Résumé
Face à une
économie mondiale caractérisée par l’ouverture des marchés, la libéralisation
des échanges et l’avènement des technologies de l’information ; les
entreprises sont contraintes de remettre en cause leurs pratiques de contrôle
de gestion, ainsi que leur modèle d’organisation afin d’améliorer leur
performance et d’être compétitives, condition nécessaire à leur pérennité.
L’objet de cette
communication consiste à étudier l’évolution des pratiques du contrôle de
gestion face aux nouveaux besoins des entreprises qui sont confrontées à une
turbulence de leur environnement. L’illustration sera faite à partir d’une
validation empirique dans le contexte tunisien.
Mots clés
– contrôle de gestion, changement organisationnel, performance.
Abstract
In the face of a worldwide economy
based on free markets, free exchanges and the information technologies, firms
are forced to question their management control practices and their model of
organization in order to improve their performance and to be competitive, important
requirement for their perenniality.
The purpose of this communication is to study the practical development
of the management control in line with the new needs of most companies which
are facing turbulence on their working environment. An illustration of the
above will be built following a validated empirical concept related to the tunisian
environment context.
Key words – management control,
organizational change, performance.
Introduction
L’internationalisation
de la concurrence et la mondialisation des marchés caractérisent le nouvel
environnement économique des entreprises. En plus, l’évolution des technologies
de l’information et de la communication a rapproché les distances et a éliminé
les frontières, réduisant ainsi le monde en un grand marché dans lequel les
informations, les capitaux et les marchandises circulent facilement et rapidement. Ces mutations
apportent certainement de nouvelles perspectives, mais surtout de nouveaux
défis à cause des nouvelles contraintes.
Pour pouvoir
surmonter la complexité et dominer les impacts de l’environnement, les
organisations doivent réapprendre à gérer le présent pour pouvoir maîtriser
l’incertitude de l’avenir. En effet, le
contrôle de gestion, dans la mesure où il se fonde sur des notions ayant trait
aux événements futurs, tels que la gestion par les objectifs ; est
particulièrement confronté à cette turbulence de l’environnement.
Nous essayerons
dans le cadre de cette communication d’étudier le rôle de l’information dans le
changement du système de contrôle de gestion, de montrer les limites des
pratiques traditionnelles du contrôle de gestion face à une évolution des
critères de mesure de la performance organisationnelle et de déterminer le
nouveau rôle du contrôleur de gestion dans ce contexte de mutation.
Le développement de ces constats caractérisant
le nouvel environnement des entreprises confrontées à plusieurs changements,
nous mène à s’interroger sur leur validation dans le contexte économique et technologique
tunisien.
- Rôle de l’information dans le changement du
contrôle de gestion
Suite à la libéralisation des économies, les
entreprises deviennent ouvertes sur leur environnement extérieur et se trouvent
obligées de prendre en considération les éléments et informations
externes. Bien gérer ces informations
permet à toute entreprise de justifier ses décisions, d’assurer le meilleur
fonctionnement interne de ses activités et de décider par conséquent ; des
objectifs, programmes et actions à mettre en œuvre. Ces informations devraient
donc être précises, détaillées, fiables et pertinentes. En effet, les prises de
décisions sont largement influencées par les signaux émis par les systèmes
d’information et tout spécialement par celui qui est animé par le contrôle de
gestion.
Le système d’information
Le système
d’information est un élément essentiel du processus de gestion et une
composante fondamentale du contrôle de gestion. Il doit fournir une description
précise d’une évolution passée, faire apparaître les écarts et permettre d’en
expliquer les causes afin d’éclairer la prise de décision. Il assure la
facilité de compréhension et de mise en œuvre des différentes applications
entre les postes de travail et les fonctions.
Le système
d’information constitue de ce fait une composante disponible à tous les membres
de l’organisation pour l’atteinte des objectifs. Le contrôle de gestion
contribue à l’élaboration du système d’information de gestion en fournissant
des référentiels d’évaluation de la performance qui aident à l’organisation du
système comptable et à l’établissement des tableaux de bord [Robert Teller,
1999].
Le système
d’information de gestion répond à différents besoins dans l’entreprise. Il
produit des informations de gestion et des indicateurs pour assurer le pilotage
et le management des activités de l’entreprise. Il automatise et facilite le
déroulement des processus administratifs et de conduite des activités. Le
système d’information de gestion s’adresse donc à l’ensemble des utilisateurs
de l’entreprise : les acteurs opérationnels, les gestionnaires et les
dirigeants.
Laurent Spang
[2002] explique l’émergence et le développement du contrôle de gestion, par le
déséquilibre qui existe entre les besoins et les capacités de traitement de
l’information. D’une part, le besoin en traitement de l’information s’accroît
selon l’évolution de l’environnement et les caractéristiques des activités ,
notamment du fait des technologies de l’information et de la communication, ce
qui accroît les interactions entre les unités au sein des organisations.
D’autre part, l’évolution des ressources et de la capacité de répondre à ces besoins s’est
développée d’une façon insuffisante, d’où l’apparition d’un écart entre besoin
et capacité devant être comblé grâce à une évolution du contrôle de gestion
dans les entreprises.
Haldma et Laas [cités par Nobre T., Riskal
D, 2003], ont constaté
que le besoin d’une information détaillée et pertinente (68%) constitue l’une
des principales causes à l’origine du changement des pratiques du contrôle de
gestion. En effet, le système d’information doit être adaptable et évolutif
face au changement et à l’incertitude de l’environnement. Il doit être capable
de détecter et de prendre en considération les nouveaux besoins de
l’organisation afin de permettre à tous les acteurs de mieux cerner les
imprévus et la complexité environnementale.
Selon Malo et
Mathé [1998], le système d’information constitue le principal instrument du
contrôle organisationnel. Il a un rôle de connaissance de l’extérieur et donc
de couplage avec l’environnement. Il a aussi un rôle de participation aux
décisions (évaluation, surveillance, correction…) afin de favoriser un
fonctionnement coordonné et finalisé de l’organisation. A partir de là, ces deux
auteurs pensent que pour répondre aux besoins d’information, le système
d’information doit être structuré en composants pour pouvoir surveiller le
cheminement des informations internes et externes à l’entreprise. Un système
d’information tourné vers le contrôle est un système permanent et global
permettant de servir tous les décideurs. Il favorise ainsi la définition et la
sélection d’actions convergeant avec les buts de l’organisation.
