La part des investisseurs institutionnels dans le
capital des entreprises cotées françaises n’a cessé de croître ces dernières
années pour occuper une place de premier plan (Mottis et Ponsard, 2002). Leur
dispersion rend a priori le contrôle de l’action des dirigeants plus difficile.
Or ces investisseurs institutionnels, soumis à des exigences de rentabilité de
la part de leurs propres investisseurs, ne peuvent se permettre de subir les
éventuelles défaillances des dirigeants. L’efficacité du contrôle dépend de
l’information mise à leur disposition.
Les principes fondamentaux des normes internationales placent
l’utilisateur des états financiers au centre du processus, et émettent des
exigences d’une information fiable et pertinente (Obert, 2003). Ce souci de la
pertinence incite les investisseurs à aller au-delà de l’information comptable
et financière. Non seulement, il leur faut connaître les résultats du passé,
mais ils doivent aussi apprécier les performances futures, comprendre les leviers
stratégiques de la firme au travers d’indicateurs moins comptables, dans des
délais correspondant à leur prise de décision (Cavélius, 2007). « Les
questions de la qualité, de la fiabilité, de la disponibilité de l’information
financière se trouvent donc au cœur des revendications exprimées par les
intervenants sur les marchés » (Mottis et Zarlowski, 2003). L’obtention de
telles informations suppose la mise en place de relations étroites entre la
firme et les investisseurs institutionnels (Holland, 1998), ce qui a abouti à
la création d’une fonction nouvelle dans l’entreprise : les services de
relations investisseurs (RI) (Mottis et Zarlowski, 2003). Il est donc probable
que les investisseurs institutionnels exercent une influence sur le pilotage
interne des entreprises (Mottis et Ponsard, 2002), et notamment sur le métier
du principal producteur d’informations dans l’entreprise, le contrôleur de
gestion.
Cet article se propose ainsi d’étudier l’évolution du
métier de contrôleur de gestion, sous l’influence des investisseurs
institutionnels. Une étude de la littérature nous a permis d’identifier deux
grandes missions du métier de contrôleur qui peuvent avoir évolué sous la
pression financière : le rôle de coordinateur du dialogue, et le rôle de
pourvoyeur d’informations. Dans un second temps, une étude terrain de trois cas
d’entreprises cotées met en exergue l’intervention du contrôleur de gestion comme
un acteur central pour la communication financière.
Les
investisseurs institutionnels sont en attente d’informations de gestion pouvant
les renseigner plus utilement que la seule information comptable. La diffusion
d’informations de gestion est intégrée dans le concept d’informations
volontaires, c’est-à-dire d’informations facultatives ou diffusées selon des
modes de communication ou des délais facultatifs. Si le législateur est
intervenu en organisant la diffusion d’informations obligatoires, en soumettant
progressivement les entreprises cotées à des obligations plus larges (par
exemple au travers de la norme IFRS 8, ex IAS 14, sur l’information
sectorielle), la diffusion d’informations volontaires relèverait toujours de la
part du dirigeant d’une comparaison avantages et coûts qu’il peut retirer de
cette diffusion (Darrough et Stoughton, 1990 ; Depoers, 2000 ; Eccles
et al. 2001). Gibbins et al. (1990) puis Holland (2005) ont ainsi mis en
évidence les choix qui s’offrent au dirigeant en matière de diffusion, de la
diffusion publique volontaire ou opportunisme au secret ou ritualisme.
Le risque
d’un désavantage notamment compétitif peut inciter les dirigeants à réserver
certaines de ces informations pour une diffusion dans le cadre d’échanges
privés. C’est justement lors de tels échanges que s’exerce le pouvoir
d’influence des investisseurs. Ces derniers, compte tenu de leurs exigences de
rentabilité, sont amenés à avoir un rôle plus actif et ne peuvent plus se
contenter d’être de simples observateurs (Holland, 1998). Afin d’asseoir leur
pouvoir, ces institutions ont rapidement compris l’intérêt de faire naître
« des interactions et des échanges continus d’informations et
d’influence » (Holland, 1995). Ces échanges, organisés par l’entreprise
sous la pression des investisseurs, sont en réalité interactifs et créent un
phénomène d’apprentissage pour les deux parties. Ces discussions permettent de
se focaliser sur les indicateurs clés qui vont permettre d’atteindre la
stratégie identifiée et comment ces variables vont induire la performance
financière. Les investisseurs veulent savoir s’ils ont en face d’eux la bonne
combinaison de stratégie, technologie, moyens mis en œuvre et
management.
