La place du contrôle de gestion dans la conduite du changement




1. Problématique et méthodologie
L'objet de cet article ne s'inscrit pas dans une recherche sur l'évolution historique du contrôle de gestion, il s'agit d'une recherche de terrain où l'objectif a été de mettre en évidence le rôle du contrôle de gestion dans la mutation des organisations. Cette recherche appartient au courant de la comptabilité comportementale où le jeu des acteurs est systématiquement étudié.
1.1 Problématique
Cet article s'inscrit dans une étude beaucoup plus large menée en collaboration avec le Cabinet Salustro Reydel sur l'organisation du contrôle de gestion dans des entreprises performantes. Une partie importante de l'étude confiée par le cabinet concernait la définition du profil et du contenu de la fonction de contrôleur de gestion en unité opérationnelle et en unité centrale. Cet aspect ne sera pas développé dans le présent article.
Lors de nos entretiens, il nous est apparu rapidement que le contrôle de gestion et ses acteurs étaient systématiquement présentés dans une perspective de mutation organisationnelle et selon une volonté managériale forte, ce qui nous a permis de présenter le rapport final de l'étude dans un contexte de changement organisationnel.
Notre travail se propose d'étudier le rôle du contrôle de gestion dans une perspective de changement, c'est à dire comment le contrôle de gestion a permis à l'organisation de muter et sur quels leviers l'opération a-t-elle pu se réaliser. Ce travail n'a donc pas pour objectif de décrire l'évolution du contrôle de gestion dans certains grands groupes mais de montrer comment les groupes ont évolué et comment le contrôle de gestion a accompagné, aidé ou parfois même provoqué le changement.
Parler de contrôle de gestion sans parler de ses acteurs dans la problématique qui est la nôtre n'aurait pas de sens et nous avons été agréablement surpris par la spontanéité et la qualité des réponses des responsables rencontrés. Ce comportement que nous avions également constaté, dans d'autres travaux de recherche, chez les responsables des ressources humaines s'inscrit dans un courant apparemment partagé qui consiste à échanger des informations non sensibles au sein même d'un tissu industriel concurrentiel.
1.2 Méthodologie
La méthodologie utilisée repose sur la technique de l'entretien pour lequel la construction de la grille d'entretien constitue un préalable important pour ce type d'enquête. Deux pré-entretiens avec un contrôleur de gestion d'entreprises n'appartenant pas au panel ont été réalisés pour préciser quelques questions et écarter certaines formulations. Les interviews ont été le plus souvent enregistrés au magnétophone et la grille d'entretien était envoyée quelques jours auparavant pour que l'interlocuteur puisse commencer à préparer son discours. Un compte rendu d'entretien était systématiquement adressé à la personne interrogée pour validation. Les corrections apportées par l'interlocuteur faisaient l'objet d'une seconde lecture jusqu'à validation du rapport définitif.
Les entretiens ont été réalisés auprès des responsables du contrôle de gestion de sept grands groupes internationaux, qui outre le fait de faire appel à l'épargne publique - ce qui renforce le rôle du contrôleur de gestion dans la communication financière -, répondaient sur le plan de la stratégie et du management aux attributs généralement admis pour qualifier la performance :


Attributs

Contenus
Stratégie :

Leadership
Elles sont focalisées sur leur métier de base. La direction affirme vouloir être le meilleur du secteur. Les présidents demeurent longtemps à la tête de l'entreprise.
Le culte du métier
Globalisation
Les investissements à l'étranger sont très importants. Stratégie globale adaptée aux besoins du marché local. Leader mondial pays par pays et marché par marché.
Management :
Délégation
Décentralisation accrue avec une organisation plate à hiérarchie courte avec de faibles effectifs au siège et des comités exécutifs réduits.
Le culte du changement
Innovation
Le chiffre d'affaires est généré par des produits récents. L'innovation constitue la première priorité des dirigeants.

Progrès continu
Souci d'amélioration permanente des performances. Le benchmarking est réalisé avec les meilleurs du monde hors secteur d'activité.
Les entreprises contactées grace à la complicité des associés du Cabinet Salustro Reydel sont souvent citées en exemple dans les revues spécialisées du contrôle de gestion.