La diffusion de l’information
au sein de l’organisation
L’information et
les indicateurs produits doivent permettre d’informer le responsable sur la situation de son activité et lui faciliter
la prise de décision. Ils doivent découler des principes et règles de gestion
que l’entreprise a définis et doivent être adaptables au métier observé. Ils
doivent être lisibles et fiables, c’est-à-dire compréhensibles, acceptés,
exhaustifs et à jour. Le système d’information de gestion prend une place
décisive dans le management. En effet, la maîtrise de l’information devient un
élément clef de la gestion et du contrôle dans une entreprise [Corfmat D,
Helluy A, Baron P, 2000].
Clotilde De
Montgolfier [1999], distingue deux situations de contrôle. La première est une
situation de contrôle externe où le contrôleur est extérieur à l’action. Il
détermine des conditions optimales de fonctionnement du système contrôlé, puis
propose un réfèrent aux opérationnels par l’intermédiaire de normes standards.
Cependant, dès qu’il se trouve confronté à de fortes complexités et
incertitudes, le contrôleur ne peut plus modéliser et standardiser comme prévu.
Le contrôle externe devient donc impraticable dans la mesure où il n’est plus
possible d’élaborer un réfèrent et d’éditer des standards. Il convient alors de
privilégier un mode de contrôle interne où la boucle du contrôle est mise en
œuvre par les acteurs plongés au cœur du système à contrôler (situation de
contrôle interne).
Dans cette
perspective, les informations sont nécessaires non pas pour contrôler les
opérateurs selon les normes préétablies mais pour les informer au sujet de
leurs tentatives de résolution des problèmes [Kaplan, 1995]. Les acteurs
doivent tenter de déterminer en permanence des facteurs de causalité,
significatifs pour la consommation des ressources et la création de valeurs pour
toutes leurs activités.
Certains auteurs pensent que le processus de contrôle peut
être conçu comme étant lui-même un système d’information, tant sur le plan de
son automatisation (système informatique) que sur celui de la mise en relation
d’un émetteur et d’un récepteur au moyen d’un support puisque l’information n’a
pas de statut elle-même si elle n’est pas communiquée [Bouquin H, Pesqueux Y,
1999]. En effet, le rôle du contrôleur qui était souvent axé sur l’édition de
documents comptables et budgétaires, évolue vers une fonction de communication
rendant sa mission plus informelle cherchant la cohérence entre les systèmes
d’information afin de développer la capacité à communiquer entre les membres de
l’organisation.
Le contrôleur de gestion doit être garant des informations
qu’il présente et animateur des processus d’apprentissage en rendant
compréhensible la vision des autres. Il est donc étroitement lié à la mise en
place des systèmes d’information et de contrôle. Il utilise ses compétences
pour aider les responsables opérationnels à la synthèse des diverses
informations retenues et leur
interprétation [De Montgolfier, 1999].
Le contrôle de gestion face aux
technologies de l’information et de la communication
Le vingtième
siècle est le siècle des grandes innovations en matière de technologies. Les
changements technologiques posent des défis importants à l’organisation qui
doit être capable de les relever. Les systèmes de production de l’information
de gestion déterminent plus ce que jamais la réussite ou l’échec des
entreprises. L’arrivée des systèmes de gestion intégrés a complètement
transformé les conditions dans lesquelles il convient de concevoir, de mettre
en œuvre et d’exploiter le système d’information de gestion d’une entreprise.
Le principe de
fonctionnement de ces systèmes est d’associer au sein d’un même produit des
fonctions complémentaires et dépendantes les unes des autres dans le domaine
des achats, de la production, des ventes, des ressources humaines, de la
comptabilité et du contrôle de gestion. Cela montre l’imbrication des fonctions
opérationnelles avec celles qui relèvent de la finance et de la comptabilité,
ainsi que le caractère transversal des grands processus. Ces outils facilitent
la compréhension de l’information et permettent d’approcher et d’exploiter au
mieux l’information décisionnelle.
Les systèmes ERP
par exemple, permettent l’intégration des systèmes d’information par la
création d’interface entre les différentes fonctions. On ne parle plus de
systèmes d’information par fonction, ayant essentiellement un objectif de
production. Avec les ERP, le contrôle de gestion utilise un système
d’information alimenté par tous les autres modules issus des branches
industrielles ou commerciales (facturation, maintenance, comptabilité,
achats…).
Par ailleurs, les
ERP constituent une aide précieuse pour le contrôleur de gestion dans la
réalisation de sa mission. En effet, avec les ERP, l’entreprise quitte la
vision verticale et le cloisonnement par métier puisque l’objectif de l’ERP est
de raisonner par flux transverses suivant des référentiels communs. Cela passe
par des bases de données uniques et partagées, ce qui permet au contrôleur de
gestion de garantir une cohérence de l’information. Cette cohérence ne signifie
pas fiabilité directe, mais en cas d’erreur dans les données, l’ERP permet de
retrouver la source grâce à la traçabilité des informations qu’il présente et à
la garantie qu’il offre pour corriger les erreurs éventuelles : c’est dans
ce sens que l’ERP aide le contrôleur de gestion à fiabiliser les données. Ce
dernier a un rôle de reconfiguration de tout changement [Autissier D, 2003].
En effet, avec
les technologies de l’information, le contrôleur de gestion consacre moins de
temps à la collecte des données, accède plus facilement à des informations
externes afin de gagner plus de temps pour les analyses approfondies et les
interprétations [Siegel, 1999]. Il s’occupe désormais du traitement, de la
présentation et de l’analyse des informations sans se soucier du calcul des
résultats financiers fournis par les logiciels. Il cherchera aussi, à améliorer
le rendement par réduction des effectifs liés à la gestion des routines
comptables et à minimiser les délais de livraison de l’information. Le
contrôleur de gestion s’assurera également de la fiabilité des informations et
du respect des échéances [Henry Bouquin, Yvon Pesqueux, 1999]. C’est ainsi que
Siegel et Sorensen [1999] constate que 74% des contrôleurs de gestion
attribuent le changement de leur rôle de technicien vers celui de conseiller,
principalement aux technologies de l’information.
Toutes ces études évoquent la relation entre
l’information et le contrôle de gestion et conduisent ainsi à la formulation de
notre première hypothèse : le besoin d’une information pertinente
et le développement continu des technologies de l’information et de la
communication poussent au changement du contrôle de gestion.
- Remise en cause des outils traditionnels du
contrôle de gestion pour la mesure de la performance
La présentation de
quelques repères dans la littérature permet de mettre en évidence les pratiques
d’amélioration des systèmes de mesure de la performance préconisés par les auteurs. Les points communs aux
multiples contributions traitant de la remise en cause et de la rénovation des
systèmes de contrôle de gestion, résident en effet, dans la recherche de
données permettant de représenter de manière pertinente le fonctionnement de
l’organisation.