Les
investisseurs institutionnels ont un pouvoir d’influence qui leur permet de
contraindre les entreprises à mettre en œuvre certaines pratiques de
communication financière. Ces pratiques sont de fait sous le coût d’une nouvelle
contrainte : l’existence en interne de l’information demandée, ce qui
suppose probablement un impact sur deux des facettes du métier de contrôleur de
gestion, en lien avec la communication financière.
1.2 Un renforcement du rôle de
coordinateur interne sous la pression des investisseurs
Classiquement,
le contrôleur de gestion, tel que conçu à l’origine dans les années vingt, est
d’abord au service de la direction générale, dans une mission de surveillance
des activités (Anderson, 1947). Cette mission ancienne est toujours
d’actualité, et est en réalité masquée derrière une apparente aide au pilotage
(Bourguignon, 2003 ; Fornerino et Godener, 2006). Cette fonction d’aide au
pilotage proche des opérationnels est à l’opposé de la fonction de
surveillance : le contrôleur de gestion est celui qui conseille et aide à
la décision, miroir ou « business partner » du manager dont il dépend
(Ardoin et Jordan, 1979 ; Sathe, 1983 ; Chiapello, 1990 ; Löning
et al., 2003 ; Lambert et Morales, 2008 ; Lambert et Sponem, 2009). Selon
Sathe, ces deux rôles ne sont pas incompatibles, et peuvent être exercés par
des personnes différentes (Sathe, 1983). Finalement, ces missions de
surveillance et d’aide au pilotage positionne le contrôleur de gestion comme un
homme de liaison (Dew et Gee, 1973 ; Bollecker, 2001). C’est ainsi le
troisième rôle mis en évidence dans la littérature : la fonction de
coordination et d’intégration verticale et horizontale (Bollecker, 2004). La
coordination verticale consiste à s’assurer de la déclinaison de la stratégie
dans l’organisation (Simons, 1987 ; Lorino, 1991) et du contrôle de sa
mise en œuvre (Goold, 1991). Le contrôleur de gestion s’assure ainsi que les
efforts de chaque entité décentralisée sont bien orientés dans le sens de
l’entreprise (Bollecker, 2007). Il est au cœur de l’échange d’informations
(Bollecker et Niglis, 2009), afin de mieux appréhender la performance globale.
Sa fonction de co-pilote devient quelque peu secondaire puisqu’il veille avant
tout à mettre les acteurs sous tension dans une perspective de cohérence
verticale (Lambert et Sponem, 2009). Dans
un souci de pertinence des échanges entre les entreprises et leurs
investisseurs, le dirigeant soucieux de bonnes pratiques financières devrait
être amené à renforcer ce rôle de coordination verticale du contrôleur de
gestion.
La mission de
coordination horizontale invite le contrôleur de gestion à se placer en
interface avec les différents membres de l’organisation, notamment les autres
services fonctionnels. Avec l’augmentation des investisseurs institutionnels
dans le capital des entreprises cotées, on assiste à la montée en puissance
d’un interlocuteur nouveau : le service des RI, étudié par Mottis et
Zarlowski (2003). C’est ainsi que s’est créée progressivement, dans l’entreprise,
une méthode de communication avec les partenaires externes. Ce mode de
communication s’appuie dans un premier temps sur la diffusion publique
d’informations, de la part des services de RI vers les investisseurs. Traditionnellement, dans les entreprises françaises, cette information
provient des services chargés de la consolidation de l’information comptable,
traduite depuis 2005 en normes internationales. Par essence, cette information
présente un caractère très financier. On peut lui reconnaître la qualité de
fiabilité, attendue par les investisseurs, dans la mesure où elle répond à des
normes (Sunder, 2002) et est auditée (Richard, 2003). En revanche, elle s’avère
incomplète pour l’investisseur qui espère pouvoir juger de la performance
actuelle et surtout future de son investissement, autrement dit, elle manque de
pertinence. Dans un souci de relations plus proches, établies dans un contexte
plus privé, les services de RI ont été poussés à se rapprocher du contrôle de
gestion afin d’améliorer l’information diffusée aux investisseurs, tout en
maintenant l’information consolidée comptable comme base de la communication
financière. C’est ainsi que, sous l’impulsion des investisseurs, relayée par
les services de RI, s’est effectué un rapprochement du contrôle de gestion avec
les services de consolidation. Ce rapprochement s’effectue au-delà de la simple
communication : il s’agit d’unifier les systèmes d’information afin que
l’information du contrôle de gestion, par essence de pilotage, éclaire les
résultats de la comptabilité financière (Beau et Pigé, 2007). C’est bien ici le
souci d’une communication financière de qualité qui a entraîné le renforcement
de la mission de coordination
horizontale du contrôleur de gestion.
