Résumé : Depuis le milieu des
années 1990, la recherche en entreprise s’est trouvée remise en question dans
ses fonctionnements traditionnels par l’avènement d’un régime de compétition
par l’innovation, qui concerne aujourd’hui un nombre croissant d’industries.
Les attentes vis-à-vis des productions de la recherche se font plus pressantes
lorsqu’il s’agit pour les entreprises d’innover de façon répétée et radicale,
alors que dans le même temps la recherche connait une rationalisation de ses
budgets et de ses processus.
Si toutes les innovations ne
nécessitent pas l’incorporation d’un important contenu en connaissances
nouvelles, certaines reposent par contre très clairement sur des avancées
scientifiques et techniques fortes. C’est le cas des innovations-produits dans
les industries basées sur la science telles que la chimie, la pharmacie ou
encore l’électronique. La recherche est ainsi une activité de première
importance dans la capacité des entreprises de ces secteurs à concevoir des
projets innovants et à les mener à bien ; cependant elle n’apparaît pas
comme suffisamment efficace par rapport aux attentes des directions d’entreprises.
Cette communication étudie le management
de la recherche en entreprise comme un levier potentiel de résolution des
problèmes d’efficacité de la recherche, sachant que nous appréhendons le
management de la recherche comme la combinaison de trois sous-systèmes :
le pilotage, l’organisation des unités et du travail et la gestion des
personnels de recherche.
Nous
poursuivons deux objectifs : 1) caractériser les modes de management de la
recherche et leur dynamique, en lien avec les stratégies d’entreprises en
matière d’innovation ; 2) mettre en évidence des modes de management de la
recherche en entreprise susceptibles de favoriser la contribution de la
recherche aux stratégies d’innovation intensive contemporaines.
Par rapport à ces objectifs, nous avons réalisé
une étude de cas approfondie sur une entreprise internationale du secteur de la
chimie de spécialités. A partir d’une analyse rétrospective menée sur une
période de quarante ans, nous identifions trois phases différentes,
caractérisées chacune par des modes de management de la recherche bien
différents. Au-delà de cette entreprise particulière, et en nous appuyant sur
d’autres études de cas et sur la littérature, nous formalisons trois modèles de
management de la recherche : un modèle science
push, un modèle market pull, et
un troisième modèle plus émergent qualifié de « recherche
concourante » plus adapté aux stratégies d’innovation intensive actuelles.
Ce dernier modèle est basé sur un principe de couplage concourant, simultané,
des explorations des connaissances scientifiques et techniques et des
explorations portant sur les opportunités économiques ; les modèles plus
traditionnels étant pour leur part construits autour de modes de couplage
séquentiel. Cette communication montre comment une telle exploration
concourante peut être mise en œuvre au travers de modes de pilotage renouvelés,
mais aussi de profondes redéfinitions de l’organisation interne des unités de
recherche, ainsi que des pratiques de travail et des compétences des
chercheurs.
Cependant, si un tel modèle
semble pertinent pour les entreprises des industries basées sur la science dans
le contexte actuel, il s’agit d’un modèle organisationnel en émergence, fragile
et dont l’applicabilité et la robustesse dépendent de facteurs internes et
externes que nous discuterons en conclusion de cette communication.
Introduction. Emphase stratégique autour de l’innovation et
crise de la recherche : un paradoxe ?
Cette
communication s’intéresse au management des activités de recherche au sein des entreprises
qui se déploient dans un contexte concurrentiel marqué par un poids très fort
de l’innovation. Certaines industries – que l’on pense à l’informatique,
l’électronique, l’automobile, ou encore les industries créatives autour de la
mode et du design - sont aujourd’hui engagées dans une compétition par
l’innovation. Des auteurs (Chapel, 1997 ; Hatchuel et al., 1998, 2001 ; Hatchuel, 2001) considèrent que de telles
industries sont entrées dans un véritable régime d’« innovation
intensive » qui renvoie tant à la fréquence de l’innovation qu’au fait que
l’innovation concerne toutes les dimensions de l’offre (depuis les
caractéristiques des produits/services jusqu’aux modes de promotion, de
distribution, etc.). Pour les entreprises qui œuvrent dans ce type de secteurs
d’activité, la capacité à soutenir un rythme élevé de mise sur le marché
d’innovations apportant de nouvelles fonctions, de nouvelles valeurs d’usage
aux clients est un élément clé de leur compétitivité, voire même de leur survie
(Brown et Eisenhardt, 1998 ; Martinet, 2003 : 27 ; Verona et
Ravasi, 2003).
Dans un tel contexte, il peut être surprenant – du moins à
première vue, comme nous allons en discuter par la suite - de constater que la
recherche en entreprise connaît des difficultés. La part des dépenses de
R&D consacrées aux activités de recherche diminue au profit du
développement et, au sein des activités de recherche, la priorité semble donnée
aux travaux plus aval dont les applications sont plus immédiates (DeSanctis et al., 2002 ; Berger, 2006 : 346).
Les organisations de recherche au sein des entreprises industrielles font l’objet
de restructurations importantes, notamment avec la fragilisation voire la
déstructuration des grands laboratoires centraux, longtemps emblèmes de la
puissance scientifique des grandes entreprises occidentales (Berger, 2006). Ces
dernières ont également de plus en plus tendance à externaliser une partie de
leur R&D (en achetant les services d’entreprises spécialisées en R&D,
en payant des licences de brevets déposés par d’autres, etc.), voire à
envisager sa délocalisation[1]. Ces
éléments contribuent certainement au malaise des personnels qui travaillent
dans les fonctions recherche de ces entreprises.
Ce constat d’entreprises mettant l’innovation au cœur de leur
stratégie tout en fragilisant leur recherche interne (quant aux moyens qui lui
sont accordés et aux choix en matière d’externalisation) amène à s’interroger
sur les liens entre la recherche et l’innovation ; et ce d’autant plus que
ces termes sont trop souvent entendus comme des équivalents, ou du moins comme
découlant l’un de l’autre[2] :
la recherche déboucherait naturellement sur l’innovation, investir en recherche
permettrait d’innover, etc. Or le constat fait précédemment tend à montrer que
cette équivalence, complète ou causale, n’est pas si évidente que cela. La
situation actuelle dans laquelle la recherche souffre, alors que l’innovation
est plus que jamais présentée comme le sarment de la réussite économique,
pousse à questionner l’utilité de la recherche pour l’innovation : si
l’innovation est cruciale pour la compétitivité des entreprises et si ces
dernières rechignent à investir de façon conséquente dans la recherche, on peut
se demander si la recherche est vraiment indispensable à l’innovation.
Pour
répondre à cette question quant à l’utilité ou l’inutilité de la recherche par
rapport à l’innovation, il s’avère nécessaire de préciser ce que l’on entend
par innovation, puisque derrière ce même terme se trouvent désignés des
éléments extrêmement différents depuis des innovations marketing jusqu’à la
mise au point de nouveaux médicaments pour traiter des pathologies face
auxquelles on était jusqu’alors démuni. Les travaux de Hatchuel (1996),
Hatchuel et Weil (2003) et Le Masson et
al. (2006) sont ici très utiles pour avancer par rapport à la notion
d’innovation. Ils ont élaboré une théorie dite « C-K » qui présente
le raisonnement de conception comme un cheminement fait d’aller et retour entre
deux espaces : l’espace des concepts ‘C’ et l’espace des connaissances ‘K’
(cf. tableau 1 ci-dessous). Ils caractérisent alors les innovations en fonction
de deux dimensions : l’écart plus ou moins important entre le concept sur
lequel repose une innovation et les concepts déjà existants et l’écart plus ou
moins important entre les connaissances qu’incorpore une innovation et le stock
des connaissances existantes. Un écart faible est noté « δ » (petit
delta) et un écart important : « Δ » (grand delta). En croisant
ces deux dimensions, il est alors possible de distinguer quatre grands types de
situations d’innovation (cf. tableau 1).