Le processus
classique du contrôle de gestion se résume en deux phases : l’élaboration
du budget puis le reporting centré sur la réalisation du budget et l’analyse
des écarts. Aujourd’hui, le cycle du contrôle de gestion s’est complété et
enrichi. Le lien avec le pilotage stratégique s’est renforcé. La stratégie et
le choix des outils de pilotage conditionnent le processus du contrôle de
gestion. Par conséquent, la problématique de l’évaluation de la performance
s’est largement enrichie.
Aujourd’hui, la
problématique du contrôle de gestion devient celle de la créativité, c'est-à-dire
la capacité de ce dernier à créer de la valeur ajoutée et à influencer les
acteurs pour qu’ils mettent en œuvre des actions concrètes permettant
d’exploiter les ressources dégagées par les réductions des coûts. Le contrôle
de gestion créatif est donc un processus qui s’attache à la fois à la réduction
des coûts et à la réallocation des ressources économisées.
2.1. Limites des méthodes traditionnelles de calcul des coûts
Le contrôle de
gestion traditionnel ne peut avoir qu’une vision contrôlante et non créative
car il s’intéresse peu au potentiel d’une entreprise. Il est fondé
principalement sur les états financiers. Ces derniers fournissent surtout des
informations historiques sur les résultats des activités réalisées dans
l’entreprise. Les états comptables et financiers ne fournissent pas de
variables d’actions et n’identifient pas les causes de ces résultats.
L’éclairage qu’ils apportent aux gestionnaires est finalement peu pertinent
pour les aider à prendre des décisions stratégiques. En effet, les outils du
contrôle de gestion sont fortement remis en cause. Pour les praticiens et les
consultants, les systèmes traditionnels de gestion sont lourds et inefficaces.
Souvent trop concentrés sur l’intérieur de l’entreprise et pas assez ouverts
sur l’extérieur, ils ne rendrent pas compte du fonctionnement des entreprises
qui ont adopté de nouvelles formes d’organisation.
Le système
traditionnel de la comptabilité analytique de gestion est largement influencé
par les règles et les procédures de la comptabilité financière. Il est orienté
vers la production des rapports financiers qui prennent généralement du temps
pour être exploités et qui n’ajoutent donc pas de la pertinence à la prise de
décision (la méthode du coût complet, la méthode du coût direct, l’imputation
rationnelle des coûts de structure…). Ces méthodes ne traitent que des
ressources directement utilisées comme la main d’œuvre directe, les matières
premières et les composantes du produit fabriqué. Aujourd’hui, nous parlons
d’une évolution des coûts indirects due à la modernisation de la technologie
qui se caractérise par l’apparition des machines automatisées et gérées par
ordinateur d’une part, et par l’accroissement de la concurrence nécessitant des
investissements en recherche et développement et des engagements à caractère
indirect, d’autre part.
En effet, l’accroissement
de la concurrence incite de plus en plus les entreprises à réduire leurs coûts
tout en maintenant élevée la qualité de leurs produits et services. D’une part,
l’automatisation, l’intégration de nouvelles technologies, et l’adoption de
nouvelles méthodes de contrôle et de production, comme la gestion intégrale de
la qualité, le juste à temps et la
conception par ordinateurs, ont rendu caduques les anciennes modalités de répartition
des coûts ; fondées sur des bases d’allocation des frais généraux liés au volume d’activités exprimés en nombre d’heure de main d’œuvre
directe ou en nombre d’heure
machine. Actuellement, les machines
ont massivement remplacé la main d’œuvre et
les frais généraux représentent
une portion des coûts de plus en plus importante [Zéghal D., Bouchekoua
M, 2002]. Il devient donc nécessaire de repenser complètement un système de
calcul de coûts qui soit capable de répondre aux objectifs assignés au contrôle
de gestion et aux besoins des utilisateurs.
2.2. Evolution des pratiques du contrôle de gestion
Selon Pierre
Mévellec [1998], le principe nouveau de calcul des coûts est simple. Il
respecte un principe de causalité selon lequel un objet de coût ne recevra que
les coûts dont il est la cause. Les coûts sont véhiculés par des inducteurs
caractérisant chaque centre de regroupement. Les notions de coûts complets et
coûts directs ne sont plus pertinentes. Le respect de la règle de causalité
fait que tous les coûts sont à la fois complets et directs. La notion de coût
complet du produit au sens actuel du terme disparaît. Le respect de la règle de
causalité ne permet plus d’affecter sur le produit les consommations de
ressources liées aux canaux de distribution ou au marketing général. Celles-ci
sont liées aux clients, aux points de vente ou aux domaines stratégiques et non
aux produits.
La comptabilité
par activités aide à pallier aux faiblesses de ces méthodes en permettant le
calcul d’un prix de revient plus fiable et plus approprié au nouveau contexte
de production et de commercialisation. L’Activity Based Costing (ABC) est une
méthode d’affectation des charges d’une entité (société, direction…) sur des
activités (conception des produits, distribution, gestion des sinistres…) avant
de répartir celles-ci sur des produits ou des marchés, permettant ainsi une
affectation plus directe des coûts sur les produits. La mise en place de ce
nouveau système pour l’élaboration d’un coût de revient à base d’activité
répond à la perte d’homogénéité des centres d’analyse en se focalisant sur les
différentes activités élémentaires, au lieu de prendre appui sur des centres de
responsabilité [Gwenael Prouteau, 1994]. En évitant toute hiérarchie entre les
activités, la comptabilité à base d’activité sous-tend une nouvelle conception
de la création de la valeur au sein de l’entreprise. Elle se place dans une
logique de gestion des coûts et non de répartition des charges, afin d’éviter
les effets pervers qui naissent de la déformation de la structure
traditionnelle de l’analyse des coûts.
Quant à la
méthode du coût cible, elle repose sur le principe de gestion des coûts basés
sur le prix de marché et fut l’objet d’une abondante littérature [Lorino,
1991]. Le management par les coûts cibles permet aux managers et
ingénieurs de concevoir des produits pour des marchés dans lesquels le
prix de vente est une donnée. Au lieu de trouver le prix par une approche
« coût » plus « marge », le manager doit renverser son
équation. Le prix est une contrainte, le profit est exigé par la stratégie à
long terme de l’entreprise ; le coût cible est donc égal au prix de marché
diminué de la marge souhaitée. Cette dernière est définie par le management en
fonction des objectifs et du positionnement technique du produit. Le prix de
vente concurrentiel est déterminé par la pratique du benchmarking. La méthode
du coût cible permet donc l’amélioration de la réactivité et le renforcement
des capacités distinctives de l’entreprise afin de pouvoir défier la
concurrence.