2. Les enjeux du changement

Les entretiens que nous avons réalisés auprès des responsables du contrôle de gestion de grands groupes apportent un éclairage particulier puisqu'ils illustrent sans conteste que le contrôle de gestion a joué un rôle important dans la conduite du changement. Nous avons relevé trois enjeux majeurs qui enrichissent les points de vue largement partagés dans les différentes études sur la vocation du contrôle de gestion.
2.1 Passer d'un actionnariat d'Etat à un actionnariat privé
Parmi les groupes visités, une des particularités a été de rencontrer des entreprises pour lesquelles la privatisation a profondément modifié les comportements. Il s'agit ici de transmettre aux opérationnels une culture économique, c'est à dire créer de la valeur pour l'actionnaire en lieu et place d'une culture bureaucratique où la valeur financière était peu présente. Dans les entreprises publiques, comme dans les administrations, prédomine une culture de droit écrit avec généralement une dévalorisation pour la communication verbale. Ce qui fait que bien souvent, les opérationnels ou les décideurs estiment que le changement est opéré lorsque la circulaire est rédigée et envoyée aux destinataires : changer de culture, ce n'est pas seulement le décréter encore faut-il le mettre en pratique et le contrôle de gestion a d'après les dirigeants un rôle important à jouer dans la modification des mentalités.
"La privatisation de l'entreprise a profondément modifié la culture de l'entreprise. La rentabilité est affichée comme projet d'entreprise et en cinq ans les mentalités se sont transformées. C'est par le contrôle de gestion que s'est opéré le changement des mentalités et en particulier le passage d'une culture administrative à une culture de profit et à la réactivité à l'anglo-saxonne. Sans une pression forte et une adhésion globale des dirigeants pour implanter le contrôle de gestion, ça ne marche pas [ BNP] ".
Dans nombre d'entreprises protégées du secteur concurrentiel, la seule préoccupation majeure était alors le bouclage du budget, c'est à dire adapter les capacités de production en capital et en travail à la croissance de l'activité et estimer que tout va bien lorsque le budget est bouclé, et tout faire pour ne pas dépasser les enveloppes budgétaires. Cette vision est largement remise en question lorsque l'entreprise rencontre les exigences du marché financier.
"En 1992, l'Etat français réduit sa participation dans le capital à moins de 6% et la mise en place des centres de profit permet d'améliorer la rentabilité et de créer de la valeur pour l'actionnaire. La pression des marchés financiers et le développement des fonds de pension exigent une communication financière de meilleure qualité. Il faut que les résultats reflètent une réalité économique et le contrôle de gestion doit en être le garant [ TOTAL] ".
Le contrôle de gestion devient alors un outil de pilotage du changement tout autant qu'un outil de contrôle du fonctionnement courant : il met sous contrôle l'efficacité tout autant que la productivité.
2.2 Faire d'une somme d'entreprises, un Groupe
Pour certaines entités, la notion de Groupe est évidente comme c'est le cas pour IBM où la culture est unique puisque l'entité IBM existe depuis l'origine. Pour d'autres entreprises, le Groupe est constitué d'une myriade d'entreprises disposant d'une histoire, d'une culture, d'une structure qui leur sont propres. La notion de Groupe est établie dans la présentation financière consolidée mais elle est plus ténue dans la réalité de chaque entité sociale. Il s'agit alors de fédérer les différents métiers ou entités.
"Les sociétés pouvaient être qualifiées d'électrons libres autour d'un noyau central avec peu d'interférences entre elles. Aujourd'hui encore, il y a des sociétés qui sont concurrentes à l'intérieur du Groupe. Quand on est numéro 1 sur certains marchés, on ne peut pas accepter des erreurs de prévisions et le contrôle de gestion a pour vocation de développer un sentiment d'appartenance au Groupe [ DANONE] ".
Le contrôle de gestion est alors au centre de l'évolution de l'organisation et il a pour objectif de fédérer les différentes filiales autour d'une stratégie top down.