Tableau 1. Les quatre situations d’innovation, selon
la théorie C-K
Connaissances K
|
|||
δ K
|
Δ K
|
||
Concepts C
|
δ C
|
Ne mobilise pas la recherche et peu le développement
|
Nouveau procédé chimique
réduisant les coûts
|
Δ C
|
Porte-clou
|
Nylon
|
Source : d’après Le Masson et
al. (2006 : 304-305)
Certaines
innovations nécessitent peu de connaissances nouvelles (on se situe dans la
colonne petit delta K du tableau 1). Parmi celles-ci, on trouve des innovations
représentant une faible expansion conceptuelle (selon les termes de la théorie
C-K) : par exemple des modifications mineures apportées à un modèle de véhicule
automobile ; ces innovations incrémentales ne mobilisent pas la recherche
et peu le développement. D’autres innovations ne requièrent pas de
connaissances nouvelles mais introduisent un concept novateur, par exemple le « porte-clou »
qui consiste en un dispositif très simple permettant de maintenir un clou dans
la position désirée autrement qu’en le tenant entre ses doigts, ce qui permet
d’éviter d’écraser ces derniers avec de malencontreux coups de marteau.
A l’inverse, certaines
innovations nécessitent une importante création de connaissances (on considère
ici la colonne grand delta K du tableau 1). Certaines de ces innovations ne représentent
pas une expansion conceptuelle notable, il s’agit par exemple de la mise au
point d’un nouveau procédé chimique permettant de réduire les coûts mais sans
changer les propriétés du produit. D’autres innovations combinent une forte
expansion conceptuelle et une importante création de connaissances nouvelles.
En restant dans le domaine de la chimie, c’est par exemple le cas de l’invention
du Nylon par DuPont de Nemours qui a ouvert des perspectives immenses dans le
domaine des textiles, et qui est issue d’efforts prolongés de recherche y
compris fondamentale.
Dans le contexte concurrentiel actuel,
la compétitivité des entreprises se joue avant tout sur leur capacité à développer
des innovations porteuses de nouvelles fonctionnalités (Δ C) ; c’est en
proposant des produits / des services qui offrent de nouvelles valeurs d’usage
aux clients que les entreprises peuvent espérer se démarquer un temps de leurs
concurrents, sans être pour cela obligées de rentrer dans des guerres des prix
extrêmement coûteuses. Si l’on considère les industries basées sur la science
(les science-based industries, selon
la typologie de Pavitt, 1984), comme la pharmacie, la chimie ou l’électronique,
la mise au point d’innovations porteuses de fortes expansions conceptuelles
nécessite la plupart du temps une importante création de connaissances
scientifiques et techniques. Les innovations du type Δ C - Δ K sont alors des
leviers très puissants de la compétitivité des entreprises appartenant à ce
type d’industries. La recherche, que l’on peut définir à la
suite de Le Masson (2001) comme une activité contrôlée de production de
connaissances scientifiques et techniques nouvelles, a donc un rôle essentiel à
jouer dans les processus d’innovation de ces entreprises. En focalisant
désormais l’analyse – et ce jusqu’à la fin du papier – sur les entreprises
industrielles appartenant aux science-based
industries, il apparaît que ce n’est pas l’utilité de la recherche qui est
en cause. Les difficultés que cette dernière rencontre pourraient alors tenir à
une insatisfaction, notamment des directions d’entreprises, quant à son
efficacité. La recherche serait utile pour innover mais inefficace en la
matière, ou du moins jugée comme insuffisamment efficace par ses financeurs ;
la notion d’efficacité renvoyant ici aussi bien à la définition classique en
contrôle de gestion (la capacité à atteindre les objectifs fixés) qu’à son
acception chez Barnard (1938), ou par la suite dans les théories du contrôle
externe (notamment la théorie de la dépendance sur les ressources de Pfeffer et
Salancik, 1978), soit la capacité à satisfaire les attentes, les demandes des
groupes qui maîtrisent des ressources rares et cruciales pour la pérennité de
l’organisation.
Ce
premier élément de diagnostic : des activités de recherche utiles mais
jugées non suffisamment efficaces, est important mais il appelle des analyses
plus poussées. Il importe en effet de comprendre quels peuvent être les
facteurs bloquant et au contraire les facteurs susceptibles de favoriser la
contribution de la recherche aux stratégies d’innovation des entreprises des
industries basées sur la science. Après avoir pointé la responsabilité des
modèles traditionnels qui imprègnent et orientent la recherche dans les
difficultés qu’elle rencontre aujourd’hui (1.), nous verrons ce que peut nous
apprendre l’étude des logiques et des pratiques de management mis en œuvre par
certaines organisations de recherche dans des secteurs science-based (2, 3 et 4).
1. Une crise des modèles fonctionnels et institutionnels de
la recherche
1.1. Des modèles fonctionnels qui ne sont plus adaptés dans
le contexte concurrentiel actuel
L’analyse
de la littérature permet de progresser dans la compréhension des causes de
l’inefficacité de la recherche en entreprise dans le contexte actuel. Comme
nous allons le voir dans les deux points suivants, certains auteurs ont montré que
les modèles traditionnels de l’innovation – et en creux les modèles
fonctionnels de la recherche – sont inadaptés dans les situations d’innovation
qui nous préoccupent tout particulièrement, soient les innovations du type Δ C
– Δ K combinant une forte expansion conceptuelle et une importante création de
connaissances. Les modèles traditionnels de l’innovation dont il est question
ici sont les modèles du science push
(ou du technology push) et du market pull (lequel est très proche du
modèle de la chaîne interconnectée de Kline et Rosenberg, 1986), caractérisés
notamment par Foster (1986), Broustail et Fréry (1993) ou Gaillard (1997). La
notion de modèle fonctionnel de la recherche renvoie pour sa part à une
appréhension de la recherche exclusivement au travers de ses fonctions, ici par
rapport à sa place et son rôle dans le processus d’innovation.
1.1.1. Les limites du modèle science
push face à des innovations porteuses de nouvelles valeurs d’usage
Le modèle science push repose sur un principe d’exploration séquentielle des
connaissances et des enjeux. Les chercheurs commencent par explorer de nouveaux
sujets, par créer des connaissances, avant que d’autres acteurs dans
l’organisation (le marketing, les commerciaux, les entités aval) ne se
préoccupent de leurs applications potentielles. Ce modèle, qui a largement
influencé le management de la recherche industrielle depuis le premier quart du
20ème siècle jusqu’aux années 1960, a depuis été vivement
critiqué dans les univers professionnels et académiques (citons notamment Kline
et Rosenberg, 1986 ; Iansiti, 1993 ; Hounshell, 1996) : laisser
les chercheurs travailler dans leur coin conduit nécessairement à gaspiller des
ressources, les inventions mises au point par ces derniers s’avérant
impossibles à industrialiser, à intégrer dans le produit final/le système, à
vendre, etc. du moins dans des conditions de coût et de délai satisfaisantes.
Il nous semble important cependant de contextualiser ces critiques : c’est
lorsque l’on entend mettre au point des innovations porteuses de fortes
expansions conceptuelles (qu’il s’agisse d’une stratégie volontariste ou que
l’on y soit contraint), dans un contexte où la volatilité des marchés et la
versatilité des clients sont grandes, que ce modèle devient tout
particulièrement problématique. Dans ce type de situations, la valorisation
économique des résultats obtenus par une recherche travaillant en amont, de
manière autonome, est souvent difficile car la mise au point de produits susceptibles
d’apporter des valeurs d’usage nouvelles aux clients exige une grande proximité
par rapport au marché, alors que dans un modèle science push les chercheurs sont souvent très isolés des clients et
des marchés. Le caractère séquentiel des explorations des compétences puis des
possibles applications est problématique ici.