Aujourd’hui les
entreprises ne cherchent plus à contrôler le futur, elles cherchent à le gérer
et à s’y adapter rapidement. Les
systèmes d’évaluation de la performance se diversifient de plus en plus. Les
techniques standardisées de gestion
s’intéressent à toutes les activités (administration, logistique,
qualité, délais, conception des produits…) et
à tous les secteurs (public, associatif, commerce, services…). Selon
Zimnovitch [1999] et Naulleau et Rouach [1998], plusieurs outils symbolisent la
refondation du contrôle de gestion pour une meilleure mesure de la performance
(la gestion par les activités, le tableau de bord prospectif, la budgétisation
à base zéro, l’Economic Value Added, la méthode du juste à temps, le benchmarking,
le reengineering…)
Ainsi, au fur et à mesure que la turbulence de
l’environnement augmente, l’efficacité des outils traditionnels de gestion
diminue jusqu’à ne plus servir la performance de l’entreprise. S’orienter vers
les outils de contrôle et de guidage devient nécessaire pour développer la
capacité de réactivité de l’organisation. Beaucoup de gestionnaires semblent se
comporter comme si le temps était une variable connue et que toutes les
tranches annuelles ou mensuelles étaient équivalentes. Cependant, les contacts
avec les clients se produisent à des dates aléatoires ; les nouvelles
techniques et les nouveaux procédés sont
aussi introduits à des dates variées. C’est le cycle de vie des produits et de
l’innovation technologique qui définit l’horizon temps dont doit s’occuper le
comptable ou le gestionnaire.
2.3. La diversification des systèmes d’évaluation de la performance
La « fonction
moderne du contrôle » constitue une réforme de gestion. Elle vise
l’efficacité dans la gestion des ressources et la prise de décisions. Elle
permet d’intégrer les données financières et non financières sur le rendement
et fournit aux gestionnaires une démarche raisonnée de la gestion du risque,
des mécanismes de contrôle efficace et un ensemble de principes d’éthique et de
valeurs.
Le développement
de formes organisationnelles nouvelles qui s’appuient sur des processus
davantage autocontrôlés relève le rôle central des acteurs dans le management
de la performance, et la nécessité de s’intéresser aux modalités d’intégration
entre la gestion des ressources humaines et le contrôle de gestion. La création
de valeur au service du client devient un concept clé qui entraîne une remise
en cause des outils de comptabilité analytique et de contrôle, et refonde les
outils basés sur les activités et les processus [Henri Savall et Véronique
Zardet, 2001].
Les travaux en
contrôle de gestion relevant d’une perspective extracomptable sont de plus en
plus nombreux. En France, les travaux les plus significatifs sont ceux de
Burlaud et Simon [1997], « qui approchent le contrôle de gestion comme une forme de mise sous tension de
l’organisation (système d’information, de mobilisation, approche socio
organisationnelle) et s’intéressent au contrôle de gestion comme instrument de
motivation ». La maîtrise des charges et des coûts historiques qui
sont l’obsession du contrôle de gestion traditionnel, n’est plus apte à faire
progresser l’efficacité du pilotage stratégique de l’entreprise.
La contribution des acteurs à la valeur ajoutée améliore,
quant à elle, l’efficacité de l’analyse de gestion et crée une dynamique de
déploiement, redéploiement ou dynamisation des ressources disponibles. La
performance n’est pas seulement mesurée, elle doit être crée de façon
proactive. Le comptable de gestion doit utiliser ses talents pour contribuer à
la création exante de l’environnement qui permettra, avant même que les
décisions ne soient prises et mises en œuvre, de maximiser la probabilité que
les résultats expost seront
satisfaisants.
Des évolutions majeures se sont survenues dans les
stratégies organisationnelles notamment la rénovation des fondements de la
compétitivité par la qualité des produits, les services périphériques et
l’innovation [Allouche et Schmidt, 1995 ; Malo et Mathé, 1998]. Ces nouveaux
critères de compétitivité ont généré naturellement de multiples besoins en
informations internes non seulement financières mais aussi et surtout non
financières [Bescos et Mendoza, 1999].
Pour de nombreux
spécialistes, les données non financières ou physiques permettent d’assurer la
réactivité organisationnelle [Chiapello
et Delmond, 1994], contribuent à la transversalité [De Montgolfier, 1994],
permettent de mesurer avec plus de pertinence que les données financières, la
complexité organisationnelle, notamment l’immatérialité [Mavrinac et Siesfeld,
1998] et une performance multicritère [Lorino, 1991]. Elles sont, de ce fait,
davantage en phase avec les stratégies de différenciation et la diversité des
facteurs clés de succès [Mathé et Malo, 1998]. L’utilisation des données non
financières conduirait même à une meilleure performance organisationnelle
[Jorissen, 1999 ; Boisvert, 1991] [1].
Le concept de
performance doit passer par des résultats financiers compétitifs en même temps
que par la préservation ou le développement des capacités et compétences
stratégiques de l’entreprise. La mesure de la performance ne se limite plus à
la rentabilité et aux résultats financiers ; d’autres facteurs sont pris
en considération. Les décideurs en matière de gestion sont confrontés à
plusieurs informations qui ne sont pas directement tirées d’indicateurs
financiers issus de systèmes d’information de gestion. En effet, ces
indicateurs ne suffisent pas pour analyser et comprendre l’origine de leur
réalisation ou leur variation. L’observation scientifique rapprochée des
décideurs au sein des organisations montre que la prise de décision de
gestion requiert des indicateurs à la
fois qualitatifs, quantitatifs et financiers.
Le système de
mesure en contrôle de gestion doit être rééquilibré afin de ne plus traiter
uniquement les mesures de court terme comme le profit, la part de marché, les
cash-flows, le chiffre d’affaire et les coûts. Les contrôleurs de gestion
doivent encore résoudre des problèmes de mesure pour cerner la satisfaction des
clients, la modernité du savoir faire technologique, la souplesse
organisationnelle, le capital de compétences humaines ou le capital marque en
marketing [J.L.Ardoin, 1994]. En effet, les résultats d’une étude de Marc
Bollecker [2003] portant sur les apports et les limites de l’utilisation des
données non financières montre le succès de l’utilisation des données non
financières. Il a réalisé une enquête auprès de 1010 entreprises du
« Grand Est » français et il a constaté qu’une grande majorité des
services de contrôle de gestion complètent leur système de mesure de
performance financière avec des données non financières (93.8%).