"Le Groupe comprend 400 grosses filiales et 3 000 petites. Il est alors nécessaire d'en fédérer les composantes et le contrôle de gestion le fait par métiers [ TOTAL] " ; "La croissance du Groupe a conduit à une modification quasiment constante du périmètre de l'entreprise mais également un changement permanent du périmètre interne avec des regroupements d'activités, des scissions ou des cessions à l'intérieur du Groupe. Le contrôle de gestion devient alors un dénominateur commun [ PUBLICIS] ".
Lorsque l'entreprise passe d'une vocation nationale à une dimension internationale, la problématique est la même mais les données se complexifient car c'est d'une part, donner le sentiment d'appartenance à un Groupe et d'autre part, agréger des particularités locales fortes. Le contrôle de gestion est souvent le vecteur utilisé pour fédérer des entités autour d'un projet commun.
2.3 Passer d'une culture technique spécifique à une culture financière
Souvent, dans les métiers où la technicité est apparue comme le moteur de la réussite économique, les décisions techniques sont rarement prises en rapport avec les conséquences financières qu'elles engendrent.
"Durant de nombreuses années, les industries pétrolières ont souvent été dominées par une culture industrielle forte où l'optimisation de l'outil de production était la principale préoccupation. Les impératifs de production, la référence à la qualité des produits conduisaient à considérer l'outil de production indépendamment des résultats financiers. L'optimisation de l'outil de production conduisait souvent à des conséquences dramatiques sur le niveau de performance [ MOBIL] ".
Le contrôle de gestion permet alors de mettre en évidence les conséquences des plans de fabrication sur les résultats économiques et d'identifier ainsi les activités rentables. De plus, dans les années 80, avec le triomphe de l'économie japonaise et la mise en avant de la qualité totale, les entreprises à vocation traditionnellement industrielles se sont tournées vers la satisfaction du client.
"Dans un secteur où la technique était prépondérante, il a fallu en 1987 faire du client une priorité absolue et si la culture du Groupe demeure industrielle, elle doit aujourd'hui être orientée vers le client, être réactive et sous contraintes : contraintes financières d'une part et contraintes qualité, d'autre part [ VALEO] ".
La tendance naturelle des entreprises est de penser que leur métier est spécifique, d'autant plus lorsqu'il est à dominante artistique, comme s'il existait des techniques de gestion propres à chaque activité.
"La volonté managériale a été d'aller chercher dans l'industrie un contrôleur de gestion pour lutter contre la spécificité du secteur de la communication. La fonction n'est pas de parler de communication mais de budget, de comptabilité ou d'analyse de performances et ceci est universel quel que soit le secteur d'activité. Dans son contrôle de gestion, le Groupe est le plus industriel des communicants [ PUBLICIS] ."
En fait, on ne peut dissocier le contrôle de gestion d'une entreprise de sa mutation culturelle et de la volonté managériale d'insuffler le changement.
3. Le contrôle de gestion dans la conduite du changement
Lors de nos entretiens nous avons noté que l'approche classique instrumentaliste a été abandonnée au profit d'une vision plus managériale. Dans l'approche classique, le contrôle de gestion repose sur un modèle universaliste du contrôle qui le réduit à une série d'outils supposés neutres qu'il s'agit d'assembler en fonction de l'organisation. Dans ce contexte, le contrôle de gestion est le plus souvent ramené au simple contrôle budgétaire qui permet de savoir où se situe l'entreprise, mais ne donne aucun projet à l'organisation. Il est évident que les tableaux de bords et les procédures de fonctionnement interne ne peuvent être déconnectés du projet auquel ils se rattachent et comme la vision managériale du contrôle de gestion se définit aussi bien par les buts poursuivis que par les outils utilisés, le contrôle de gestion peut alors être considéré comme un instrument du changement.
3.1 Décentralisation et unification du système d'information.
Il n'existe pas de bon ou de mauvais système d'information de gestion et celui-ci doit être jugé en fonction de sa contribution au succès de l'entreprise. La question clé est alors de savoir si, globalement, le système comptable et de gestion est compatible avec la stratégie. L'unification du système d'information s'accompagne d'une mutation dans le rôle qui lui est dédié. La fiabilité des prévisions sur laquelle repose le contrôle budgétaire est de moins en moins assuré et il est aujourd'hui impératif de gérer l'instabilité. Le système d'information était généralement fondé sur des cycles lents et sur le souci quasi mythique du respect du budget. Il est par conséquent, urgent de changer de vitesse dans le mécanisme de suivi de gestion et d'améliorer la réactivité du système d'information.
Les responsables s'accordent sur la volonté de construire des structures souples, capables d'expérimentation et d'apprentissage, des structures réactives et adaptatives avec une réduction du nombre de niveaux hiérarchiques et l'adoption de structures plates. Le problème de l'agencement interne des entreprises évolue selon deux grandes tendances. La première est de tenter une régulation de l'organisation par des principes qui sont ceux du marché avec le développement des structures entrepreneuriales reconstituant des conditions de fonctionnement analogues à celles des PME. Chaque entité du groupe noue avec les autres des relations analogues à celles de fournisseur à client et doit rendre compte de ses résultats. Le rôle de la direction est alors de gérer l'infrastructure, d'encourager l'esprit entrepreneurial et d'inciter le marché interne à allouer spontanément des ressources.
"Une organisation décentralisée selon un organigramme circulaire où chaque société est en prise directe avec le Comité de direction" [ DANONE] ; "Les entreprises qui constituent le Groupe sont de toutes tailles, dans des secteurs totalement différents, juridiquement indépendantes, organisées en trois branches et qui sont gérées selon un mode décentralisé" [ PUBLICIS] ; "Chaque entreprise constitue une division et appartient à une des dix branches d'activité. L'organisation est très décentralisée puisque chaque division est autonome et responsable de ses objectifs et de ses budgets même si elles sont toutes au service de la stratégie du Groupe" [ VALEO] ; "Une organisation courte, décentralisée par branche et par secteur. La société est composée d'une mosaïque d'entreprises où les unités opérationnelles sont organisées en centres de profit et sont assistées par des services fonctionnels centraux. Cette organisation a été choisie pour apprécier les centres de profit en fonction de leur résultat mais également par rapport aux moyens mis en oeuvre" [ TOTAL] ; "Une structure divisionnelle organisée par grandes activités commerciales, par circuits de distribution, puis par région : il existe environ 500 centres de profits qui bénéficient de services fonctionnels communs. Chaque centre de profit doit générer une rentabilité normée "[ MOBIL] .
Les exigences accrues de gestion prévisionnelle se sont accompagnées d'un mouvement de décentralisation des structures et la contrepartie de cette décentralisation a été un effort de cohérence qui s'est traduit par une réduction de la cellule centrale au profit des unités opérationnelles. L'arrivée des contrôleurs de gestion dans les filiales ou les établissements a permis alors de prendre en compte toute la perspective moyen terme dans les décisions ponctuelles.
La deuxième tendance repose sur la régulation par des normes, les valeurs ou la culture d'entreprise et une plus grande répartition de l'influence en matière de prise de décision ; l'influence étant fondée sur l'information et l'expertise plutôt que sur un a priori de position hiérarchique. Le système d'information est alors l'élément structurant de l'entreprise comme l'électricité le fut au 19ème siècle.
"Un système d'information unique bâti sur la comptabilité générale et qui repose sur un code de procédure très normalisé. Il existe un seul outil de reporting et de consolidation. C'est le système comptable qui génère toutes les informations, le contrôle de gestion ne produit pas de données et ne doit pas produire son propre système d'information. Il est basé sur la comptabilité." [ VALEO] ; "Un système d'information unique, centralisé mais interrogeable à tout moment par les unités opérationnelles, organisé selon les deux axes produit-client. Avoir le même système d'information, parler le même langage quel que soit le pays a été obtenu par une codification universelle qui supprime les originalités locales. C'est l'organisation qui norme" [ IBM] ; "Il n'y a qu'un seul système comptable et informatique qui a été externalisé chez A. Andersen Consulting, ce qui fait que les informations sont consultables mais les pièces justificatives sont chez A. Andersen. Le système d'information est construit de façon à élaborer les résultats de chaque entité et de faire en sorte que la somme des résultats soit égale au résultat consolidé du Groupe" [ MOBIL] . "Un système d'information bâti pour le contrôle de gestion construit à partir d'un système informatique puissant, très centralisé qui permet d'obtenir une information selon trois axes : client, produit, centre de profit" [ BNP] ; "Un système d'information unique assuré par une entité dans toutes les sociétés du Groupe. Lorsqu'une entreprise intègre le Groupe, une équipe est dédiée pour réaliser le paramètrage de son système d'information" [ PUBLICIS] ;
Comme certaines informations ne franchissent jamais le sas comptable (marketing, R&D, qualité, etc.), les tableaux de bord permettent de diversifier les sources d'informations et de simplifier la complexité. Nul de défend aujourd'hui l'idée que les systèmes dérivés de la comptabilité pourraient vivre sur un rythme annuel ou semestriel. Grâce à la technologie et sous la pression du marché, les systèmes informatiques restituent en temps réel une information d'origine diversifiée.