1.1.2. L’inadéquation du modèle market pull face à des innovations
requérant une importante création de connaissances
Le modèle market pull consiste quant à lui à activer la recherche uniquement
lorsque des opportunités de marché précises ont été identifiées par le
marketing ou les entités opérationnelles. Il repose donc également sur un
principe de couplage séquentiel des explorations, mais inversé par rapport au
modèle science push : ici c’est
la question des enjeux, de la valeur qui est étudiée en premier, avant que ne
soient éventuellement engagés des travaux de recherche. Compte tenu de la
temporalité propre aux processus de recherche, ce modèle s’avère inefficace
lorsque les innovations visées exigent une importante création de
connaissances. Dans les domaines de la chimie et de la pharmacie, par exemple,
les programmes de recherche durent des années, parfois plus de dix ans. En
adoptant un modèle market pull, l’entreprise
court le risque d’arriver sur le marché trop tard, en raison du temps qu’il
aura fallu pour construire les compétences nécessaires à la mise au point des
innovations. Elle peut se faire devancer par des concurrents qui disposaient
eux d’un stock de connaissances préconstruites, et/ou arriver sur le marché
après que la fenêtre d’opportunité se soit refermée (notamment dans les
relations commerciales entre industriels). Enfin, alors que les clients sont
plus versatiles sur des marchés très concurrentiels, lancer des programmes de
recherche en fonction de ce que l’on a identifié comme étant aujourd’hui les
attentes et les goûts des clients est extrêmement risqué, ces éléments évoluant
très rapidement et de manière pas toujours prévisible.
En conclusion (cf. tableau 2),
si le modèle science push peut être
pertinent dans des situations d’innovation caractérisées par un besoin
important de création de connaissances couplé à une bonne visibilité et une
stabilité de la valeur des cibles visées, si le modèle market pull peut fonctionner pour des innovations nécessitant peu
de création de connaissances scientifiques et techniques nouvelles, les
situations d’innovation identifiées comme stratégiques aujourd’hui pour les
entreprises des industries basées sur la science se retrouvent en quelques
sortes orphelines.
Tableau 2. Les zones de pertinence des modèles
fonctionnels classiques de la recherche
Connaissances K
|
|||
δ K
|
Δ K
|
||
Concepts C
|
Δ C
|
Conception réglée, ne mobilise pas la recherche
|
Science push
|
Δ C
|
Market pull
|
?
|
1.2. Des pistes pour
dépasser les limites des modèles fonctionnels classiques qui restent
incomplètes
En pointant l’inadaptation des modèles
fonctionnels de la recherche, on voit bien que la seule question des moyens alloués
à cette dernière ne peut constituer un axe de résolution des problèmes actuels.
Il ne suffit pas de réduire les budgets attribués à la recherche pour la rendre
plus efficace, du seul fait d’une contrainte de moyens de fonctionnement
réduits, de la même manière d’ailleurs que l’augmentation des budgets n’est pas
en soi la garantie d’un accroissement de l’innovation. Il s’avère dont bel et
bien nécessaire de réfléchir à de nouveaux modèles fonctionnels de la
recherche. Ainsi, par rapport aux limites des modèles classiques dans les situations
d’innovation combinant expansion conceptuelle et expansion des connaissances, des
travaux récents (particulièrement Miller et Morris, 1999, ou Lenfle
et Midler, 2003 : 62) ont mis en avant l’importance d’une exploration non
plus séquentielle mais simultanée, concourante, des compétences et des enjeux ;
ce terme d’exploration concourante faisant le parallèle, ici en considérant les
phases plus amont d’exploration, avec les principes animant l’ingénierie
concourante en matière de management de projet (Clark et Fujimoto, 1991 ; Midler, 1993).
Si ce principe d’exploration
concourante est extrêmement intéressant, ces travaux n’ont cependant pas étudié
la question de l’incarnation d’un tel principe dans des cadres institutionnels.
Or il ne suffit pas d’affirmer l’importance de nouveaux modes de fonctionnement
de la recherche pour que des résultats concrets se manifestent. La recherche
est composée d’acteurs individuels et collectifs, dont les manières de
travailler, les compétences, les valeurs, l’identité se sont construites au
cours du temps et en lien avec des dimensions institutionnelles qui débordent
largement du monde de l’entreprise (rôle de l’enseignement supérieur dans la
formation des futurs chercheurs, porosité vis-à-vis de la recherche académique)
et qui façonnent les figures professionnelles et le travail de recherche. Or il
s’avère que les modèles institutionnels de la recherche en entreprise sont en
décalage avec les nouveaux fonctionnements attendus de celle-ci, lesquels
mettent en question les structures de la recherche, ses façons de travailler, ses
objets, ainsi que les compétences, les cadres cognitifs et les repères
identitaires des chercheurs.
2. Réinventer la recherche sur ses dimensions fonctionnelle
et institutionnelle
Au-delà de la compréhension de l’origine des difficultés de la recherche
en entreprise aujourd’hui, il nous importait de réfléchir aux moyens pouvant
permettre de sortir de cette situation qui a tout d’une impasse. En
l’occurrence, une sortie de crise « par le haut » semble devoir
passer nécessairement par une réinvention de la recherche sur ses dimensions
fonctionnelle et institutionnelle. Il faut repenser les rôles de la
recherche, tout particulièrement par rapport au processus d’innovation, autant
que la question de son inscription dans des structures organisationnelles et
des cadres institutionnels renouvelés.
2.1. Repenser
les modes de management de la recherche pour restaurer l’efficacité de celle-ci
Pour cela, c’est au management
de la recherche comme levier potentiel d’une telle réinvention que nous nous
sommes intéressés, en cherchant à caractériser quels modes de management de la
recherche en entreprise seraient susceptibles de favoriser la contribution de
la recherche aux stratégies d’innovation intensive des entreprises.
Afin de préciser ce que nous
entendons par management de la recherche, indiquons tout d’abord que nous nous
inscrivons dans une approche systémique des organisations : l’organisation
y est appréhendée comme un système ouvert, composé de sous-systèmes en
interaction. C’est alors l’étude de ces sous-systèmes et de leurs interactions
qui permet de comprendre le fonctionnement et la dynamique de l’organisation. Dans
cette perspective, la recherche est envisagée comme un système produisant des
connaissances, connaissances dont les caractéristiques conditionnent sa
contribution aux stratégies d’innovation intensive. Il s’agit alors d’étudier
les sous-systèmes influençant la production de connaissances en recherche. Nous
en avons sélectionné trois, en raison de leur double caractère actionnable et
structurant vis-à-vis de la création de connaissances. Le management de la
recherche est alors appréhendé comme la combinaison de trois variables (cf.
figure 1 ci-dessous) : le pilotage, l’organisation des unités et du travail de
recherche et la gestion des ressources humaines (GRH).
Chacune
de ces variables est susceptible d’influencer les connaissances qui seront in
fine produites par la recherche. Pour ne pointer que quelques éléments : au
niveau du pilotage, la fixation des objectifs dans les univers de recherche
consiste très souvent en la définition des sujets qui seront étudiés ; l’organisation
du travail et les compétences collectives présentes en recherche sont également
très structurantes par rapport aux connaissances qui vont être produites ;
enfin au niveau de la GRH, les modes de recrutement, d’évaluation, de
rémunération, de formation, de mobilité, etc. jouent de manière importante sur
les compétences et les comportements individuels. Par rapport à la GRH, la
recherche étant une activité avant tout intellectuelle, il s’agit d’une
dimension essentielle à prendre en compte.
Notons que
peu de travaux considèrent ces variables de manière conjointe (ce qui est
représenté par le trait en pointillé sur la figure 1) : certains s’intéressent
au pilotage et de manière plus partielle à l’organisation, mais sans se
préoccuper des questions de GRH ; à l’inverse un grand nombre des travaux qui
s’attachent aux modes de GRH en recherche ne font guère le lien avec les
systèmes de pilotage et les modes d’organisation.
2.2.
Méthode de recherche
Nous souhaitions caractériser
la manière dont les entreprises gèrent leur recherche dans le contexte actuel, ainsi
que comprendre comment et pourquoi ces pratiques de management se sont
constituées, ce qui requérait de mener une étude de cas approfondie (Yin, 1994 ;
Langley et Royer, 2006) sur le temps long. Une telle étude a pu être réalisée sur
une entreprise du secteur de la chimie de spécialités, rebaptisée ici Chimix
pour des questions de confidentialité. Par rapport à notre sujet, ce cas était
intéressant du fait de l’importance de la recherche et de l’innovation dans le
secteur de la chimie de spécialités (ce qui sera explicité dans le point 3), et
de l’ancienneté de la recherche dans cette entreprise.
