Le contrôle de l’exécution budgétaire


Introduction


Loin d’être relégué à un statut de question purement technique (comme pourrait le laisser penser cette définition du contrôle budgétaire : « contrôle de gestion caractérisé par la comparaison périodique des prévisions budgétaires et des réalisations », le contrôle de gestion étant « un ensemble de dispositions prises pour fournir aux dirigeants et aux divers responsables des données chiffrées périodiques caractérisant la marche de l’organisme ; leur comparaison avec des données passées ou prévues pouvant, le cas échéant, inciter les dirigeant à déclencher rapidement les mesures correctives appropriées), le contrôle de l’exécution budgétaire occupe une place centrale dans la vie des communautés européennes. Et la démission de la Commission Santer le 16 mars 1999, suite à la publication d’un rapport financier très critique par un comité d’experts indépendants agissant sous les auspices du Parlement, ne fit que confirmer le caractère éminemment politique du sujet.
Cet aspect politique s’avère être particulièrement sensible aujourd’hui, alors que le long processus de réforme du règlement financier, relancé en 1997/1998, semble toucher à sa fin, le Conseil européen de Göteborg des 15 et 16 juin 2001 ayant fixé l’aboutissement de la réforme pour fin 2002 et son entrée en vigueur pour 2003.

I) Un contrôle budgétaire émietté au cœur des querelles interinstitutionnelles.

a)      Reposant sur un système de contrôles financiers internes et externes...

Le contrôle financier interne, c’est-à-dire interne aux institutions, et particulièrement à la Commission (qui a compétence pour exécuter le budget) est assuré par trois acteurs financiers bien distincts : l’ordonnateur, le contrôleur financier et le comptable.
L’ordonnateur a pour fonction d’apprécier en amont, par un contrôle ex ante, l’opportunité et la faisabilité des actions. Il doit notamment fournir une fiche financière, prévoyant l’impact d’une mesure à court et à long terme, accompagnant toute proposition de la Commission. Si ce travail semble lourd, il facilite en fait le suivi des actions menées par la suite.
Le contrôleur financier a pour principale mission la délivrance de visa préalables qui certifient l’exactitude de l’imputation budgétaire, la disponibilité des crédits, la régularité et la conformité de la dépense ou de la recette avec la réglementation financière et le respect du principe de bonne gestion. Les ordonnateurs doivent solliciter le visa du contrôleur financier pour chaque opération d’exécution. Toutefois, si le visa est refusé, ils peuvent décider de passer outre par l’autorité supérieure de l’Institution.
Mais le travail du contrôleur financier ne se limite pas à la délivrance de visas. Il peut notamment faire, de sa propre initiative, rapport à l’Institution sur toute question ou tout sujet relevant de la gestion des fonds communautaires, prenant ainsi le rôle de conseiller financier.
Enfin, le comptable clôture le circuit de l’ordre de paiement en apportant une validation comptable en fin de chaîne.

Le contrôle financier externe est partagé entre Parlement, Conseil et Cour des Comptes.

Le Parlement européen,(art 276 TCE) « sur recommandation du Conseil, qui statue à la majorité qualifiée, donne décharge à la Commission sur l’exécution du budget. (C’est à dire qu’il libère la commission de ses obligations) ». A ce sujet, trois brèves remarques. Tout d’abord, le Parlement détient ce contrôle « a posteriori » du budget européen, politiquement sensible et auparavant dans les seules mains du Conseil, que depuis 1975. Ensuite, seule la Commission est soumise à sa décharge, même si les autres Institutions sont toutefois soumises à l’obligation de donner suite aux observations de Parlement qui accompagnent la décision de décharge. Enfin, on peut signaler le rôle croissant de la CoCoBu du Parlement, la commission du contrôle budgétaire, qui a imposé un contrôle presque continu de l’exécution budgétaire (via la procédure Notenboom) après que le Traité de Maastricht lui est accordé une possibilité permanente d’interpellation.