Les systèmes de contrôle de gestion sont au service de
l’ensemble des partenaires de l’entreprise. La satisfaction des besoins
exprimés par ces partenaires est alors à identifier dans le fonctionnement
organisationnel et à traduire en indicateurs de performance [Oriot, 1999 ;
Atkinson, 1997]. Le tableau de bord prospectif de Kaplan et Norton en constitue
une illustration. Il est né d’une remise en cause des systèmes d’évaluation de
la performance, exclusivement centrés sur le suivi des résultats financiers. Il
constitue par conséquent, un outil qui ne privilégie aucune dimension au
détriment de l’autre permettant ainsi un
pilotage global de la performance [Choffel, 2003]. Le tableau de bord
prospectif consiste à regrouper des indicateurs physiques et financiers dans un
document unique, destiné à mesurer quatre phénomènes : la performance
financière de l’entreprise pour les actionnaires, les facteurs créateurs de
valeur pour les clients, les processus internes et l’apprentissage
organisationnel.
Cette analyse
montre que les pratiques traditionnelles du contrôle de gestion sont de moins
en moins pertinentes dans un environnement en perpétuelle mutation. Elle
conduit ainsi à la formulation de notre seconde hypothèse : l’élargissement
des critères de mesure de la performance organisationnelle entraîne la remise
en cause des pratiques traditionnelles du contrôle de gestion.
- Evolution des pratiques du contrôle de
gestion et remise en cause des structures organisationnelles
Diffusion et partage de la
fonction contrôle de gestion au sein de l’organisation
La
complexification de l’environnement dans lequel évolue l’ensemble des
entreprises et la croissance de l’incertitude qui en découle ont provoqué
l’apparition d’une fonction de contrôle de gestion de plus en plus intégrée [Raymond,
1995]. Elle dispose d’outils spécifiques permettant à la fois le contrôle des
opérations et le pilotage stratégique, dans une perspective de gestion
permanente et effective des risques internes et externes [Gervais,
2000 ; Merchant, 1997 ; Van
Caillie, 2001].
Le contrôle qui
va de pair avec une information parfaite détenue par la direction et traduite
en actions selon une coordination verticale,
a largement montré ses limites. Face à l’incertitude de l’environnement,
seul le développement de la capacité de réaction permet aux organisations de
s’adapter. Cela suppose en particulier que chacun soit conscient des chaînes de
causalité qui structurent l’organisation, afin de développer une maîtrise
collective des adaptations nécessaires. Cela suppose également un traitement
décentralisé de l’information susceptible de faire émerger des orientations
stratégiques, non anticipées, mais permettant de répondre rapidement aux
nouveaux besoins détectés dans l’environnement [Mévellec, 1998].
Les
responsabilités ont été distribuées au sein des entreprises depuis quelques
années alors que les systèmes de contrôle de gestion sont restés relativement
figés dans leurs pratiques et conceptions. Ces systèmes ont été fondés sur
l’idée de faire descendre aussi bas que possible au sein de la hiérarchie de
l’entreprise les budgets et les tableaux de bord de gestion dont les contenus
reflètent la capacité d’agir, c’est à dire la délégation d’autorité reçue par
un centre de responsabilité.
Le nouveau
contexte managérial appelle à une décentralisation et un assouplissement du
système de contrôle de gestion. Ce dernier devrait pouvoir intégrer une
dimension interactive ayant pour finalité, de focaliser l’attention de tous les
acteurs sur les incertitudes stratégiques liées à leur façon de manager,
favorisant ainsi l’émergence de propositions et d’innovation [Aminats A, 1999].
La direction de l’entreprise utilise dans ce cas son système de contrôle de
gestion de manière dynamique pour promouvoir l’apprentissage organisationnel en
orientant les conduites des acteurs vers la maîtrise des incertitudes
stratégiques et la remise en cause des normes et des règles en place
habituellement posées. Selon Fabienne Oriot [1999], « définir un
maillage pertinent et cohérent de l’organisation supposerait de favoriser à la
fois la coordination verticale et l’articulation transversale, et donc de
réfléchir préalablement à une structure organisationnelle adaptée ».
De même, le découpage vertical en centres de responsabilité qui fonde le modèle
traditionnel du contrôle de gestion repose sur la traduction des objectifs à
long terme en actions concrètes à court terme.
La logique
actuelle des entreprises est de mettre leurs efforts sur une intégration des
processus parce qu’elles ont compris que le client évaluait un rapport
« qualité/prix » de l’ensemble de ses interactions avec l’entreprise.
Certains auteurs parlent d’une trilogie du découpage de l’entreprise en centres
de responsabilité, couplée avec un système de mesure des performances, compte
tenu d’une finalisation d’ensemble garante de la convergence des buts [Fiol,
1991 ; Chiapello, 1994, cités par Bouquin et Pesqueux, 1999]. En effet,
les nouvelles formes d’organisation du contrôle de gestion traduisent un
rattachement de la fonction contrôle de gestion à des directions
opérationnelles et stratégiques plutôt qu’aux directions comptables et
financières. Elles traduisent aussi une modification des rôles et des missions
du contrôleur qui devient un expert conseiller en matière de conception des
modèles de gestion.
L’idée d’une
diffusion du contrôle de gestion dans l’organisation répond à un besoin accru
de retour vers la pertinence. La meilleure preuve en est l’observation des pratiques organisationnelles actuelles. En
effet, de nombreux acteurs dans l’organisation développent eux-mêmes des outils
et des activités de contrôle : les responsables de production mettent en
place leurs propres méthodes de calcul de coûts par exemple [Cooper, 1990].
Nouveau rôle du contrôleur face
à la mutation du contrôle de gestion
Dans sa conception traditionnelle, le contrôle de gestion
était globalement conçu comme un outil de surveillance des comportements à la
disposition des directions générales. Les systèmes de contrôle et le contrôleur
de gestion sont au service du principal. Représentant un moyen de surveiller
les comportements, les contrôleurs de gestion orientent leur système vers le
passé. L’aide à la décision est de ce fait exclue de la fonction.