Le projet de recherche négocié avec cette dernière
portait sur une analyse rétrospective des pratiques de management de la
recherche – selon le cadre d’analyse présenté précédemment – sur la période
1964-2004. Pour cela, de juin 2002 à l’hiver 2004, nous avons mené 37 entretiens au sein du groupe
Chimix, auprès d’individus occupant des fonctions variées et qui pour certains
d’entre eux étaient présents depuis suffisamment longtemps dans le groupe pour
avoir été témoins des transformations de ce dernier sur toute la période
étudiée. Nous avons ainsi rencontré des chercheurs, des managers de la recherche,
des responsables de la GRH pour la fonction recherche et des acteurs des
entités aval (les business units, le
groupe étant divisé en fonction des grands marchés sur lesquels il est
présent). Nous avons également eu accès à des documents internes, en
particulier les budgets de la recherche, un certain nombre d’outils de GRH et les
organigrammes d’un des centres de recherche du groupe. C’est d’ailleurs en lien
avec cette dernière source de données que nous avons déterminé le début de la
période considérée : nous disposons en effet des organigrammes d’un des centres
de recherche transversaux du groupe, que nous avons étudié de manière plus approfondie
notamment du fait de la disponibilité de ces données, à partir de l’année 1964.
Enfin, nous avons mobilisé des sources d’informations externes (documentation
institutionnelle, presse, sites Internet, mais aussi entretiens avec des
anciens salariés de Chimix ou des acteurs d’autres organisations travaillant
avec Chimix, etc.) sur cette entreprise et le secteur de la chimie. Nous avons
ainsi croisé les entretiens qui ont constitué la principale source de données,
avec un certain nombre de documents conservés dans le centre de recherche ou au
siège de l’entreprise (nous ne sommes pas allés au service des archives à
Besançon) et des sources externes. Les données collectées sur ce cas ont été
traitées, sans codage ni logiciel spécifique (au-delà d’Excel), en les
regroupant selon une double clé d’entrée : période / variable du
management, afin de pouvoir caractériser la dynamique de chaque variable tout
au long de la période étudiée, ainsi que - sur une période donnée - les valeurs
prises par les trois variables du management de la recherche considérées
conjointement.
Si le travail effectué sur Chimix a constitué la
principale source de données empiriques, nous nous sommes également appuyés sur
trois autres études de cas. La première (sur le plan chronologique) a consisté
en un diagnostic d’un nouveau dispositif de pilotage de la recherche - au
travers de projets transverses aux unités - mis en œuvre à l’Institut Pasteur
(à partir d’entretiens et de documents relatifs à ce dispositif et aux projets
menés dans ce cadre) ; la seconde portait sur une étude des modes de
gestion des carrières des chercheurs dans un organisme public de recherche dans
le domaine de la physique (au travers d’entretiens et de la mobilisation de
données RH) ; et la dernière s’est attachée à la question de la
valorisation des productions de la recherche centrale dans un grand groupe
d’électronique (à partir d’entretiens). Nous participons aussi depuis 2002,
depuis sa création, à un groupe d’échange sur la gestion des chercheurs et des experts
scientifiques et techniques. Ce groupe, organisé par Entreprise et Personnel, rassemble
des managers et des responsables des ressources humaines en charge de populations
de chercheurs et d’experts, appartenant à plus d’une vingtaine d’entreprises et
d’organismes de recherche. Plusieurs réunions sont organisées chaque année, au
cours desquelles nous échangeons autour des problèmes rencontrés et des
expérimentations engagées par les membres du groupe en matière de gestion des
chercheurs et des experts. La participation à ce groupe, ainsi que les études
de cas complémentaires que nous avons menées, nous ont permis d’éprouver les
résultats obtenus sur Chimix (lesquels – pour des questions de volume du papier
- sont résumés très/trop brièvement dans le point suivant) et d’opérer une
première montée en généralité à travers la formalisation – notamment à partir
des modes de management caractérisés dans ces différentes organisations[3] – de
trois idéaux-types relatifs au management de la recherche (cf. point 4).
3. Le cas
Chimix : une étude de la dynamique des modes de management de la recherche
sur longue période
Les données collectées sur le
cas Chimix ont été mises en forme de manière à pouvoir caractériser les valeurs
prises par les trois sous-systèmes du management de la recherche – le pilotage,
l’organisation, la GRH – et leurs évolutions, entre 1964 et 2004. Nous pouvons
observer (cf. figure 2, lecture de gauche à droite) que chacun d’eux a connu
des transformations importantes au cours de la période étudiée, ce qui est
figuré par les changements de couleurs. La couleur blanche indique que le mode
de management considéré (le pilotage, l’organisation ou la GRH) participe d’un
couplage entre les explorations des possibilités scientifiques et techniques et
des opportunités de marché de type science
push ; la couleur grise renvoie à un couplage de type market pull ; alors que le noir
désigne des modes de management contribuant à la mise en œuvre d’une
exploration concourante des compétences et des enjeux. Les rayures verticales
(sur fond blanc ou gris) pointent des états « intermédiaires » des
modes de management qui renvoient par certaines de leurs caractéristiques à un
principe de couplage, et par d’autres à un principe de couplage différent.
En considérant de manière
transversale les trois variables (cf. figure 2, lecture de haut en bas), nous
constatons qu’au cours de certaines périodes les variables constitutives du
management de la recherche présentent des « formes » relativement
cohérentes. Sur la figure 2, cela correspond aux phases au cours desquelles les
couleurs utilisées pour caractériser le pilotage, l’organisation et la GRH sont
identiques (c’est le cas de la période 1964-1975 avec trois cases blanches) ou
proches (de 1990 à 1995 et après 1998).
Entre 1965 et 1975, les modes
de pilotage, d’organisation et de GRH créent une situation dans laquelle la
recherche est autonome et isolée des autres fonctions de l’entreprise dans des
processus d’innovation science push.
Ces modes de management de la recherche et de l’innovation s’avèrent pertinents
avec la stratégie de l’époque : le groupe est alors positionné sur des marchés
de commodités, sur lesquels il s’agit de produire en grandes quantités et à bas
coût des produits chimiques de base. La compétition se joue sur les capacités
de production, les coûts et la pureté des produits. Les « cibles » à
atteindre quant à ce qui génère de la valeur sont claires, y compris pour la
recherche qui peut alors travailler, de manière autonome du reste de
l’entreprise et des marchés, à des innovations procédés ou produits qui
requièrent, au moins pour certaines d’entre elles, une importante création de
connaissances.
À
l’issue d’évolutions progressives, la première moitié des années 1990 est
marquée par une dépendance croissante de la recherche vis-à-vis des entités
aval dans des processus d’innovation désormais market pull. La transformation des modes de pilotage et
d’organisation est à rapprocher du repositionnement stratégique du groupe,
lequel abandonne progressivement les marchés de commodités pour les marchés de
spécialités. Sur ces derniers, il s’agit de proposer aux clients - lesquels
sont des entreprises œuvrant dans des secteurs aussi variés que l’électronique,
les pneumatiques, les cosmétiques ou l’agro-alimentaire - des produits
spécifiques qui apportent de nouvelles valeurs d’usage à ces industriels et/ou
à leurs propres clients. Les chimistes doivent alors avoir une très bonne
connaissance des clients et des marchés. C’est dans cette optique que le groupe
a transféré le financement de la recherche de la direction scientifique vers
les entités aval, dans l’idée que cela permettrait d’ouvrir et de rapprocher la
recherche des réalités des marchés.