Ces deux
missions sont au service d’un autre rôle, reconnu comme essentiel dans la
recherche en contrôle de gestion : fournir l’information à tous les
niveaux de l’organisation.
1.3 Rôle de pourvoyeur
d’informations
Le rôle de pourvoyeur d’informations aux opérationnels et à la
direction générale, dévolu au contrôleur de gestion, est ancien. Bollecker
(2007) indique que ce rôle est « affirmé par Anthony (1993), qui assimile
le rôle du contrôleur à celui d’une entreprise de télécommunication, qui
garantit que les messages circulent à travers le système de façon claire,
exacte et rapide. » Cette mission apparaît comme essentielle dans de
nombreux travaux (Collier et Kaye, 1987 ; Pierce et O’Dea, 2003 ;
Fornerino et Godener, 2006).
Cela passe d’abord par le développement d’outils, et notamment de systèmes
d’informations, qui permettent surtout
un raccourcissement des délais de sortie des résultats. Selon Pigé (2005), les nouvelles
technologies génèrent un accroissement des capacités de collecte et de
traitement de l’information. Ce ne sont donc plus a priori les systèmes qui
freinent la rapidité de mise à disposition des informations du reporting. En
tout état de cause, la pression sur les délais est accentuée par la présence
d’investisseurs institutionnels, dans la mesure où les délais attendus par l’AMF
sont plus exigeants que ceux de la législation française.
Le contrôleur
de gestion est également responsable de la
fiabilité et de la pertinence de l’information qui circule au sein de
l’entreprise (Fiol et Jouault, 1991 ; Bouquin, 2004) par l’intermédiaire
du reporting. La fiabilité est notamment assurée par l’intensité des relations
entretenues avec les opérationnels (Bollecker et Niglis, 2009). En fonction du
choix du siège de s’impliquer plus ou moins dans le contrôle stratégique (Goold
et Campbell, 1987), l’information du reporting sera de nature différente (à
dominante financière ou comprenant des informations non financières). Si
l’apport des indicateurs non financiers dans le pilotage opérationnel ou
stratégique a été démontré dans de nombreux travaux (Hemmer, 1996 ; Ittner
et Larcker, 1998 ; Cox et al., 2003), leur présence dans le reporting des
entités décentralisées vers le siège pose question. Les entreprises préfèrent
souvent des mesures standardisées sans un souci de simplicité et de comparabilité
(Arya et al., 2005). Or Bollecker (2004) a montré que la présence
d’informations non financières dans les systèmes de contrôle de gestion
améliore le pouvoir de contrôle de la hiérarchie, ce qui serait donc vrai aussi
dans le cas du contrôle de la performance d’unités par le siège. Ces
informations non financières ont alors d’autres vertus : le reporting
n’est plus perçu seulement comme un outil de contrôle, mais comme « un
instrument de dialogue pour convaincre, mobiliser les énergies, canaliser les
idées nouvelles et finalement maintenir la pression, une fois l’orientation
stratégique retenue» (Berland et al., 2005).
Dans la mesure où l’information diffusée à l’actionnaire provient des
systèmes internes de reporting, si l’investisseur est suffisamment influent, il
est probable qu’il exerce une pression sur le rôle de pourvoyeur d’informations
du contrôleur de gestion.