Suite à
l’évolution du système de contrôle de gestion et à la décentralisation des
outils de celui-ci, plusieurs chercheurs ont insisté sur l’évolution nécessaire
du rôle joué par le contrôleur de gestion [Cooper, 1990]. Ainsi, le rôle de
technicien basé principalement sur un ensemble d’activités centrées sur la
mesure, a évolué vers un rôle de conseiller basé plutôt sur des activités à
orientation socio-économique. Autrement dit, la fonction de contrôleur qui a
toujours porté essentiellement sur les contrôles financiers, adopte désormais
une perspective plus vaste de gestion solide des ressources, fondée sur des
décisions éclairées et efficaces. Ce changement nécessite de mettre désormais
l’accent sur les résultats et les valeurs créées que sur le contrôle et la
conformité.
La dimension
relationnelle de la fonction contrôle de gestion est influencée par une
décentralisation du contrôle et des tâches de production de l’information au sein des unités
opérationnelles [Besson et Bouquin, 1991]. Les rôles de conseiller des
décideurs [Loning et Pesqueux, 1998], garant de la convergence des buts [Lebas,
1995] et animateur des processus d’apprentissage [Dupuy, 1990 ; Lorino,
1997] sont autant d’illustrations de ces nouvelles activités à orientation
relationnelle. En effet, le contrôleur de gestion a un véritable effort
pédagogique à faire afin de sensibiliser l’ensemble des acteurs à l’importance
de la gestion et à toutes les opportunités qu’elle peut procurer. En contre
partie, il doit être capable d’écouter
et d’analyser les frustrations des acteurs en cas d’introduction de nouvelles
instrumentations ou de nouveaux outils de gestion.
Le contrôleur de
gestion est le navigateur de l’entreprise. Il anime en permanence le système de
contrôle de gestion. Il connaît les buts et les plans d’actions qui permettront
de les atteindre. Il suit en permanence la marche réelle de l’entreprise et
avise les responsables des écarts avec la route prévue afin que ceux-ci
puissent prendre à temps les mesures préventives, curatives ou correctives
nécessaires. Il joue plusieurs rôles à la fois : il conçoit et
entretient le système budgétaire tout en
étant le conseiller économique de tous les responsables de l’entreprise et non
seulement du directeur général [Bouin X., Simon F X, 2004].
Un contrôleur de gestion conseiller oriente la fonction
vers l’analyse du passé et du futur, aussi bien dans la planification que dans
le suivi de la performance [Marc Bollecker, 2001]. Il doit être en relation
permanente avec l’ensemble des décideurs de l’entreprise pour réussir à faire
circuler l’information en temps réel entre les acteurs. Il doit être ouvert à
toute suggestion et ne doit pas hésiter à intervenir chaque fois que sa tâche
l’exige. Il se trouve au carrefour des informations internes et externes utiles
pour le pilotage de l’entreprise. Il doit donc manifester une curiosité active
et s’impliquer quant au choix, la mise en œuvre et l’évolution des systèmes
d’information [Bouin X, Simon F.X, 2004]. En effet, l’étude de Nobre portant
sur l’évolution de la place et du rôle du contrôleur de gestion réalisée par le
biais d’entretiens directifs auprès de 86 dirigeants d’entreprises françaises,
montre que les contrôleurs de gestion se détachent de plus en plus de la
dimension purement technicienne et s’orientent vers une conception plus
organisationnelle du contrôle de gestion
au fur et à mesure que la gestion de leurs entreprises s’oriente vers un
objectif économique de croissance [Nobre, 2001, cité par Van Caillie, 2003].
Ainsi, le
contrôleur de gestion forme les opérationnels voire la direction générale sur
les concepts économiques et financiers, l’interprétation des mesures des
résultats et l’analyse financière et économique des décisions envisagées. Il
aide les décideurs individuels de tout niveau de l’entreprise à mieux
comprendre et interpréter l’environnement et les objectifs de l’organisation. Il
aide les mangers à maîtriser leurs activités afin d’atteindre leurs objectifs,
et au même temps, il veille à coordonner les décisions de ces différents
responsables, afin d’assurer leur cohérence et leur convergence vers
l’intention stratégique de la direction. Il devrait assister les responsables
en favorisant les représentations collectives des problèmes
afin de les rendre compréhensibles et appréciables par tous les membres
de l’organisation [Danziger, 2000].
En définitive,
le contrôleur de gestion apparaît comme l’animateur du contrôle de gestion. Il
doit clarifier le cadre de gestion en termes de règles, de normes et de
procédures tout en sachant qu’un excès de rigidité ou un manque de rigueur
expose l’organisation à des risques accrus. En ce sens, le contrôleur de
gestion devient un facilitateur et un accompagnateur du progrès et du
changement. Il doit permettre à tous les niveaux de l’entreprise, de s’adapter
à la complexité croissante qui relève de la mondialisation et de
l’accroissement de la concurrence [Bouin et Simon, 2004]. Il doit faire preuve
de flexibilité et d’adaptabilité afin d’apporter aux hommes et aux
organisations visibilité et réactivité. En effet, la finalité du nouveau rôle
du contrôleur de gestion est le maintien des responsabilités des différentes
unités qui composent l’organisation dans l’optique de l’adéquation des
décisions avec les buts organisationnels [Zolnai-Saucry, 1999].
Ces avancements
théoriques qui soulignent le corrélat entre l’évolution des outils du contrôle
de gestion, les structures organisationnelles et l’évolution du rôle du
contrôleur de gestion ; nous conduisent à formuler notre troisième
hypothèse : La remise en cause des pratiques traditionnelles du
contrôle de gestion entraîne une remise en cause des structures
organisationnelles et une évolution du rôle du contrôleur de gestion.
- Le contrôle de gestion dans l’entreprise
tunisienne face au changement économique et technologique
Avec la notion
de libre échange et de mondialisation des marchés et avec l’évolution des
technologies de l’information et de la communication, la concurrence s’est
largement internationalisée et les entreprises tunisiennes ne sont plus
confrontées à leur seul marché domestique, souvent protégé. Le maintien de leur
compétitivité devient tributaire de leur capacité à s’adapter aux mutations de
l’environnement et d’une infrastructure
technologique de plus en plus intégrée permettant de satisfaire
les nouvelles donnes du marché international.
Cadre de la recherche empirique
Le secteur à
étudier doit répondre à certains critères. En premier lieu, il s’agit de
choisir un secteur dans lequel l’environnement est assez complexe. Les
entreprises choisies vendent dans un marché de moins en moins stable et les
variables environnementales ne sont pas prévisibles et maîtrisables. Les
produits de ces entreprises visent un consommateur exigeant qui n’hésite plus à
changer de fournisseur quand il est insatisfait. En effet, le consommateur
d’aujourd’hui est mieux informé. Il est de plus en plus sensible à des
informations diffusées massivement et qui échappent au contrôle des
entreprises.
Ensuite, le
secteur à choisir doit être concurrentiel. En effet, si la mondialisation de
l’économie introduit un changement, ce n’est pas dans l’intensification de la
concurrence, mais surtout dans sa globalisation. Le secteur choisi doit être
caractérisé par la présence d’un nombre d’entreprises locales assez élevé
et doit aussi opérer dans un marché ouvert aux entreprises étrangères.
Ces critères étant remplis, les entreprises de ce secteur
seront confrontées à l’internationalisation et à l’apparition de nouvelles
formes de concurrence (qualité, délais, diversité…). La compétitivité de l’entreprise dépendra de son capital de
connaissances, de son aptitude à enrichir et à faire évoluer son métier et de
sa capacité d’adaptation et de réactivité. L’entreprise sera obligée de se
transformer pour pouvoir survivre.
Notre étude empirique a porté sur 70 entreprises
tunisiennes appartenant à trois secteurs d’activité :
§
52 entreprises font partie
du secteur industriel.
§
12 entreprises
appartiennent au secteur commercial.
§
6 établissements
appartiennent au secteur bancaire.
L’analyse des
résultats obtenus a mis en évidence l’importance
de l’information dans le changement du contrôle de gestion, l’évolution des
pratiques du contrôle dans un environnement turbulent et l’intérêt accordé au
nouveau rôle du contrôleur de gestion.
Rôle de l’information dans le
changement du contrôle de gestion
L’analyse des résultats obtenus a montré que 55.7%
des entreprises questionnées ont été touchées par un changement économique et
51.4% parmi elles, par un changement technologique. Par ailleurs, le
libéralisme économique et l’ouverture des marchés à la concurrence ont touché
le management de 30% des entreprises questionnées, 50% de ces entreprises
considèrent le programme de mise à niveau comme une principale réponse aux
mutations de l’économie tunisienne qui poussent au changement des pratiques de
gestion.
Par ailleurs, la
majorité des entreprises accordent des rôles importants à leurs systèmes
d’information. Le premier rôle attribué au système d’information est celui de
la participation aux décisions pour un fonctionnement coordonné et finalisé de
l’organisation (52.9%). Ensuite, 50% des entreprises questionnées pensent que
le rôle principal du système d’information est la détermination de la stratégie
et des objectifs organisationnels. Enfin, 47.1% des contrôleurs de gestion
affirment que le rôle le plus important du système d’information est la
connaissance de l’environnement et des ressources internes de l’entreprise. Les
résultats obtenus montrent aussi que le système d’information contient en
permanence des informations relatives au coût de revient de leurs produits et
services (62.9%), au niveau de leurs stocks (44.3%), à la qualité des produits
et services (42.9%) et à l’historique des pannes et dysfonctionnement interne
(27%).
Le système
d’information est un élément essentiel du processus de gestion. Il permet
l’optimalisation de la prise de décision en dégageant les sources déterminantes
de l’information. Il améliore la capacité de réaction face aux nouvelles
circonstances et valorise les atouts spécifiques par rapport aux concurrents. Ainsi,
le système d’information constitue une composante fondamentale du contrôle de
gestion favorisant son évolution et sa créativité, surtout avec l’avènement des
technologies de l’information et de la communication. En effet, les systèmes de
gestion intégrés permettent l’unicité et l’intégrité de l’information en
facilitant sa circulation et sa compréhension afin d’approcher et d’exploiter
au mieux l’information décisionnelle. D’une façon générale, la communication
électronique permet de libérer la circulation des informations au sein des
entreprises, c’est une source d’efficacité, d’économie de gestion et de
compétitivité.
Les résultats
empiriques montrent que les systèmes ERP sont assez connus. 47.1% des
entreprises questionnées pensent que les ERP constituent une technologie
d’information qui devient nécessaire à adopter dans toute organisation
concurrentielle et 37.1% des enquêtés possèdent effectivement un système ERP
dans leur organisation. L’Internet constitue la technologie de l’information et
de la communication la plus connue et la plus utilisée dans les entreprises
tunisiennes (70%).
Enfin, les
résultats d’une analyse croisée à travers un test de Khi-deux ont montré que le
besoin d’une information pertinente et le développement continu des technologies de l’information et de la
communication poussent au changement du contrôle de gestion. Ainsi, notre
première hypothèse est acceptée dans le contexte tunisien.
Remise en cause des outils
traditionnels du contrôle de gestion pour la mesure de la performance et
attitude des entreprises tunisiennes
L’analyse des
résultats empiriques montrent que les entreprises tunisiennes se rendent compte
de l’évolution des critères de mesure de la performance
organisationnelle ; 51.4% parmi elles pensent que le contrôle de gestion
se rattache à l’évaluation de la performance organisationnelle et 50% de ces
entreprises pensent que cette fonction représente principalement une base de
données pour le manager permettant de fixer les objectifs stratégiques à
atteindre.
Par ailleurs, et
suite à la rénovation des fondements de la compétitivité par la qualité des produits, les services
périphériques et l’innovation ; les entreprises tunisiennes se rendent de
plus en plus compte de l’utilité des données non financières. Elles confirment
que ces dernières permettent d’assurer une réactivité organisationnelle
conduisant à une performance multicritère. En effet, 77.1% des entreprises
questionnées utilisent à la fois, des
données financières et des données non financières pour l’évaluation de leur
performance.
Théoriquement,
cette évolution de la politique managériale de l’entreprise et des critères de
mesure de la performance organisationnelle, se traduit inévitablement par une
évolution profonde des outils du contrôle de gestion. Cependant, les résultats
empiriques montrent que 65.7% des entreprises questionnées rattachent la
fonction « contrôle de gestion » à l’analyse des écarts budgétaires,
à la planification et au budget (61.4%). Elles associent encore, le contrôle de
gestion à une fonction opérationnelle (68.6%). En plus, les outils
traditionnels de calcul des coûts n’ont pas évolué : coût complet (38.6%),
coût direct (27.1%), imputation rationnelle des frais fixes (28.6%), ABC (20%),
coût cible (5.7%). Le budget constitue le principal outil de gestion utilisé
actuellement dans les entreprises tunisiennes (68.6%) et la majorité parmi
elles utilisent un contrôle budgétaire traditionnel (85.7%).