Cependant,
alors que la compétition sur ces marchés repose sur la capacité des chimistes à
générer des innovations fortes, porteuses d’expansions conceptuelles et
nécessitant une importante création de connaissances, l’activation de la
recherche par les entités aval sur des cibles définies par ces dernières et
très souvent également sur des préoccupations de court terme montre rapidement
ses limites. Si l’ouverture de la recherche vers les entités aval est en soi
intéressante, le fait de l’avoir placée dans une situation de forte dépendance
vis-à-vis de centres de profit, évalués sur leurs résultats à court terme, est
plus problématique.
Afin de
se donner les moyens de soutenir la stratégie d’innovation intensive que le
groupe entend mener, d’importantes réformes, allant dans le sens de la mise en
œuvre d’une exploration concourante des enjeux et des compétences, plus adaptée
à la stratégie de l’entreprise, sont alors introduites. De nouveaux modes de
pilotage et d’organisation de la recherche sont mis en place à partir de 1995,
la GRH n’évoluant pour sa part qu’à partir de 1998.
Notons
comment le cadre d’analyse du management de la recherche que nous avons élaboré
pour cette étude permet de voir comment les différents principes de couplage
des explorations des possibilités scientifiques et techniques et des
explorations de la valeur (science push,
market pull et concourant)
s’incarnent concrètement dans les trois sous-systèmes constitutifs du
management de la recherche.
4. Du
repérage de différents modes de management de la recherche à la formalisation
de trois idéaux-types
Il est
donc possible d’identifier, en considérant les modes de pilotage,
d’organisation et de GRH de la fonction recherche mis en œuvre chez Chimix,
trois grandes formes de management de la recherche (de 1964 à 1975, entre 1990
et 1995, et après 1998). Cependant, ces dernières présentent un degré de cohérence
interne relatif, avec certains décalages notamment au niveau de la GRH. Ainsi,
cette dernière évolue tardivement par rapport aux autres variables – se
trouvant en décalage avec les modes de pilotage de 1975 à 1990, puis avec le
pilotage et l’organisation jusqu’en 1998 - et de manière partielle - ce que
symbolise l’emploi des rayures sur fond gris pour la période 1998-2004 (cf.
figure 2) au lieu de la couleur noire utilisée pour le pilotage et l’organisation
qui ont connu pour leur part des réformes plus complètes dans la perspective de
la mise en œuvre d’une exploration concourante des compétences et des enjeux.
Nous
avons alors cherché à formaliser trois modèles « purs » de management
de la recherche, organisés chacun autour d’un principe de couplage, en
travaillant sur la cohérence des valeurs prises par les différents
sous-systèmes du management. Les autres cas étudiés et la littérature nous ont
permis de « compléter » les formes de management de la recherche
mises en évidence chez Chimix et d’opérer une première montée en généralité. Nous
allons caractériser les traits saillants de ces modèles, et leurs différences,
sur les variables du pilotage, de l’organisation et de la GRH.
4.1. Le modèle science
push de management de la recherche
En
présentant les idéaux-types en fonction de l’ordre chronologique dans lequel
les pratiques à partir desquelles ils ont été « durcis » et
formalisés sont apparues chez Chimix (et dans d’autres organisations de
recherche), c’est donc par le modèle science
push que nous allons commencer.
4.1.1. Un « auto-pilotage » de la
recherche
Dans un
modèle science push, la recherche se
pilote elle-même : c’est la direction scientifique au niveau central qui
finance, définit les objectifs et évalue la recherche sur des critères très
proches de ceux en vigueur dans le monde académique.
4.1.2. Une organisation du travail
structurée par les divisions et les hiérarchies disciplinaires
Dans un
modèle science push, les moyens de
recherche sont fréquemment regroupés dans des centres de recherche
transversaux, structurés en fonction des divisions disciplinaires (lesquelles
président également au découpage des frontières des laboratoires académiques)
et très isolés des autres fonctions de l’entreprise, sur un plan cognitif
autant que physique (géographique).
Dans le
secteur chimique, comme c’était le cas chez Chimix au cours de la période
1964-1990, le métier de recherche dominant est la « synthèse » qui
est également considérée dans le milieu académique comme la branche de la
chimie la plus « noble ». Les chercheurs des laboratoires de synthèse
travaillent sur les caractéristiques chimiques des produits, ainsi que sur
l’élaboration et l’optimisation des procédés permettant de fabriquer ces produits.
Ils cherchent à relever des défis scientifiques, consistant par exemple à mettre
au point des molécules innovantes par rapport à l’état de l’art dans la
discipline.
4.1.3. Un modèle de GRH structuré et régulé
par des normes professionnelles[4]
Dans un
modèle science push, les chercheurs
sont des “proactifs isolés”. Ils jouissent d’une très grande autonomie dans le
choix et la conduite de leurs travaux de recherche. Ils définissent les sujets
qu’ils vont explorer, sans que les acteurs des autres fonctions de l’entreprise
soient consultés. Les chercheurs sont d’ailleurs assez isolés de ces dernières,
comme des clients et des marchés.
Compte tenu des rôles qu’ils
ont à remplir, dans un tel modèle les chercheurs ont généralement des profils
de spécialistes : ils possèdent des connaissances très pointues dans leur
domaine, ce qui leur permet de formuler des sujets et des stratégies de
recherche par rapport à l’état de l’art dans leur spécialité.
La gestion des chercheurs relève
d’une régulation autonome (au sens de Reynaud, 1989, qui distingue deux formes
de régulation – autonome et conjointe - des communautés de travail). Les pairs
jouent un rôle très important dans l’évaluation des chercheurs, au moment de
leur recrutement et ensuite tout au long de leur carrière. Cette évaluation,
principalement basée sur des critères de performance scientifique, se joue dans
les limites étroites du champ d’expertise de l’individu (Charue-Duboc et
Midler, 2002), étant en cela très proche des pratiques en vigueur dans la recherche
académique. L’évaluation, formelle ou informelle, par les pairs influence
fortement les trajectoires professionnelles des chercheurs, lesquelles se
déroulent quasi-exclusivement au sein de la fonction recherche qui constitue un
espace fermé de carrière.
4.2. Le modèle market
pull de management de la recherche
A partir
des années 1970-1980, de nombreuses entreprises – dont Chimix - se sont
détournées d’un management de la recherche de type science push. Elles ont adopté des modes de pilotage, d’organisation
et de GRH très différents, dont la logique et les traits essentiels sont
caractérisés ci-dessous dans ce second idéal-type du management de la recherche qu’est
le modèle market pull.
4.2.1. Un pilotage de la recherche par l’aval
Dans un modèle market pull, la recherche est pilotée
par les entités aval qui financent, définissent les objectifs et évaluent la
recherche en fonction de sa capacité à résoudre, rapidement et à moindre coût,
les problèmes qu’elles lui soumettent. La recherche est mobilisée sur des
projets de développement déterminés et financés par les entités aval, et elle
est évaluée sur sa contribution à ces projets.
4.2.2. Une organisation du travail structurée en fonction des clients
et de leurs demandes
Les centres de recherche sont
découpés en fonction des clients et des marchés. Dans la forme la plus extrême,
il n’existe plus de centre de recherche transversal, chaque business unit ayant en son sein sa
propre équipe de recherche. Dans le cas de Chimix, lorsque l’entreprise a
expérimenté des modes de fonctionnement proches du modèle market pull, des centres corporate
subsistaient, mais avec des équipes de chercheurs, voire des laboratoires
entiers, dédiés aux différentes business
units. Quelle que soit la forme organisationnelle adoptée, les chercheurs
sont fortement impliqués dans les projets initiés par les entités aval, dans le
cadre desquels ils sont en contact avec un grand nombre d’acteurs appartenant
aux différentes fonctions de l’entreprise (ingénierie, production, marketing, etc.).
Parmi
les métiers de la recherche en chimie, le modèle market pull met au premier rang l’« application » qui
travaille sur les propriétés d’usage des produits chimiques, en lien direct
avec les besoins exprimés par les clients. L’accent est mis sur les propriétés
des produits pour les clients, et non les caractéristiques chimiques des
produits comme dans un modèle science
push.
