Le risque et l'audit
Le
risque est inhérent à la confiance. Selon Lorenz, "faire confiance suppose
d'être capable de prendre une décision en situation de risque". Dans la
mesure où l'audit repose sur la confiance, celui-ci est imprégné de risques.
Au-delà, l'audit est un traitement du risque, une pratique institutionnalisée
pour gérer le risque. L'audit travaille avec deux notions particulières du
risque. D'une part, l'audit est lié au risque juridique, c'est à dire le risque
lié à la responsabilité, notion au cœur même de l'audit. D'autre part, l'audit
repose aussi sur l'évaluation des risques des activités qu'il contrôle.
Il
faut aussi noter que l'audit est une idée. A ce titre, l'audit n'est pas
neutre, il n'est pas non plus neutre dans le traitement du risque. Autrement
dit, l'audit et l'explosion de l'audit comporte certains risques. En effet, le
but de l'audit est d'apporter un certain confort, et ce via une simplification
de la réalité qui s'accompagne d'une simplification de la perception des
risques, qui est dangereuse. Au-delà de cet aspect, on a vu que l'audit pouvait
être contreproductif et, à ce titre, constituer un risque pour la performance
des audités. Enfin, l'audit, qui ne constitue qu'un contrôle de second ordre,
n'a plus de prise avec la réalité et donc n'a plus connaissance exhaustive des
risques réels.
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