Au terme de cette revue de littérature, nous pensons que la volonté des
investisseurs d’obtenir des informations de qualité, et le souci des dirigeants
de les satisfaire, vont probablement dans le sens du renforcement du contrôleur
de gestion comme coordinateur, intégrateur et pourvoyeur d’informations pour le
compte de la direction générale. C’est ce que nous avons voulu rechercher lors
de l’étude terrain.
2. L’évolution du métier de
contrôleur de gestion sous la pression financière : étude empirique
L’objectif de
cette étude est d’appréhender l’influence des exigences des investisseurs
institutionnels sur les deux facettes du métier de contrôleur de gestion mises
en évidence par la revue de littérature. Une telle étude vise à répondre à
l’expression d’un manque identifié par Bushman et Smith (2001). Ces auteurs
indiquent ainsi « un lien possible entre reporting interne et externe, l’information
de gestion représentant une variable potentiellement omise bien que corrélée
dans la communication financière ». Nous tentons ainsi d’ouvrir la boîte
noire de la constitution au sein de l’entreprise des informations et messages
diffusés à l’extérieur.
Afin
d’explorer la question en profondeur, nous avons choisi de nous concentrer sur
un échantillon limité de cas. Notre choix s’est porté sur des entreprises
cotées françaises dont le capital est pour partie possédé par des investisseurs
institutionnels, et de préférence de grande taille, en supposant que ces
entreprises ont plus de chance que les autres de répondre aux exigences des
investisseurs institutionnels. A cet effet, nous avons sélectionné des entreprises
du CAC40, dont les responsables financiers ont bien voulu nous accorder un
entretien. Au sein de ce premier échantillon, nous avons choisi d’étudier plus
particulièrement dans le cadre de cet article trois cas d’entreprises cotées
mettant en œuvre des pratiques de communication volontaires et actives, afin de
percevoir et d’interpréter le rôle joué par le contrôleur de gestion dans ses
pratiques, et l’impact de l’investisseur sur les pratiques de contrôle.
Pour chacun
de ces cas, nous avons rencontré le
directeur financier ou DG du groupe, le contrôleur de gestion groupe et le responsable
des relations investisseurs (RI) (caractéristiques des cas et listes des
personnes rencontrées en annexe A). Nous avons pu également, malgré la
confidentialité qui entoure ces pratiques, assister à une réunion privée afin
d’observer de manière non participante l’organisation de telles réunions et les
messages échangés. Lors des entretiens, afin de ne pas obtenir de discours
convenu, nous n’avons pas d’emblée annoncé à nos interlocuteurs que nous
cherchions à comprendre l’influence des pratiques de communication sur les systèmes
de contrôle. Nous avons mené des entretiens semi-directifs (guide d’entretiens
en annexe B) sur les caractéristiques de la communication financière et
l’organisation interne mise en œuvre pour construire l’information. En
discutant de la fiabilité et de la pertinence des messages délivrés, nos
interlocuteurs arrivaient naturellement au rôle du contrôleur de gestion dans
ce processus.
Les données
recueillies, enregistrées et retranscrites intégralement, ont été analysées en
deux temps : analyse de chaque cas individuellement, avec fiche
récapitulative des thèmes abordés et mise en évidence de l’implication du
contrôleur de gestion dans la constitution de l’information diffusée aux investisseurs.
L’émergence de caractéristiques communes a permis dans un deuxième temps une
analyse transversale de contenu. Au terme de cette analyse, nous avons cherché
à interpréter dans quelle mesure ces pratiques de communication financière
impacte les pratiques internes de contrôle de gestion, et donc l’acteur
principal de ces pratiques, le contrôleur de gestion. Nous présentons ces
résultats dans la suite de l’article.
2.1 Des pratiques de
communication financière volontaires et actives qui impactent nécessairement
les systèmes internes de reporting
Les trois cas
d’entreprises étudiées se distinguent par une communication volontaire et
active. Il est question d’une vraie relation de partenariat et d’échanges. Les
investisseurs cherchent à obtenir des informations qui les renseignent sur les
performances de leur placement. Ils en obtiennent grâce à des relations
continues d’influence :
« C’est vrai que, quand on leur ouvre les portes d’un centre
de recherche par exemple, on construit sur la confiance et la crédibilité parce
qu’on leur donne accès à un certain nombre d’informations.» (E9RI)
En retour,
ils font partager aux dirigeants leur connaissance du secteur, leur propre
vision stratégique, leur propre vécu. L’actionnaire joue un rôle de miroir face
au dirigeant qui est seul face à ces décisions.