4.2.3. Une GRH basée sur une régulation conjointe
dans un espace de carrière ouvert
Dans un
modèle market pull, il est attendu
des chercheurs qu’ils soient des « réactifs », des « problem solvers » : ils
doivent apporter rapidement une réponse aux questions qui leur sont posées par
les entités aval. De plus, ils sont amenés à collaborer avec des acteurs des
différents métiers de la recherche et des différentes fonctions de
l’entreprise, notamment dans le cadre des projets.
Par
rapport au modèle science push, les
profils de compétences requis ici sont moins profonds mais plus larges. Les
chercheurs doivent avoir des compétences scientifiques qui débordent de leur
strict domaine de spécialisation, ainsi que des connaissances en matière
industrielle et économique, afin d’être capables d’échanger et de travailler
avec des individus extérieurs à leur spécialité. Les aspects comportementaux ont
également beaucoup d’importance du fait des multiples interactions
constitutives du travail des chercheurs dans un tel modèle.
La GRH
relève d’une régulation conjointe (Reynaud, 1989) : les responsables des ressources
humaines et les clients de la recherche (internes : les entités aval, et
éventuellement aussi externes) interviennent dans la gestion des chercheurs, et
notamment dans leur évaluation, laquelle est basée sur des critères de
performance économique, par exemple au travers de leur contribution aux
projets.
Au
niveau des trajectoires professionnelles, la recherche est un espace de
carrière ouvert, fonctionnant comme un vivier pour le reste de l’entreprise.
Elle recrute sur le marché externe du travail de jeunes scientifiques, lesquels,
après s’être formés pendant quelques années en recherche, iront alimenter en
cadres techniques les autres fonctions du groupe, notamment la production et le
marketing.
4.3. Le
modèle de la recherche concourante
Venons-en à l’explicitation du
modèle de la recherche concourante, dont l’intitulé fait référence au principe
d’exploration concourante des compétences et des enjeux qui le fonde, et le
distingue des modèles du science push
et du market pull basés sur un
couplage séquentiel. La mise en œuvre d’un tel modèle requiert de s’appuyer sur
des modes de pilotage, d’organisation et de GRH renouvelés.
4.3.1. Une interdépendance stratégique
entre la recherche et les autres fonctions de l’entreprise
Au niveau du pilotage, le
modèle de la recherche concourante suppose l’instauration d’un équilibre des
pouvoirs, d’une interdépendance stratégique, entre la recherche et les entités
aval, l’objectif étant de faire en sorte que des projets de recherche à la fois
ambitieux sur le plan scientifique et visant l’exploration de nouveaux domaines
de valeur puissent être engagés et menés à bien.
Cela peut se jouer à travers
plusieurs mécanismes. Un financement mixte de la recherche, combinant un
financement par les entités aval et par des fonds centraux, permet de lancer des
projets différents, notamment quant à leur orientation et leur horizon temporel.
Les choix budgétaires opérés par ces différents financeurs peuvent être
exposés, voire négociés, ex ante. Ainsi les entités aval
peuvent donner leur avis (consultatif ou plus) sur l’intérêt qu’elles trouvent
– ou pas – aux travaux que la direction scientifique entend mener, et de la
même manière la recherche peut exprimer son opinion quant à la pertinence sur
le plan scientifique des sujets que les entités aval veulent financer. Des
évaluations croisées ex post sont
aussi intéressantes. Un tel dispositif existait chez Chimix : alors que la recherche était financée en grande
partie par les entités aval, les choix opérés par ces dernières étaient évalués
par la direction scientifique dans le cadre du « challenge ». Les dirigeants des entités aval présentaient
devant la direction scientifique et le PDG du groupe (de manière à donner plus
de poids à cette procédure) leur politique en matière de recherche et leur
portefeuille de projets. La direction scientifique évaluait la consistance des
choix budgétaires opérés par les entités aval compte tenu de la stratégie
affichée par ces dernières, ce qui pouvait donner lieu à des remarques du
type : « Vous affirmez vouloir mener une stratégie d’innovation
offensive et ambitieuse, mais les moyens alloués dans tel domaine sont
insuffisants et les projets soutenus sont de trop court terme ».
4.3.2. Des centres de recherche transversaux, ouverts et travaillant
sur des objets-interfaces
Les chercheurs travaillent dans
des laboratoires centraux qui favorisent la transversalité et la fertilisation
croisée de leurs travaux, mais en étant en contact étroit avec les acteurs de
l’aval, dans le cadre des projets mais également dès les phases amont, autour
de la définition des stratégies de recherche en lien avec des stratégies
marché.
Au niveau des compétences
collectives, dans le cas de Chimix des laboratoires nouveaux, dits
d’« applicabilité », ont été créés (Charue-Duboc, 2000). Ils étudient
des fonctionnalités, en amont des produits : le renforcement, par exemple, renvoie à une large palette de propriétés d’usage qui peuvent être
valorisées sur plusieurs produits et plusieurs marchés. L’applicabilité explore
les relations entre les fonctionnalités et les caractéristiques chimiques des
produits : elle établit des matrices
de passage, par exemple entre la propriété de luminosité d’une peinture et
la taille des particules de pigments nécessaire pour obtenir cette propriété.
Ces matrices permettent de faire le lien entre les chercheurs de l’application
qui travaillent sur les propriétés d’usage recherchées par les clients (la
luminosité, le degré de viscosité) et les chercheurs de la synthèse qui mettent
au point des produits chimiques en fonction des caractéristiques chimiques les
qualifiant (taille des particules, nature des molécules, longueur des chaines
de polymères). L’applicabilité définit des cibles à atteindre par la synthèse à
partir des besoins des clients exprimés en termes de propriété d’usage. Elle
permet également de rechercher dans la bibliothèque des produits que sait
fabriquer la synthèse ceux qui pourraient avoir des fonctionnalités
intéressantes pour les clients. Enfin, elle peut avoir un rôle plus proactif,
l’indentification d’une fonctionnalité et du couple propriété-caractéristiques
chimiques permettant de lancer des explorations simultanées du côté de la
synthèse et du côté des marchés.
Dans le
cas de Chimix, les centres de recherche étaient structurés autour de quelques
grandes fonctionnalités et des laboratoires d’applicabilité les étudiant.
4.3.3. Des modes de GRH faisant de la recherche
un espace professionnel attractif
Dans ce modèle, il est attendu
des chercheurs qu’ils soient proactifs dans la formulation de projets de
recherche ambitieux sur le plan scientifique et sur le plan des valeurs
d’usage. Au-delà, les chercheurs doivent réussir à enrôler des alliés autour de
leur projet, et notamment convaincre les entités aval de l’intérêt pour elles
des projets de recherche présentés, afin d’obtenir les financements
nécessaires. La recherche a ainsi besoin d’individus qui soient des
« intrapreneurs scientifiques ».
Compte tenu des comportements
qui sont attendus d’eux, les chercheurs doivent avoir des compétences
scientifiques fortes, à la fois profondes et larges, être créatifs, posséder
des connaissances relatives aux questions industrielles et commerciales et
d’importantes compétences comportementales[5].
L’enjeu pour la recherche est
donc d’être en mesure d’attirer, de développer et de fidéliser de tels profils,
sachant que certaines des compétences pointées, à la fois scientifiques et
comportementales (par exemple la capacité de négociation avec les entités
aval), s’acquièrent avec le temps et l’expérience. Pour cela, certains leviers
peuvent être actionnés. Un contenu du travail plus intéressant, des
rémunérations plus élevées et incitatives, une gestion des compétences et des
carrières plus dynamique offrant un large éventail de choix participent d’une
attractivité renforcée de la recherche. C’est également le cas de
l’organisation de mobilités temporaires vers les autres fonctions de
l’entreprise qui permettent en plus, à la condition de réussir à les faire
revenir ensuite, d’avoir des chercheurs qui ont une meilleure connaissance des
questions industrielles et commerciales.