Ainsi,
les entreprises tunisiennes sont conscientes de l’élargissement des critères de
mesure de performance ; mais, elles utilisent toujours des outils traditionnels
de contrôle de gestion. Il s’en suit que notre seconde hypothèse n’est pas
validée dans le contexte tunisien. En effet, l’évolution des critères de mesure
de performance face à de nouvelles données concurrentielles n’entraîne pas
forcement une remise en cause des pratiques traditionnelles du contrôle de
gestion.
Ces résultats
sont similaires à ceux de Van Caillie qui a réalisé en 2002, une étude auprès
de 100 entreprises manufacturières de la région Wallonne en Belgique, portant
sur les pratiques et les besoins en matière de contrôle de gestion. Il a
constaté que la majorité des dirigeants interrogés assignent à leur système de
contrôle de gestion la mission de calcul des coûts de revient (85%) et celle de
l’élaboration et du suivi des budgets (95%). Par ailleurs, les activités du
contrôle de gestion de nature plus stratégique, à savoir la mise en œuvre de
tableaux de bord stratégiques, le suivi de la rentabilité et de la satisfaction
des clients sont très peu mises en œuvre parmi les entreprises interrogées
(10%).
Place du contrôle de gestion
dans l’organisation et nouveau rôle du contrôleur de gestion
Les résultats
empiriques montrent que 60% des entreprises questionnées ont subi un changement
structurel depuis leur création, et la majorité de ces entreprises (22
entreprises/42) sont âgées de plus de vingt ans. Ceci est logique, étant donné
que les entreprises jeunes se sont créées dans un environnement déjà
caractérisé par de nouvelles données concurrentielles.
Par ailleurs, la
majorité des entreprises tunisiennes (67.1%)
utilisent un organigramme fonctionnel, 55.7% des entreprises
questionnées sont dépendantes de la direction générale et 28.6% parmi elles
sont interdépendantes. Il existe un problème de culture dans les entreprises
tunisiennes. Il est nécessaire de bien gérer les ressources humaines pour
optimiser la capacité de production de l’entreprise. Capitaliser les
connaissances et développer l’apprentissage, représentent les nouvelles
techniques de management qui garantissent à l’entreprise la préservation de ses
compétences. Cependant, les membres des organisations tunisiennes ne
développent pas vraiment des compétences adéquates aux postes qu’ils occupent.
En effet, beaucoup d’entretiens ont été effectués avec des directeurs financiers
et des directeurs commerciaux, en plus des contrôleurs de gestion.
L’analyse des
résultats empiriques montre aussi que la collaboration entre les unités et la
hiérarchie ou entre le supérieur et les subordonnés est limitée dans les
entreprises tunisiennes qui se caractérisent par les structures fonctionnelles
qui sont souvent connues par leur centralisation du pouvoir. En effet, le
pouvoir qui existe dans les entreprises questionnées, est souvent centralisé au
niveau de la direction générale (45.7%), ou bien, décentralisé au niveau
opérationnel et centralisé au niveau stratégique (41.4%). Il n’existe cependant,
que 1.4% des entreprises questionnées qui pensent que le pouvoir au sein de
leur entreprise est partagé par tout le monde.
En réalité, et
comme il a été expliqué dans le paragraphe 3, il existe toujours une
démarcation entre les activités
relatives à un contrôle de gestion opérationnel (calcul des coûts par exemple)
et les activités de nature stratégique qui sont souvent réservées aux cadres et
dirigeants exerçant un certain pouvoir. Mais, il ne faut pas oublier que nous
avons constaté de la part des dirigeants questionnés, une volonté de changer
leur mode de découpage organisationnel (54.3%). Nous pouvons donc préconiser
que des ambitions prometteuses existent afin de favoriser une éventuelle remise
en cause des structures organisationnelles. Interviennent ici, les rôles des
décideurs dans l’organisation qui connaissent les ressources et les moyens de leur entreprise et les
facteurs qui peuvent affecter leur prise de décision.
D’autre part, les résultats empiriques ont montré une
évolution du rôle du contrôleur de gestion dans les entreprises tunisiennes. Ce
dernier intervient de plus en plus dans la prise de décision tout en assurant
un rôle de conseiller auprès des décideurs dans l’organisation. Pratiquement,
71.4% des contrôleurs de gestion jouent le rôle de conseillers économiques dans
leurs entreprises et animent en permanence le système de contrôle de gestion et
77.1% des contrôleurs de gestion interviewés interviennent dans la prise de
décisions au sein de leur organisation. Toutefois, ces résultats ont la
faiblesse de trouver leurs sources dans les déclarations des acteurs concernés Par
ailleurs, 71.4% des contrôleurs de gestion pensent qu’avec les technologies de
l’information et de la communication, leurs compétences d’analyse et
d’interprétation se développent les orientant vers plus d’aide à la décision
stratégique et 65.7% parmi eux pensent que grâce à ces technologies, ils
communiqueront plus et mieux avec les différents responsables de l’entreprise.
Ainsi, nous pouvons préconiser que notre troisième
hypothèse est partiellement acceptée. En effet, les structures
organisationnelles au sein des entreprises tunisiennes n’ont pas été largement
remises en cause; mais le rôle du contrôleur de gestion tunisien a évolué vers
la participation à la prise de décision et vers le conseil et la coordination
entre les différents membres de l’organisation.
Finalement, les
principaux résultats relatifs au tri simple et au tri croisé montrent que la
majorité des entreprises questionnées semblent limiter l’envergure de leur
système de contrôle de gestion au seul niveau du contrôle des résultats. En
effet, les missions relevant de l’approche technicienne du contrôle de gestion
(analyse des coûts et des performances, diagnostic des besoins et création
d’outils comptables adéquats …) apparaissent être des missions de base
partagées par la majorité des entreprises questionnées. Toutefois, les missions
relevant d’une approche plus organisationnelle du contrôle de gestion (aide à
la décision, gestion stratégique des coûts, aide à la motivation des acteurs,…)
sont mises en œuvre et valorisées différemment selon un ensemble de facteurs
liés étroitement à la culture et au système de gestion mis en œuvre dans les entreprises (donc en
fonction des valeurs et des priorités
mises en exergue par les dirigeants).
Conclusion
Il ressort de cette recherche que les entreprises
tunisiennes accordent un rôle de plus en
plus important au système d’information.
Une forte proportion de ces entreprises pratique un contrôle de gestion
classique à caractère opérationnel et peu stratégique. Elles se focalisent
aussi sur une structure organisationnelle hiérarchisée. Néanmoins, la volonté
de changer constatée chez les cadres interviewés, doit être concrétisée par la mise en place d’un système
de gestion évolué, adaptable à tout moment à l’environnement économique
mondial.
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