3.2 Contrôle de gestion et culture d'entreprise
Les secteurs d'activités économiques constituent des microcosmes culturels fondamentalement différents et véhiculent des valeurs souvent opposées :

secteur

culture
valeur véhiculée
industrie
technique
savoir faire
services
valeur produite
savoir
cinéma, publicité
créativité
savoir être
distribution, audit
affaires
finance
entreprises publiques
service public
satisfaction
Si nous avons rencontré lors de nos entretiens quelques uns de ces univers spécifiques, nous avons constaté que le contrôle de gestion est à la fois universel dans son référent de pensée et spécifique dans son mode d'application. Nous pensons que la rationalité est l'élément fédérateur qui permet à l'organisation de changer dans une relative stabilité. Le contrôle de gestion est alors un vecteur privilégié du changement culturel, mission facilitée par le fait que généralement l'homme est mentalement prêt à accepter les méthodes rationnelles de gestion et en particulier les systèmes formalisés de planification - contrôle parce que la rationalité est inséparable de l'idéologie du progrès.
Le contrôle de gestion qui peut être considéré comme un système d'information ne se met pas en place indépendamment de l'histoire de l'entreprise. Il existe un langage propre au secteur d'activité, des mentalités qui génèrent des types d'objectifs et surtout la personnalité des dirigeants qui influe sur le mode d'organisation.
"La mutation du contrôle de gestion est une volonté managériale qui a été d'aller chercher dans l'industrie un contrôleur de gestion pour lutter contre la spécificité du secteur de la communication" [ PUBLICIS] ; "Lorsque le président change, l'organisation change et il y a obligatoirement une remise en cause du contrôle de gestion puisqu'il est au centre de l'évolution" [ DANONE] ; "Le contrôle de gestion existe depuis plus de vingt ans dans le Groupe et son contenu a évolué avec l'organisation" [ MOBIL] ; "Le contrôle de gestion est à la base du management et la direction manage le Groupe avec cette fonction. Sans une pression forte et une adhésion globale des dirigeants pour implanter le contrôle de gestion, ça ne marche pas" [ BNP] .
La nature du contrôle de gestion dépendra du caractère très technique de l'activité ou au contraire de la présence marquée d'une fonction particulière dans l'entreprise comme ce pourrait être le cas avec la fonction marketing. La culture d'entreprise peut naturellement se révéler un atout de compétitivité pour dynamiser les compétences des individus comme elle peut se montrer un facteur de résistance au changement ou entretenir des méthodes qui se révèlent onéreuses pour l'organisation.
"Les industries pétrolières ont été dominées par une culture industrielle forte où l'optimisation de l'outil de production était la principale préoccupation [ MOBIL] ; "La culture d'entreprise est toujours orientée vers le client mais demeure une culture industrielle réactive sous contraintes financières" [ VALEO] ; "Le métier est très souvent physique et la culture demeure un monde d'hommes avec une prédominance pour tout ce qui est technique [ TOTAL] ; "Pendant les années fastes, l'entreprise était marquée par le seul objectif de vendre. La société pensait qu'en étant le leader, il suffisait d'asphyxier les concurrents. Contrairement aux concurrents qui vendaient à bas prix et qui faisait payer les services, le Groupe vendait très cher et ne facturait aucun service. Le chiffre d'affaires n'avait pas de signification pour les vendeurs qui réalisaient leurs objectifs en points" [ IBM] ; "Une culture marquée par la créativité qui avait incité les dirigeants à penser que le contrôle de gestion dans la communication ne pouvait être que spécifique" [ PUBLICIS] ; "Le secret bancaire a eu une influence forte sur l'organisation du contrôle de gestion" [ BNP] ; "La création de valeur pour les actionnaires est le critère principal en fonction duquel le Groupe examine son portefeuille d'activités et analyse les projets d'acquisitions" [ DANONE] .
En conséquence et en considérant le contrôle de gestion comme un instrument du changement, l'entreprise lui dédie deux missions principales :
Ÿ Maintenir la cohérence temporelle en assurant d'une part, l'évolution des outils suite à la mutation de l'organisation et d'autre part, l'adaptation de ces outils à la transformation du critère intégrateur (service, qualité, profit, etc.).
Ÿ Assurer la cohérence organisationnelle en fonction du poids du management et de l'initiateur, en respectant l'attente des acteurs et de leurs motivations.
3.3 Le contrôleur de gestion, acteur du changement
Qualifié de "défenseur de l'opérationnel" [ PUBLICIS] , de "copilote" [ IBM, DANONE, VALEO] ou bien encore de "navigateur" [ TOTAL] , le contrôleur de gestion est en lui-même un système d'information et comme il est souvent crédité d'une compétence certaine et d'impartialité, il dispose d'une influence incontestable lors des arbitrages rendus par la direction. Cependant, la capacité du contrôleur de gestion à obtenir de l'information utile est étroitement dépendante du soutien que lui apporte la direction pour pouvoir réaliser sa mission. La hiérarchie conditionne donc l'accès à certaines informations en fixant l'étendue des prérogatives du contrôleur de gestion dans la recherche de l'information et se trouve parallèlement dépendante de celui-ci dans la diffusion de l'information. Sa qualité de fonctionnel lui confère une influence indirecte sur les décisions opérationnelles mais son rattachement hiérarchique le prive souvent d'une part de prestige. Comme de plus, ses services sont souvent réduits en effectif, la loi de Parkinson selon laquelle la situation sociale s'élève avec le nombre de subordonnés, ne lui est pas favorable.
Le contrôleur de gestion est un acteur du changement car il change le langage en imposant un langage de gestion (sémantique, syntaxe) et impose un modèle de type bureaucratique qui privilégie l'écrit comme mode de communication et une quantification croissante. De plus, il diffuse le modèle en privilégiant l'aspect pédagogique de la fonction.
"Le rôle du contrôleur de gestion est de faire comprendre à ses interlocuteurs le lien entre les leviers physiques et les indicateurs financiers" [ VALEO] ; "Le contrôleur de gestion doit véhiculer les nouveaux concepts, les vulgariser, les faire sortir du ghetto des spécialistes pour rendre les responsabilités là où elles sont. Il doit être capable de faire de la mise à niveau, parler à chacun de ses interlocuteurs son langage : il doit faire chanter les chiffres"[ DANONE] ; "Le contrôleur de gestion a un rôle de back office, il doit comprendre ce que la comptabilité générale donne comme information et expliquer pourquoi elle est différente de celle fournie par d'autres sources d'information" [ PUBLICIS] .
Les contrôleurs de gestion constituent un réseau où les responsables opérationnels manquent de temps pour dialoguer avec la hiérarchie et inversement. Pour communiquer, il est nécessaire de parler le même langage, disposer en fait d'une certaine unité de doctrine et de pensée. La culture comptable n'est pas très partagée dans les entreprises et la première fonction du contrôleur de gestion sera de "faire passer les messages" ou de "traduire en langage compréhensible" les messages de la hiérarchie ou de la base.
Le langage partagé dans une entreprise est souvent constitué des mots utilisés dans le tableau de bord et définis pour ses besoins et ainsi, ces termes participent à la culture d'entreprise. Parfois, le choix d'indicateurs plus qualitatifs ou plus orientés par exemple sur le cash traduisent une mutation culturelle de la société. En fait, le contrôleur de gestion intervient souvent en médiateur parce que les mots n'ont pas le même sens pour tous les intervenants internes ou externes à l'unité opérationnelle ou à l'entreprise. Lors des procédures d'audit (interne ou externe), le contrôleur de gestion a donc pour mission d'instaurer un dialogue constructif.
"Le contrôleur de gestion centralise l'information et doit donner une approche économique aux opérationnels qui ont tendance à privilégier l'aspect technique des opérations" [ TOTAL] "; "Le contrôleur de gestion est la conscience économique du décideur. Il doit être capable de traduire la notion de conscience économique pour la faire partager par le personnel" [ VALEO] ; "Le contrôleur de gestion avait pour mission de convaincre le corps social de la nécessité de se tourner résolument vers la culture du profit"[ BNP] .
Le contrôleur de gestion possède nécessairement la polyvalence qui lui permet de communiquer avec chacun des services. A ce titre, il met en place le système d'information qui permet le pilotage de l'entreprise et les entretiens nous ont révélé qu'il y avait trois étapes dans ce processus : définir un langage universel, mettre en place des procédures et vérifier en permanence la pertinence des indicateurs choisis.
"Le contrôleur de gestion a en charge le référentiel sémantique parce qu'il est à l'interface entre les métiers, entre les opérationnels et le Groupe" [ PUBLICIS] ; "Le contrôleur de gestion a pour mission de diffuser un langage commun pour maintenir la cohérence dans l'ensemble des cents pays" [ BNP] .
Les contrôleurs de gestion vivent des chocs culturels forts avec les opérationnels qui ont tendance à privilégier l'oral sur l'écrit, l'intuitif sur le raisonné et l'adaptation sur l'anticipation. Les contrôleurs de gestion sont par conséquent souvent isolés, ce qui renforce leur solidarité à l'intérieur d'une profession où les contacts comme les mutations sont fréquentes.
A la suite de nos entretiens, nous avons relevé des attitudes, des attributs ou des caractéristiques qui nous permettent d'avancer que le contrôleur de gestion est un véritable acteur du changement. Grâce à l'informatique avec laquelle nous connaissons une automatisation des processus de saisie et du traitement de l'information, nous assistons à une véritable mutation du métier de contrôleur de gestion. Ce phénomène accompagne la décentralisation du contrôle des performances sur les sites par un responsable qui est en mesure de gérer l'indicateur qui conditionne la bonne marche de son unité.
Si la délégation est acceptée et le traitement de l'information généralement automatisé, le contrôleur de gestion se trouvera alors déchargé de la phase bureaucratique de son activité et trouvera ainsi le temps de transmettre son savoir et de diffuser une véritable culture de gestion. Auquel cas, un danger guette le contrôleur de gestion, car si chacun fait naturellement du contrôle de gestion comme un prolongement normal de son travail habituel, il est à craindre - ou à souhaiter - qu'à terme le contrôle de gestion ait le même avenir que la qualité dans les entreprises qui fait aujourd'hui partie intégrante du cahier des charges et ne justifie plus de responsabilité au niveau hiérarchique. 
Conclusion
Nous tenons à préciser que les limites traditionnelles à ce type de travail sont de deux ordres et proviennent soit de la personne interrogée, soit de l'analyse des propos qui en a été faite par la suite. En ce qui concerne la personne interrogée nous relèverons deux limites classiques :
Ÿ le locuteur manque de liberté puisqu'il est dans une situation où il n'a pas l'initiative de sollicitation. De plus, le contenu de l'entretien peut évoluer par la situation créée par le jeu des acteurs,
Ÿ les propos ont été recueillis auprès des responsables de la mise en place du contrôle de gestion et de leurs subordonnés. Les responsables opérationnels ne font pas partie du champs de recherche, ce qui nous donne qu'un seul point de vue.
A propos de l'analyse de contenu, nous relèverons également deux limites :
Ÿ l'analyse de contenu présentée dans ce rapport est transcrite en fonction de notre problématique et non pas en fonction de la logique du locuteur qui structure son discours sur l'ensemble de l'entretien,
Ÿ la subjectivité de toute analyse de contenu peut transparaître du fait de l'interprétation du sens à travers le jeu des déplacements dans l'énonciation.

Enfin, toute recherche qualitative pose le problème de la généralisation. Dans cet article, nous n'avions pas d'autre ambition que l'apport d'un éclairage spécifique, sous la forme de témoignages, sur la relation entre le contrôle de gestion et la conduite du changement. 

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