Cependant, il n’est pas certain
que cela soit suffisant pour donner envie à de tels profils de s’investir à
long terme en recherche. Une plus grande ouverture du modèle social de la
recherche pourrait alors être envisagée. Des mobilités temporaires vers
d’autres entreprises, vers des start-ups ou encore vers la recherche académique
permettraient d’offrir des perspectives professionnelles plus variées aux
chercheurs, tout en favorisant le développement de nouvelles compétences. La
mise en œuvre de démarches intrapreneuriales[6],
telle que Ferrary (2005) par exemple a pu l’étudier chez France Télécom, serait
également un moyen de contribuer au double objectif de renforcement de
l’attractivité de la recherche et d’acquisition de compétences cohérentes avec
les comportements attendus des chercheurs dans un tel modèle. Dans cette
optique, on peut envisager de créer des structures de recherche plus autonomes,
de confier la responsabilité de petites équipes à de jeunes chercheurs
prometteurs (comme le fait l’INRA), de monter des start-ups internes pour
valider la pertinence d’une idée, ou même de développer l’essaimage. Le modèle
de la recherche concourante reposant sur des profils individuels exigeants, cela
suppose de faire de la recherche un espace de carrière attractif et
ouvert : il faut attirer de bons chercheurs et réussir à les retenir un
certain temps, mais sans organiser une clôture complète de cet espace de
carrière, sachant que même si l’ouverture comporte des risques, elle constitue
probablement l’une des seules façons de renforcer l’attractivité de ce métier.
Nous résumons dans le tableau 3
les traits saillants – sur les variables du pilotage, de l’organisation et de
la GRH - des trois modèles de management de la recherche que nous venons de
caractériser. Ils sont présentés de gauche à droite dans l’ordre chronologique
dans lequel les pratiques à partir desquelles ils ont été « durcis »
sont apparues chez Chimix (et dans d’autres organisations) : modèle science push, modèle market pull, puis modèle de la recherche
concourante, mais on voit grâce à ce tableau comment ce dernier modèle vise à
inventer des modes de management hybrides par rapport à ceux qui sous-tendent
les deux modèles très diffusés et polaires du science push et du market
pull, sans toutefois qu’il s’agisse d’une simple combinaison ou moyenne de
ces derniers.
Tableau 3. Synthèse des principales caractéristiques
(et différences) des trois modèles de management de la recherche
Modèles / idéaux-types de management de la recherche
|
|||
Science push
|
Market pull
|
Recherche concourante
|
|
Pilotage
|
Autonomie de la
recherche vis-à-vis des entités aval
|
Dépendance de la
recherche vis-à-vis des entités aval
|
Interdépendance
stratégique entre la recherche et les entités aval
|
Pilotage par la
direction scientifique
|
Pilotage par les
entités aval
|
Co-pilotage entités
aval / direction scientifique
|
|
Organisation
|
Unités de recherche
structurées en fonction des divisions disciplinaires
|
Unités de recherche
structurées en fonction des clients (internes/externes) et des produits
|
Unités de recherche
structurées autour de fonctionnalités, de plateformes scientifiques / technologiques
|
Unités de recherche
isolées des autres fonctions de l’entreprise
|
Unités de recherche
ouvertes sur les autres fonctions de l’entreprise, ou même intégrées à
celles-ci
|
Unités de recherche
ouvertes sur les autres fonctions de l’entreprise, mais préservation de
laboratoires centraux
|
|
GRH
|
Des chercheurs
« proactifs isolés »
|
Des chercheurs
« réactifs »
|
Des chercheurs
« intrapreneurs scientifiques »
|
Régulation autonome
(rôle des pairs)
|
Régulation conjointe
(rôle des responsables RH et des clients internes/externes)
|
Régulation conjointe
(rôle des responsables RH, des pairs et des clients)
|
|
La recherche comme
espace de carrière fermé
|
La recherche comme
sas d’entrée dans l’entreprise / vivier pour les autres fonctions
|
La recherche comme
espace de carrière attractif et ouvert
|
Conclusion. le modele de la recherche concourante :
des pistes pour l’action dont l’efficacité reste à démontrer
Nous avons ainsi formalisé
différents idéaux-types du management de la recherche sur les trois variables –
pilotage/organisation/GRH – au travers desquelles nous avons décidé
d’appréhender celui-ci. Il nous semble que ce travail permet de relier et de
mettre en cohérence des travaux ayant étudié des organisations de recherche
gérées en fonction de logiques de type science
push, ou market pull, ou encore –
mais dans une moindre mesure – dans une logique d’exploration concourante des
enjeux et des connaissances scientifiques, mais sans que ceux-ci ne prennent en
compte de manière transversale les différentes variables du management de la
recherche considérées ici conjointement. La formalisation de tels idéaux-types permet
(comme cela est synthétisé dans le tableau 3) de bien caractériser les logiques
et les pratiques essentielles sous-tendant chacun d’eux, en montrant également
leurs différences. Nous avons de plus essayé de préciser les conditions – quant
aux caractéristiques des innovations recherchées - dans lesquelles ces modèles
pouvaient être plus ou moins pertinents, comme le résume le tableau 4
ci-dessous.
Tableau
4. Un modèle de la recherche concourante pour des situations d’innovation
jusqu’alors « orphelines »
Connaissances K
|
|||
δ K
|
Δ K
|
||
Concepts C
|
δ C
|
Ne mobilise pas la recherche et peu le
développement
|
Science push
|
Δ C
|
Market pull
|
Recherche
concourante
|
Le modèle de la recherche
concourante permettrait ainsi d’apporter une réponse aux situations
d’innovation restées « orphelines » avec les modèles traditionnels de
l’innovation qui dessinent en creux des modes de fonctionnement pour la
recherche inadaptés. En effet, lorsque l’innovation allie expansion
conceptuelle et forte création de connaissances scientifiques, une recherche science push ou market pull s’avère peu efficace ; or ce sont bien ces
innovations là qui sont aujourd’hui au cœur de la compétitivité des entreprises
appartenant aux science-based industries.
Dans ce type de situation, le principe d’exploration concourante des enjeux et
des compétences qui fonde le modèle de la recherche concourante apparaît alors
comme plus pertinent, ce qui tend à être confirmé par les réformes en matière
de management de la recherche menées en ce sens par certaines entreprises des secteurs
d’activité considérés.
Ce
travail de contextualisation des modèles de management de la recherche nous
semble important pour éviter les discours globalisant sur le caractère dépassé
de tel modèle ou les vertus universelles de tel autre.
Sur le plan des apports
théoriques, citons également l’élaboration d’un cadre d’analyse du management
de la recherche transversal - en ce qu’il prend en compte les différents
sous-systèmes structurant quant à leurs effets sur la production de
connaissances en recherche. Celui-ci permet d’articuler les apports de
plusieurs champs de recherche au sein des sciences de gestion (stratégie,
contrôle de gestion, gestion des ressources humaines, etc.) et au-delà de
plusieurs disciplines (gestion, sociologie du travail et des professions, etc.).
Il s’agit d’un cadre générique, mobilisable pour d’autres études et/ou par
d’autres chercheurs souhaitant travailler sur le management de la recherche.
Sur le plan des contributions
managériales, le travail réalisé apporte des connaissances actionnables du fait
de la caractérisation précise de pratiques concrètes de management de la
recherche, adaptées aux différentes situations d’innovation. En l’occurrence,
lorsque les innovations combinent une forte expansion conceptuelle et une
importante création de connaissances scientifiques comme c’est le cas des
innovations sur lesquelles se fonde aujourd’hui la compétitivité des
entreprises des science-based industries,
il nous semble que le modèle de la recherche concourante tel que nous l’avons
décrit pourrait inspirer à ces entreprises des expérimentations relatives à une
réinvention du management de la recherche pour une efficacité renforcée, ou
retrouvée, de celle-ci.
Si ce modèle de la recherche
concourante apporte des pistes intéressantes pour la réflexion et l’action, il apparaît
cependant fragile et son applicabilité comme son efficacité n’ont pas pu être
testées dans notre étude.