La Cour des Comptes, instituée par le Traité de Bruxelles du 22 juillet 1975, a pour fonction d’assister le Parlement et le Conseil dans l’exercice de leur fonction de contrôle de l’exécution du budget. Pour se faire, elle fournit chaque année un rapport annuel (habituellement en novembre) et une DAS, déclaration d’assurance concernant la fiabilité des comptes ainsi que la légalité et la régularité des opérations sous-jacentes. Elle peut aussi exercer son droit de présenter à tout moment des rapports spéciaux. En outre, les autres institutions peuvent demander à la Cour des Comptes des avis sur des questions particulières. Enfin, l’avis de la Cour des Comptes doit impérativement être sollicité avant l’adoption de dispositions législatives à caractère financier, en particulier pour ce qui concerne les règlements financiers et la mise à disposition des ressources propres.
La Cour des Comptes est composée d’un membre par Etat, soit quinze membres nommés pour six ans. Elle siège à Luxembourg et emploie 500 personnes.
Par ailleurs, en 1999 est rentré en fonction l’OLAF, l’office de lutte antifraude, qui a pour objectif de lutter contre les fraudes commises au détriment des fonds de l’Union européenne.

b)      Le contrôle budgétaire européen semble péniblement produire des effets contraignants et efficaces

Quelle est en effet la réelle portée de la décharge accordée par le Parlement ?
D’un côté, la Commission doit donner suite aux observations accompagnant la décharge ainsi qu’aux commentaires de décharge adoptés par le Conseil. De plus, elle peut faire rapport, à la demande du Parlement ou du Conseil, sur les mesures prises à la suite de ses recommandations.
Mais de l’autre, l’obligation de la Commission de donner suite aux observations du Parlement n’est pas une obligation de résultat mais une simple obligation de réagir afin de démontrer au Parlement et au Conseil qu’elle a tenu compte de ses observations.
De plus, l’ajournement de décharge voire le refus de décharge de la part du Parlement n’équivaut pas à une motion de censure pour la Commission. La démission de la commission Santer ne fit ainsi pas suite au refus de décharge du 17 décembre 1998 mais résulte bien plutôt de la peur d’une motion de censure en mars 1999. Le refus de décharge ne constituerait donc qu’un simple avertissement politique.
D’autre part, Quel est l’effet contraignant des multiples rapports et DAS de la Cour des comptes ?
Le Parlement peut-il refuser de donner décharge, si la Cour des comptes déclare les comptes fiables et les opérations légales et régulières ? Et peut-il donner décharge dans le cas inverse ? En pratique, le Parlement a répondu à ces questions par l’affirmative en considérant par exemple que la déclaration d’assurance devait être prise en considération, mais lui laissait néanmoins toute liberté de jugement.
Par ailleurs, les pouvoirs d’investigation de la Cour des comptes (certes croissants depuis Amsterdam) restent limités du fait que la Commission estime ne devoir transmettre à la Cour que les documents à caractère officiel et non les documents officieux ou à usage privé circulant dans cette Institution.
II) Malgré de nombreux points d’accord (pour reconnaître la lourdeur et l’obscurité des procédures), le projet de réforme ne bénéficie pas d’un consensus interinstitutionnel.


a)      Le handicap posé par un ensemble de procédures lourdes et obscures...

Certaines procédures sont en effet devenues obscures.
Ainsi la décharge, dont le refus n’équivaut pas à une motion de censure comme on pouvait le penser jusqu’à 1999, a vu sa notion s’écarter de l’esprit des traités. Il ne s’agit plus d’un acte global, comme le laissait supposer les articles 275 et 276 (« Le Parlement européen...donne décharge à la Commission ») mais bien d’une décision segmentée en tant de sections que d’Institutions : afin de répondre à son désir de contrôle, le Parlement a ainsi donné décharge en 1998 au greffier de la Cour de justice ou au Comité des régions. De même, elle ne constitue plus nécessairement un acte technique de clôture des comptes, dès lors que le Parlement a décidé en 1999 de dissocier la décision de décharge de la décision de clôture des comptes de manière à pouvoir refuser l’octroi de la décharge tout en clôturant le cycle budgétaire. Le Parlement est tenté d’utiliser plus souvent l’arme politique du refus de décharge
Sur ce point, les traités devraient bénéficier d’une clarification.
La nature de la coopération entre la Cour des comptes européenne et les institutions de contrôle nationales (les ICN) aurait elle aussi besoin de clarification. Elle souffre à la fois de problèmes juridiques et méthodologiques, comme la différence entre les systèmes de contrôle, mais aussi d’une lutte de pouvoir entre les différentes institutions, les ICN cherchant à conserver leur autonomie et refusant ce qu’elles estiment être une « instrumentalisation » au profit de la Cour des Comptes européenne.
Par ailleurs, le contrôle financier interne, fortement inspiré du droit français, semble pâtir d’une lourdeur certaine.
Ainsi, la pratique systématique du visa préalable, trop fastidieuse ne peut-être respectée alors que la gestion européenne devient de plus en plus complexe et que le nombre de transactions s’accroît chaque année. La Commission en est donc venue à se contenter de visas émis sur la base de sondages.

b)      Devrait être résolu dans le cadre général d’une réforme du règlement financier.

Selon l’article 279 TCE, c’est au Conseil, « statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et avis de la Cour des comptes », d ‘ « arrêter les règlements financiers spécifiant les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du budget et à la reddition et à la vérification des comptes. » et de « déterminer les règles et le contrôle de la responsabilité des contrôleurs financiers, ordonnateurs et comptables. ». C’est donc à travers ces procédures que devrait aboutir la réforme du règlement financier, réforme rendue sensible par l’objectif de stabilisation du plafond des ressources propres au taux de 1999 pour la période 2000-2006, objectif qui appelle une utilisation encore plus scrupuleuse de budget.
Cette réforme devrait porter sur deux axes : le statut des acteurs financiers, principalement l’ordonnateur et le contrôleur financier, et les relations entre la Cour des comptes et les Institutions de contrôle nationales.
Premier acteur financier étudié, l’ordonnateur financier.
Sur ce point, Commission et Cour des comptes s’accordent à reconnaître que ses fonctions doivent être étendues, afin qu’il devienne le « premier responsable » de la qualité, de la régularité et de l’efficacité de la gestion. Il ne doit plus se reposer sur le visa préalable du contrôleur, qui lui donnait un faux sentiment de sécurité à l’origine d’une culture qui le déresponsabilisait.
Le contrôleur financier, quant à lui, verrait sa mission bouleversée.
La commission souligne que le règlement financier actuel permet qu’une seule personne, le contrôleur financier, contrôle les opérations à deux stades différents de la procédure d’exécution : lors de l’examen préalable, par le visa, puis lors de l’évaluation ex post par la possibilité de rendre des rapports. Par un règlement précipité du 9 avril 2001 elle a déjà tenu à séparer les fonctions et propose même la nomination dans chaque institution d’un auditeur interne indépendant séparé des autres acteurs financiers.
De son côté, la Cour des comptes accepterait la transformation du contrôleur financier en auditeur interne à condition que le rôle de l’ordonnateur soit renforcé. Elle accepte le passage d’un contrôle a priori à un contrôle a posteriori à condition que les procédures de contrôle à posteriori soient renforcées et orientées par l’utilisation systématique de techniques d’analyse des risques et à condition que le contrôleur financier puisse toujours recourir occasionnellement à la procédure du visa, en sélectionnant les domaines les plus exposés aux risques d’irrégularités, de fraudes, d’erreur ou de mauvaises gestions.
Par ailleurs, la Cour refuse que le contrôleur se voit donner des prérogatives de déclenchement de procédures disciplinaires, contrairement à la proposition de la Commission.
Ensuite, la Cour des comptes proposent de réformer les procédures de coopération qu’elle entretient avec les ICN. Il s’agit notamment pour elle, qui constate que la technique de l’audit anglo-saxon est majoritairement utilisée, d’harmoniser les méthodes de contrôle et d’obtenir une augmentation de son personnel, qui reste vingt fois moins important que la totalité des personnelles des ICN.
On peut douter que les ICN, particulièrement les ICN françaises ou espagnoles (qui appliquent aux fonds européens les mêmes méthodes qu’aux fonds d’origine nationales) partagent toutes cette vue alors que les ICN des pays candidats ne semblent pas prêtes à abandonner les forts pouvoirs spécifiques, issus de l’époque soviétique, dont elles jouissent.

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