« Ils nous connaissent bien oui, ils peuvent nous
« challenger » sur certains points.» (E5RI)
« Il y a une vraie coopération, ils ont
un vrai rôle de conseil – un dirigeant est quelqu’un d’extrêmement seul, il a besoin
de dialoguer, d’échanger, de discuter, de confronter des points de vue » (E2DAF)
Dans ces
conditions, l’entreprise a à cœur de satisfaire ces investisseurs. Elle met
donc en place des pratiques de communication financière que nous qualifions de
volontaires et actives : il existe une volonté de l’entreprise de bien
informer ses investisseurs, de par la nature des informations diffusées
publiquement par des moyens élargis (comprenant des informations notamment de
gestion) :
« Nous
avons une partie du document de référence où nous décrivons nos activités et où
nous donnons des informations qualitatives bien qu’elles peuvent être chiffrées (l’évolution des marchés telle que
nous la voyons, quels sont les moteurs de la croissance, nous sommes le leader de tel marché, nous
produisons Xmille tonnes de produits P, etc…) » (E5RI)
Cette
communication active se manifeste également par la volonté d’expliquer, d’aider
à interpréter les résultats, de partager une vision commune, en organisant des
réunions privées, des entretiens en tête à tête, des visites de sites, grâce à
des bases de données investisseurs ;
« Effectivement je pense que les
investisseurs du groupe ne peuvent pas comprendre notre activité, « ses
leviers » uniquement à la lecture des comptes. Dans les contacts directs
que nous avons avec les investisseurs, nous voyons quelles sont leurs
préoccupations, nous sommes soucieux en tous les cas de bien leur expliquer» (E5RI).
La mise en
œuvre de telles pratiques suppose pour les dirigeants de disposer des
informations qui leur permettent de nourrir le dialogue avec les investisseurs.
Or, l’information diffusée provient des systèmes internes de reporting : l’information du reporting est ainsi mise à disposition par le
contrôleur de gestion aux services de RI, qui « traitent »
l’information qui sera finalement diffusée. Lorsqu’une relation de confiance
est établie avec les investisseurs, l’entreprise souhaite communiquer sur base
des résultats qui lui servent aussi à piloter en interne.
« L’information interne de gestion est
indispensable pour nous, pour bien parler de nos métiers, on l’utilise pour
commenter l’évolution de notre résultat opérationnel, notre marge» (E9RI).
Les
exigences des investisseurs vont ainsi avoir un impact sur la mise en œuvre des
pratiques de contrôle de gestion, au travers de la construction de
l’information dans les systèmes de reporting. Il est nécessaire que
l’information demandée existe :
« Si un investisseur demande une
information que nous n’avons pas dans le reporting, nous nous retournons vers
le contrôle de gestion afin qu’il mette en place cet indicateur. Et le plus
souvent, on s’aperçoit que c’est utile aussi pour notre propre pilotage »
(E5RI).
Par
ailleurs, il faut que l’information soit disponible dans les délais demandés,
et qu’elle soit pertinente et fiable. :
« L’information diffusée provient
rigoureusement des systèmes internes de reporting. – pole conso qui anime la
remontée des informations dans le reporting, qui est garant de la fiabilité des
chiffres et qui sort les comptes - ensuite équipe business planning qui va
utiliser les informations du reporting pour faire des analyses de gestion en
vue de la diffusion externe » (E5RI)
Sous
l’impulsion des investisseurs, on assiste donc à un double renforcement des liens
de coordination : coordination verticale avec les unités décentralisées,
coordination horizontale avec le service de la stratégie et le service de
consolidation. Le contrôleur de gestion du groupe est en première ligne de ces
préoccupations.
2.2 Renforcement de la
coordination contrôle-stratégie pour une meilleure pertinence de l’information
Ainsi que le notent Mottis et Zarlowski
(2003), « les entreprises [celles qui sont soumises à la pression
financière] s’appuient sur un processus de planification à moyen et long terme
dont l’importance se trouve ainsi restaurée », il a donc fallu
« renforcer les liens entre la
planification stratégique et le contrôle budgétaire ». En
tout état de cause, le renforcement des relations contrôle –
stratégie est un phénomène récent, d’après nos interlocuteurs. Il répond,
certes, à une volonté de mieux maîtriser les leviers de la performance en
interne, mais aussi à une demande sous-jacente du marché en informations
pertinentes. De l’avis des personnes rencontrées, il n’est pas certain que ce
rapprochement aurait eu lieu sans l’impulsion des investisseurs
institutionnels. Certains de nos interlocuteurs ont ainsi mis l’accent sur la
volonté de définir et mettre sous contrôle la stratégie avec tous les acteurs
de l’entreprise, ainsi que le préconise Simons (1990). Ceci se manifeste par le
travail en commun des acteurs du contrôle et de la stratégie, le budget est une
partie du plan stratégique, il en reflète les objectifs et on choisit des
indicateurs capables de suivre ces intentions au niveau du groupe. La stratégie
est ainsi alimentée par les niveaux opérationnels et pilotée à tous les niveaux
de l’arborescence grâce à des indicateurs communs. On retrouve ici la démarche
du balanced scorecard de Kaplan et Norton (1996), même si elle est rarement
explicite. On peut qualifier ce mode de contrôle de « contrôle
stratégique ».
« Nous avons pour l’année et pour chaque
entité un certain nombre de sujets que l’on sait particulièrement sensibles et
déterminants pour le résultat donc là dessus nous allons engager un plan
d’action pour contrôler que tout se passe conformément à notre prévision. C’est
important pour notre pilotage, mais aussi pour le respect des engagements pris
envers nos actionnaires» (E5CG)
« Le contrôle de gestion
central a été scindé en deux fonctions, une fonction reporting rattachée à la
finance, et une fonction contrôle de gestion stratégique rattachée à la
direction de la stratégie, avec pour mission de mettre en place des indicateurs
de contrôle stratégique. Cette évolution est celle qu’attendent nos
investisseurs » (E9CG)
Afin de
satisfaire à ces obligations de contrôle stratégique, le reporting doit
nécessairement s’enrichir d’informations de nature spécifique, d’indicateurs
liés aux métiers du groupe. Ainsi, lorsque le siège souhaite s’impliquer et
donner des directives, notamment en matière d’objectifs stratégiques, il se
donne les moyens de piloter l’atteinte de ces objectifs. Il souhaite alors
l’existence dans le reporting d’informations « spécifiques », au sens
de Berland et al, (2005), de nature
opérationnelle ou stratégique, permettant de suivre les performances des
métiers, grâce à des indicateurs clés de génération de résultats : ces
indicateurs sont spécifiques car ils obéissent à une logique propre de l’entité
concernée, dans le contexte qui est le sien.
« Des
indicateurs clés de l’activité : part de marché, taux de fidélisation,
taux de développement, amélioration de la performance des achats – 40
indicateurs au début, aujourd’hui 12 mais ils sont essentiels »
(E9CG)
L’information
du reporting est ainsi enrichie par des informations non financières, qui
permettent d’expliquer les performances financières présentées au travers des
résultats comptables. Ce sont ces informations, issues de la mise en œuvre d’un
contrôle stratégique, qui assurent la pertinence du dialogue avec
l’investisseur.
2.3 Renforcement de la
coordination contrôle-consolidation et central-local pour une meilleure
fiabilité de l’information
L’information
comptable issue de la consolidation financière reste la base de la
communication avec l’investisseur. Il est nécessaire que cette information soit
en lien avec l’information de gestion, servant à nourrir les commentaires sur
les résultats. Dans cette optique, il est important que les résultats issus de
la consolidation financière et ceux issus du reporting de gestion soient, sinon
les mêmes, tout au moins réconciliés. Pour les trois cas étudiés, l’outil
comptable alimente l’outil de gestion, au pire on prévoit des processus de réconciliation
des écarts éventuels. Nous sommes dans une logique de type prospectif. Le cas
le plus abouti est celui où information comptable et de gestion sont unifiées, il existe un seul
reporting comprenant des informations comptables et financières consolidées, et
des indicateurs non financiers. Nous qualifions ce mode de reporting de
« prospectif ».
« Conso et reporting identiques, le
reporting mensuel local est en norme ifrs, localement, les gens font un bilan
et compte de résultat en norme locale une fois par an » (E5CG)
« Il existe des différences, par exemple
dans la déclaration du chiffre d’affaire et certaines dépenses, mais le
rebouclage précis est effectué tous les trois mois. Il n’y a pas d’arrêté
comptable tous les mois. » (E2CG)
Cette situation favorise clairement le dialogue avec les investisseurs
institutionnels, sachant qu’en réalité, ce sont les investisseurs
institutionnels par l’intermédiaire des services de RI qui ont poussé à la
clarification des messages, ainsi que le remarque ce directeur financier :
« On a connu une époque où conso et
gestion n’avait rien en commun, on passait notre temps à réconcilier, même en
interne on finissait par se perdre. C’est vrai que la mise en bourse et la
nécessité de parler aux investisseurs un langage clair a poussé à la mise en
place d’une information unique». (E2DAF)
Il s’agit
ensuite de faire remonter le long de ligne hiérarchique les informations des
entités décentralisées. Pour cela, sont déclinés, en fonction de l’organisation
retenue, des contrôleurs de gestion dits opérationnels ou locaux, proches des
opérations. Ce contrôle opérationnel, exercé auprès des responsables locaux,
est plutôt chargé d’aider au pilotage de l’entité dont il dépend (Ardoin et
Jordan, 1979) et accessoirement de remplir ses obligations de reporting
vis-à-vis du siège. La mission du contrôle de gestion central est d’organiser
cette remontée d’informations au niveau de la direction générale, d’en garantir
la cohérence et la fiabilité, se rapprochant ainsi de la mission ancienne de
surveillance (Anderson, 1947). Cette mission de coordination verticale est
indispensable pour le service des RI qui a besoin de cette information du
reporting pour nourrir l’information des investisseurs. Le reporting sert ici
un processus interactif central-local d’apprentissage, le but étant de
s’assurer que les objectifs de la direction générale sont compris par tous et
déclinés dans l’organisation. Ce processus permet à la direction générale
d’être impliquée dans la gestion des opérations, et donc d’être mieux informée.
« Les
indicateurs sont les mêmes au niveau du groupe et au niveau local, puisque ce
sont leurs indicateurs qui remontent, nous nous sommes mis d’accord sur les
indicateurs clés à retenir » (E5CG)
Cette
organisation du reporting favorise le dialogue externe, dans la mesure où la
direction générale est mieux à même de renseigner ses interlocuteurs externes,
au nombre desquels les investisseurs institutionnels.
Conclusion
La pression financière encourage la mise en œuvre d’un système de
reporting que l’on peut qualifier de « dynamique » : il privilégie
la dimension
dialogue avec les niveaux inférieurs, notamment dans la définition et la mise sous contrôle de la stratégie , tout en
impliquant fortement le niveau siège dans les décisions opérationnelles ; il
contient des indicateurs de nature spécifique, adaptés à l’activité et à la stratégie , donc en
principe peu nombreux pour être assimilables par le siège ; les
fréquences élevées de remontée du reporting et des reprévisions au niveau du
groupe inscrivent ce type de contrôle dans une démarche de pilotage ;
enfin, les informations comptables peuvent être expliquées par l’information de
gestion, servant alors une relation de confiance avec les partenaires
extérieurs.
Les investisseurs institutionnels contribuent ainsi à
faire évoluer le métier de contrôleur de gestion dans son rôle de coordinateur
interne et de pourvoyeur d’informations. Il devient ainsi à la fois intégrateur
et différenciateur, devant concilier l’inconciliable : un reporting unifié
qui doit préserver néanmoins l’analyse des spécificités liées aux différents
métiers du groupe. On assiste ainsi à une double évolution du reporting :
un reporting indissociable de l’information comptable consolidée, et enrichi
d’informations non financières. Nous retrouvons ici les conclusions de Mottis
et Ponsard (2002), qui envisageaient un rapprochement des perspectives
opérationnelle et financière. Au départ information du dirigeant à des fins de
contrôle et de dialogue avec les niveaux inférieurs, le reporting devient aussi
l’instrument de la communication externe. L’artisan de ces évolutions est le
contrôleur de gestion, sous l’impulsion des investisseurs institutionnels, qui
en sont les prescripteurs.
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