Ce modèle présente en effet certaines
fragilités : tout d’abord parce qu’il s’agit d’un modèle en émergence, mais
également parce qu’il est plus complexe que les modèles traditionnels du science push et du market pull, son bon fonctionnement reposant sur des équilibres
délicats au niveau de chaque sous-systèmes du management de la recherche. De
plus sa mise en œuvre apparaît conditionnée à certains facteurs internes et
externes. Au niveau des facteurs internes, nous pouvons citer notamment la
nécessité d’une forte implication de tous les acteurs : depuis les personnels
et les dirigeants de la recherche jusqu’à la direction générale. Au niveau
externe, l’ouverture du modèle social peut être rendue difficile par les fonctionnements
du marché du travail des scientifiques, lequel est segmenté et peu fluide dans
le contexte français, ou par les difficultés attachées à la création et au
financement des start-ups innovantes. La capacité de la recherche à attirer et
à fidéliser des profils de haut niveau peut pour sa part se heurter aux
représentations en vigueur dans la société lorsque le prestige et la
reconnaissance sociale sont de plus en plus attachés à l’argent et au pouvoir,
deux attributs bien plus liés aux positions de manager ou à des métiers comme
la finance qu’à l’activité de recherche. Précisons que la recherche concourante
étant un modèle en partie construit, dans le sens où nous n’avons pas observé
de tels fonctionnements dans leur globalité au niveau d’une entreprise, nous
n’avons pas pu tester l’applicabilité et la robustesse de certaines dimensions
de ce modèle. C’est notamment le cas de l’ouverture du modèle social de la
recherche. Nous souhaiterions alors poursuivre ce travail en étudiant des
expériences de mobilités externes et de développement de formes
intrapreneuriales dans des organisations de recherche. Cela nous permettrait
d’avancer sur la question de la faisabilité de ces démarches, de leurs
modalités, ainsi que sur les effets induits et les risques éventuels d’une telle
ouverture du modèle social.
Enfin, en
lien notamment avec le caractère en partie construit du modèle de la recherche
concourante, nous n’avons pu tester la performance de celui-ci. Il y a sur ce
point un important travail à mener sur la notion de performance et sur des
méthodes d’évaluation de celle-ci, au niveau de la performance de la recherche
et également de la performance des modèles managériaux de la recherche.
bibliographie
Barnard C.I. (1938), The Functions of the Executive, Harvard
University Press, Cambridge .
Basso O. (2004), L’Intrapreneuriat,
Collection Gestion, Économica, Paris.
Berger S. (2006), Made in Monde. Les nouvelles
frontières de l’économie mondiale, Seuil, Paris.
Brown
S. L. & Eisenhardt K. M. (1998), Competing
on the edge: Strategy as structured chaos, Harvard Business Scholl Press.
Chapel V. (1997), La croissance par l’innovation intensive, de la dynamique
d’apprentissage à la révélation d’un modèle industriel, le cas Tefal, Thèse
de doctorat, spécialité : Ingénierie et gestion, École des Mines de Paris,
Paris.
Charue F. (2000), “Innovative
Projects and the Construction of New Expertises in Research and Market Analysis
- the case of chemical specialities”, in Benghozi P.-J., Charue F. &
Midler C. (eds.), Innovation based competition and design systems dynamics,
L’Harmattan, Paris, p.239-256.
Charue-Duboc F. & Midler C. (2002), « L’activité
d’ingénierie et le modèle de projet concourant », Sociologie du travail, vol. 44, n°3, juillet-septembre 2002, p.401-417.
Clark K.B. & Fujimoto T.
(1991), Product Development Performance, Harvard
Business School
Press, Boston .
DeSanctis G., Glass J.T. & Ensing I.M. (2002), “Organizational
designs for R&D”, Academy of
Management Executive, vol. 16, n°3, August, p.55-66.
Ferrary M. (2005),
« Management des équipes de R&D entre organisation et contrat
d’incitation : l’essaimage stratégique », Revue de gestion des ressources humaines, n°57, juillet-août-septembre,
p.124-140.
Foster R.N. (1986), L’innovation : Avantage à l’attaquant,
InterÉditions, Paris.
Gaillard J.-M. (1997), Marketing
et Gestion de la Recherche
et Développement, Collection Recherche en Gestion, Économica, Paris.
Hatchuel A. (1996), « Comment
penser l’action collective ? Théorie des mythes rationnels », in Damien R. & Tosel A. (eds.), Les annales littéraires de Besançon,
Besançon.
Hatchuel A. (2001), « Changement et apprentissage en organisation :
les défis d’une économie de conception », in Ruano-Borbalan J.-C. (ed.) Changement et innovation en formation et
organisation, Sciences Humaines, Les Éditions Demos, Paris.
Hatchuel A., Chapel V., Deroy X. & Le Masson P.
(1998), Innovation répétée et croissance
de la firme, rapport de recherche, CNRS, septembre.
Hatchuel A., Le
Masson P. & Weil B.
(2001), “From R&D to RID: Design Strategies and the Management of
Innovation Fields”, 8th International Product Development Management
Conference, Enschede, the Netherlands ,
June.
Hatchuel A. & Weil B. (2003), “A new approach of
innovative design: an introduction to C-K theory”, ICED’03, August 2003, Stockholm ,
Sweden , 14.
Hounshell D.A. (1996), “The Evolution of
Industrial Research in the United
States ”, in
Rosenbloom R.S. & Spencer W.J. (eds.) (1996), Engines of Innovation. U.S. Industrial Research at the End of an Era,
Harvard Business School Press, Boston ,
Massachusetts , p.13-85.
Iansiti
M. (1993), « Mettez les chercheurs dans les usines ! », Harvard l’Expansion, n°70, automne, p.96-106
(traduit de “Real-world R&D: Jumping the Product Generation Gap”, Harvard Business Review, 71, (3),
May-June, p.138-147).
Kline
S.J. & Rosenberg N. (1986), “An Overview of Innovation”, in Landau R. & Rosenberg N. (eds.), The Positive Sum Strategy, Harnessing
Technology for Economic Growth, National Academy Press, Washington, p.275-305.
Langley
A. & Royer I. (2006), “Perspectives on Doing Case Study Research in Organizations”,
M@n@gement, vol. 9, n°3, p.73-86.
Le Masson P. (2001), De la
R &D à la R.I .D. :
Modélisation des fonctions de conception et nouvelles organisations de la
R&D, thèse de doctorat, spécialité : management et ingénierie, École
Nationale Supérieure des Mines de Paris, Paris.
Le Masson P., Weil B. & Hatchuel
A. (2006), Les processus d'innovation, conception innovante et croissance
des entreprises, Lavoisier, Hermès, Paris.
Lenfle S. & Midler C. (2003), «
Management de projet et innovation », in
Mustar P. & Penan H. (dir.), Encyclopédie
de l’innovation, Économica, Paris, p.49-69.
Martinet A.-C. (2003),
« Stratégie et innovation », in
Mustar P. & Penan H. (dir.), Encyclopédie
de l’innovation, Économica, Paris, p.27-48.
Midler C. (1993), L’auto qui n’existait
pas. Management des projets et transformation de l’entreprise, InterÉditions,
Paris.
Miller W.L. & Morris L. (1999), Fourth Generation R&D, Managing
Knowledge, Technology, and Innovation, John Wiley & Sons, Inc.,
New-York.
Mintzberg H. (1982), Structure et dynamique des organisations, Les Éditions
d’Organisation, Paris.
Pavitt K. (1984), “Sectoral pattern of
technical change: toward a taxonomy and a theory”, Research Policy, 13, p.343-73.
Pfeffer J. &
Salancik G.R. (1978), The External
Control Of Organizations, A Resource Dependence Perspective, Harper and Row,
New York .
Reynaud J.-D. (1989), Les règles du
jeu. L’action collective et la régulation sociale, Armand Colin, Paris.
Verona
G. & Ravasi D. (2003), “Unbundling dynamic capabilities: an exploratory
study of continuous product innovation”, Industrial
and Corporate Change, vol. 12, n°3, p.577-606.
Yin R.K.
(1994), Case
Study Research – Design and Methods, 2nd ed.,
vol. 5, Applied Social Research Methods Series.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire