Introduction
Le contrôle de gestion est une
discipline du champ des sciences de gestion traversée par de multiples
questionnements tant sur ses aspects théoriques (conceptuels) que sur ses
aspects pratiques (professionnels). La prise en compte de la dimension
opérationnelle du contrôle dans la déclinaison au plus près du terrain des
caractéristiques du business model
est susceptible d’ouvrir une perspective nouvelle à la discipline. Une telle
démarche, contextualisée par nature, sera présentée dans le secteur des
services.
Les activités de service ont été
pendant longtemps éclipsées par le développement des activités industrielles.
L’évolution de la structure des économies des pays développés depuis une
trentaine d’années, où la part des services se déploie considérablement, a
déclenché un intérêt pour les spécificités du management de ce type de production
de biens immatériels, non stockables, hétérogènes et co-produits dans une phase
d’interaction entre le personnel en contact et le client (Van Looy, Gemmel et
Van Dierdonck, 2003 ; Eiglier, 2004 ; Fitzsimmons et Fitzsimmons,
2008 ; Lovelock, Wirtz, Lapert et Munos, 2008). Le management des
activités de service a donc été abordé à partir de ces spécificités liées aux
processus de « servuction ». Mais ces particularités fondatrices des
activités de service ne sont pas toujours toutes simultanément présentes. Les
formes des activités de service se modifient et également celles des activités
industrielles. Ceci amène les universitaires à essayer de trouver un nouveau
cadre de référence. Pour certains chercheurs, venant plutôt du marketing, les
services sont des activités qui permettent de créer de la valeur sans cession
de droits de propriété et la définition des services devrait pouvoir être
envisagée autour des notions de « location » ou de « droits
d’accès » (Lovelock et Gummesson, 2004). Pour d’autres chercheurs, venant
eux de la gestion des opérations, une théorie unifiante des services est
possible autour de la place centrale du client dans la « co-construction
de la prestation » (Sampson et Froehle, 2006).
Plus récemment, tout un courant
s’est développé prônant une approche « Service
Dominant – Logic (SD-L) » qui propose de dépasser la distinction entre
industrie et services. Les auteurs
estiment que les services n’ont plus à se définir par opposition aux biens
matériels mais qu’une vision plus large fondée sur la logique de service est
possible, englobant à la fois la production industrielle classique, les offres
combinées de biens et services et les services purs aux organisations ou aux
particuliers. Cette approche, promue par Vargo et Lusch (2008), considère que
le service est la base de tout échange, que le consommateur n’est plus un
« co-producteur de service » mais est un « co-créateur de
valeur », que les entreprises ne délivrent pas de la valeur mais
uniquement des offres de valeur et que cette valeur est toujours déterminée
phénoménologiquement par son bénéficiaire. Pensée au départ comme une nouvelle
vision du marketing, cette approche est vue dorénavant par ses promoteurs comme
une nouvelle théorie générale du marché. Beaucoup de ses apports sont très
stimulants mais il s’agit là plus d’une vision générale des relations
économiques que d’un paradigme directement utilisable dans la conception et
l’utilisation des systèmes de contrôle de gestion des entreprises du secteur
des services. Or un cadre conceptuel ne vaut que par les usages qu’on peut en
faire.
Si l’on s’intéresse au contrôle
des processus serviciels mis en œuvre, les références utiles seront plutôt à
rechercher du côté de la gestion des opérations (Heineke et Davis, 2007 ;
Baranger et al., 2009) en
privilégiant comme élément structurant le rôle du client comme co-producteur du
service (Edvardsson et al. ;
2005). Ceci permet de développer une vision élargie du contrôle de gestion des
services par delà les outils financiers classiques de la fonction déjà examinés
par Gervais (2009).
Après avoir montré la nécessité
de repenser le contrôle de gestion et en avoir proposé un cadre conceptuel
renouvelé (partie 1), nous développerons cette approche du contrôle de gestion
en l’appliquant aux activités de service (partie 2). Ceci permettra de
démontrer la pertinence d’une approche du contrôle de gestion recentrée sur les
processus opérationnels.
1. Les processus
opérationnels au cœur du contrôle de gestion
Le contrôle de gestion est actuellement
l’objet de débats portant autant sur sa nature (section 1.1.) que sur ses
conditions de mise en œuvre et son avenir (section 1.2.). L’approche du
contrôle de gestion gagnerait à prendre en compte la déclinaison du business model jusqu’au niveau opérationnel
(section 1.3.) mais ceci ne peut se faire que de façon contingente (section
1.4.).
1.1. La nature du contrôle de gestion
Les discussions sur la nature du
contrôle de gestion sont récurrentes. Un numéro de Management Accounting Research y était consacré en 2008, introduit
par une contribution de Malmi et Brown (2008). Pour certains auteurs, les
systèmes de contrôle de gestion se distinguent à peine des systèmes
d’information et d’aide à la décision : la dimension technique et
calculatoire est centrale. Pour d’autres ils sont quasiment comparables au
contrôle organisationnel dans sa globalité avec l’ensemble de ses dispositifs
informels fondés sur les valeurs et la culture organisationnelle. Ces deux
visions opposées et extrêmes sont bien trop réductrices chacune à leur façon.
C’est pourquoi nous proposons une définition du contrôle de gestion en trois
éléments. Pour nous, le contrôle de gestion, c’est :
a) l’ensemble des
dispositifs formels
Le terme volontairement large de
« dispositifs » permet de prendre en compte aussi bien les
instruments contextualisés très identifiés que les techniques formatées mais
adaptables à des ensembles de situations et les démarches organisationnelles
plus ouvertes. Le contrôle de gestion englobe les outils relevant de la fonction
« contrôle de gestion » mais aussi des techniques mises en œuvre par
d’autres acteurs internes quand ils agissent dans une logique de pilotage de la
performance opérationnelle (Lorino, 2008). Le fait de réduire le champ du
contrôle de gestion à ce qui est formalisé permet d’éviter d’embrasser trop
largement l’ensemble des dimensions du contrôle organisationnel avec ses
aspects informels, culturels ou liés aux valeurs de l’entreprise. Le contrôle
de gestion tel qu’il a émergé aux Etats-Unis au début du XXème
siècle est d’abord et avant tout le support d’un management par les chiffres.
b) garantissant la
mise en œuvre du business model
Certes, certaines stratégies
émergentes ou adaptatives sont largement déterminées par les remontées
d’informations « bottom up »
au travers des systèmes de contrôle de gestion et la typologie de Simons (1995)
par exemple fait sa place aux systèmes de contrôle « interactifs ».
Mais, même s’il doit faciliter les interactions sociales, pour l’essentiel le
contrôle de gestion vise à s’assurer que les acteurs prennent des décisions en
cohérence avec les choix stratégiques déclinés dans le temps et dans l’espace
dans une procédure « top-down ».
c) de façon
efficace et efficiente
Si la réalisation des objectifs
stratégiques (qui relève de l’efficacité) est essentielle, la mise sous tension
de l’organisation pour limiter les gaspillages, le slack, les sous-optimisations et maximiser la productivité (tout ce
qui relève de l’efficience) est également consubstantiellement liée au contrôle
de gestion. Le contrôle de gestion utilise à cet effet des outils
d’optimisation des décisions et des techniques d’orientation des comportements.
Le contrôle de gestion étant
ainsi défini, qu’en est-il de ses pratiques et de ses perspectives ?
1.2. Crise de la recherche, doutes dans la
fonction
Dans une communication remarquée,
effectuée lors du congrès de l’Association Francophone de Comptabilité de
Poitiers, intitulée « Le contrôle de
gestion : repères perdus, espaces à retrouver », Bouquin et Fiol
(2006) s’interrogeaient sur l’avenir de la discipline « contrôle de
gestion ». Les auteurs évoquaient des problématiques théoriques qui leur
semblent conduire à de fausses réponses face aux questions auxquelles est
confrontée la discipline. Ainsi, pour eux, la mise en avant excessive de la
complexité des situations de gestion ne permet pas de répondre à la nécessaire
simplification des systèmes
d’action : « Comme la
complexité est la science des limites, c’est à dire la reconnaissance d’une impossibilité
à tout savoir, à tout prévoir et à tout maîtriser, elle fonde une conception
limitée de l’homme, incapable de saisir la totalité du monde qui l’entoure. Le
danger repose alors sur la tendance que peut engendrer cette science des
limites à ne plus permettre que le scepticisme ou le relativisme. ».
Bouquin et Fiol (2006)
indiquaient que : « Le contrôle
de gestion se trouve écartelé entre sa composante qui sert la direction
générale (une approche financière) et celle qui régule « le terrain »
et ses processus. Il est clair que c’est à ce deuxième niveau que se perçoit la
valeur ajoutée du contrôle, l’autre niveau le réduisant à un simple
reporting. ». En matière de régulation du « terrain », pour
ces auteurs : « L’approche par
les processus est devenue une référence. Elle donne une méthodologie au
contrôle de gestion. Elle constitue le chaînon manquant entre la stratégie et
les centres de responsabilité. ». Même si Bouquin et Fiol abordaient
d’autres pistes et ne tranchaient pas sur les perspectives en matière de
contrôle de gestion, leur papier étant plus interrogatif que normatif, cette
vision des processus opérationnels se situant au cœur du contrôle de gestion
rejoint le point de vue d’Otley (1999, p. 364) qui critique la vision étroite
du contrôle de gestion développée depuis Anthony (1965) et souligne la
nécessité de s’intéresser au contrôle opérationnel trop longtemps négligé.
Cette conception est d’ailleurs
de plus en plus partagée par nombre de professionnels comme de chercheurs. Les
prix académique de la recherche en management attribués tous les ans par la
FNEGE et l’association des cabinets de conseil en organisation (Syntec) aux
meilleurs articles de recherche en gestion sont décomposés en catégories et le
contrôle y est regroupé avec la gestion des opérations et des systèmes
d’information plutôt qu’avec la comptabilité et la finance. Certaines équipes
universitaires de recherche en gestion choisissent aussi de se structurer de la
même façon. La dimension opérationnelle du contrôle, sa capacité à créer des
régularités dans la mise en œuvre des processus et à les relier à la création
de valeur pour le client et pour l’actionnaire est donc centrale.
1.3.
Business models et performance
opérationnelle
Ainsi, il n’est plus possible de
réduire le contrôle de gestion à l’évaluation économique de la consommation des
ressources (la comptabilité de gestion) et à la déclinaison des objectifs
comptables par centres de responsabilité (les budgets) ou de le confiner aux
tâches effectuées par les contrôleurs de gestion. Il est totalement intégré
au système de pilotage global de la
performance de l’entreprise qui comprend (Otley, 1999 ; Ferreira et Otley,
2009) :
-
la formulation des objectifs stratégiques et des
indicateurs finaux de réussite ;
-
la mise en évidence des chaînes de causalité qui
permettent de les atteindre et des critères de mesure du déploiement de la
stratégie au niveau des activités ;
-
la détermination des niveaux de performance requis
dans chaque centre de responsabilité pour atteindre les objectifs de
l’entreprise ;
-
le système incitatif d’intéressement des managers et
des employés couplé à la déclinaison des objectifs dans l’organisation ;
-
la détermination des flux d’information nécessaires
pour mettre en œuvre la stratégie et pour l’adapter aux modifications de
l’environnement.
Dans ce cadre, le contrôle de
gestion regroupe l’ensemble des outils, méthodes et pratiques permettant
d’assurer que les logiques opérationnelles incarnent bien les choix du business model.
La notion de business model est apparue assez récemment. Le business model (Zott et al.,
2011), décrit la façon dont une entreprise crée de la valeur et se l’approprie
en mettant en œuvre un ensemble de processus et de partenariats, de ressources
et de compétences. On a affaire là à quelque chose d’incarné, de délimité et
tourné vers la gestion interne sur lequel le contrôle de gestion va s’articuler
et se déployer pour garantir sa réalisation effective sur le terrain. Comme le
remarquent Demil et Lecocq (2008), par sa capacité à lier stratégie et
opérations, le business model est une
construction de niveau « méso » congruente avec le cadre journalier
d’action des managers. Le business model est composé de quatre
éléments principaux : la proposition de valeur ; l’architecture de
valeur ; les ressources et les compétences ; l’équation économique.
La « proposition de valeur » comprend une description de l’offre,
l’identification des segments de marché cibles et les modes d’accès à ces
clients cibles. L’ « architecture de valeur » permet de voir
comment la valeur est délivrée au travers de la chaine de valeur interne et du
réseau externe de l’entreprise étendue. Les « ressources et
compétences » font référence aux modes d’articulation et d’exploitation
des actifs matériels et immatériels décisifs de l’organisation. Enfin
l’ « équation économique » présente les éléments de
profitabilité (les revenus et les coûts) et la dynamique des mouvements de cash (les encaissements et les
décaissements) de l’entreprise.
Bien entendu, le suivi de l’ « équation
économique » du business model
est le champ d’intervention le plus classique du contrôle de gestion. Il est
effectué principalement au travers du système budgétaire. Il débouche sur les
documents comptables élaborés en cours d’exercice et sur des re-prévisions
éventuelles. Il permet le reporting
et est articulé aux procédures de restitution des comptes aux partenaires
externes (cf. à ce propos les règles IFRS en matière d’image fidèle,
d’information sectorielle décomposée avec « les yeux du manager », d’évaluation des actifs en prenant en
compte les cash-flows futurs estimés, etc.).
Mais le contrôle de gestion se
doit de garantir la déclinaison de toutes les dimensions du business model jusqu’au niveau
opérationnel. Ceci va se faire au travers de l’implication des différentes
fonctions dans la construction des tableaux de bord: le marketing tourné
vers la proposition de valeur ; la gestion des opérations orientée vers
l’architecture de valeur ; la RH s’intéressant aux ressources et aux compétences ;
la finance garante de l’équation économique. Le contrôle de gestion doit
vérifier que le déploiement des indicateurs permet de piloter la performance
opérationnelle de l’entreprise de façon unifiée. Pour cela, les liens de
causalité reliant les objectifs avancés et locaux des managers de terrain aux
objectifs ultimes et globaux de la direction sont pris en compte, dans le balanced scorecard par exemple. Le
contrôle de gestion va également créer ou accompagner la construction et
l’usage de toute une série d’outils d’aide à la décision et de pratiques
d’orientation des comportements afin d’optimiser la gestion et garantir
l’alignement stratégique des acteurs internes de l’entreprise : mesure de
la satisfaction des clients ; gestion des coûts, de la qualité et des
délais ; élaboration ou automatisation des systèmes d’information de
gestion ; etc..
1.4.
Approche contingente de la dimension opérationnelle du contrôle
Le contrôle de gestion peut donc
retrouver ses repères et reconquérir des espaces en dépassant le seul champ des
outils universels que sont la comptabilité de gestion et le contrôle budgétaire
pour s’approprier les outils et méthodes dédiés à certains contextes du
contrôle opérationnel de terrain. Mais ceci n’est possible que de façon contingente
par rapport au métier de l’entreprise. Nous proposons de tester cette démarche
en prenant un champ d’activités particulier dans lequel nous étudierons comment
les business models des entreprises
peuvent être mis en œuvre et le contrôle de gestion peut se déployer jusqu’au
niveau opérationnel. Le secteur des
services va être le champ de notre investigation, suivant en cela les
recommandations de Chenhall (2003).
2. Les outils du
contrôle dans les services
Les activités de service
appellent une instrumentation adaptée du contrôle au niveau opérationnel
(section 2.1.). Les systèmes globaux de pilotage de la performance assurent la
mise en œuvre des business models en
se focalisant sur la dimension clé à piloter (section 2.2.). La relation
personnel en contact - client est en général la phase de la prestation de service
où se concrétise cette dimension (section 2.3.). Le contrôle peut être mis en œuvre
au niveau stratégique en utilisant un balanced
scorecard articulant les composantes du business
model et la dimension opérationnelle clé à piloter (2.4).
2.1.
L’instrumentation du contrôle opérationnel des services
Les services ont donc des
caractéristiques propres. Ils sont immatériels (Intangibility), hétérogènes (Heterogeneity),
produits et consommés simultanément (Inseparibility)
et non stockables (Perishability). La
définition des services à partir de ces quatre attributs, identifiés dans
l’acronyme anglo-saxon IHIP (que l’on pourrait reprendre en français par les
termes : immatérialité, diversité, inter-activité et immédiateté), est au
centre des approches en management des services depuis que ce champ de
recherche a émergé (Zeithaml et al.,
1985).
La gestion des activités de
service est confrontée à ces particularités par rapport à la plupart des
activités manufacturières traditionnelles. L’activité de service ne consiste
pas à réaliser un bien physique mais à exécuter une prestation intangible en
collaboration avec le client-bénéficiaire. La phase de contact entre le
prestataire de service et l’utilisateur du service est cruciale et la
satisfaction du client dépend des opérations réalisées (l’utile) mais aussi des
modalités de la relation (l’agréable) qui est nouée à cette occasion.
L’activité de service étant plus orientée vers les gens que vers les choses,
les services sont moins standardisés que les biens et doivent être adaptés à la
variété des situations, des acteurs et des contextes de la prestation de service.
La prestation de service est coréalisée par le personnel en contact et le
client sous des modalités diverses (services low contact ou services high
contact). La socialisation organisationnelle du client est très importante
dans les activités de service. Les services devant s’adapter aux variations de
la demande, la gestion des temps et des délais est aussi centrale dans les
activités de service. Le problème des pointes d’activités (« coups de
feu ») et des files d’attentes (« queues ») est donc un élément
très important de la gestion opérationnelle des services. Si dans l’industrie
la diminution des stocks de biens focalise les préoccupations des managers,
dans les services, c’est le stockage des gens (dans les files d’attente) qui
doit absolument être réduit ou rendu plus supportable pour les clients.
Ces caractéristiques sont à l’origine
des six principaux domaines d’action du contrôle de gestion des activités de
service mis en évidence par Meyssonnier (2012) : (1) l’identification des
unités les plus efficientes dans un réseau d’unités comparables maillant un
territoire ; (2) la détection et la généralisation des meilleures
pratiques avec des standards très précis ;
(3) la gestion de la temporalité qui est un élément crucial de la
prestation de service, que ce soit du temps actif ou du temps perdu pour le
consommateur ; (4) le déplacement de la demande, l’optimisation des prix,
le calibrage et l’optimisation des capacités de production ; (5) la mesure
de la qualité de service perçue par le client et l’articulation des coûts et de
la valeur dans l’offre de service ; (6) la mise sous tension de
l’organisation de service par l’usage d’indicateurs articulés dans des
relations de cause à effet à l’intérieur d’un tableau de bord global.
Dans le tableau 1, ci-dessous,
nous reprenons les six champ d’action du contrôle de gestion que nous venons
d’évoquer, nous leur associons un outil de pilotage de la performance
opérationnelle emblématique que nous caractérisons (outils d’aide à la décision
ou outils d’orientation des comportements), nous expliquons les facteurs de
contingence qui motivent plus particulièrement son usage et nous indiquons sur
quelle caractéristique des activités de service ils agissent (immatérialité,
diversité, inter-activité ou immédiateté).
Tableau 1 :
L’instrumentation
du contrôle opérationnel des services
Objectif
recherché
|
Outils
emblématiques
|
Classification
de la nature
de l’outil
|
Spécificités
des secteurs concernés
|
Caractéristique
centrale de l’activité
|
1)
Identification des unités d’excellence dans un réseau de prestation de
services
|
DEA
|
Aide
à la décision
Orientation
des comportements
outils souvent
utilisés conjointement
|
Forte
densité des agences
et
service complexe
|
Diversité
|
2)
Généralisation des meilleures pratiques dans les relations avec le client
|
Benchmarking
et
Blueprint
|
Service
homogène
pour
une clientèle de masse
|
Inter-activité
|
|
3)
Gestion et contrôle des temps
et
des délais dans la relation
avec
le client
|
TD-ABC
et
Gestion
des files d’attente
|
Orientation
des comportements
Aide
à la décision
outils souvent
utilisés conjointement
|
Importance
du temps
pour
le client
|
Inter-activité
|
4)
Actions sur la demande
et
sur l’appareil productif
|
Yield Management
et
Gestion
des capacités
|
Forte
fluctuation de la demande, coûts fixes élevés
et
coûts variables faibles
|
Immédiateté
|
|
5)
Mesure de la satisfaction perçue
du consommateur
|
Servqual
|
Aide
à la décision
Orientation
des
comportements
outils souvent
utilisés conjointement
|
Multi-dimentionalité
et
diversité
des facteurs de satisfaction de la
clientèle
|
Immatérialité
|
6)
Mise sous tension de l’organisation pour garantir la qualité de service
de
façon efficiente
|
Balanced Scorecard
|
Services
high contact
|
Inter-activité
|
Cette instrumentation du contrôle
opérationnel permet (Meyssonnier, 2012) :
-
la recherche et la généralisation des meilleures
pratiques opérationnelles dans le réseau des unités de terrain (par l’usage
combiné des actions 1 et 2) ;
-
la mise en œuvre d’une batterie de dispositifs
assurant l’ajustement permanent aux fluctuations de la demande dans le temps
(par l’usage combiné des actions 3 et 4) ;
-
l’alignement de toutes les composantes de
l’entreprise de service vers la valeur créée pour le client (par l’usage
combiné des actions 5 et 6).
Mais, comme cela a été indiqué
précédemment, la mise en œuvre de l’instrumentation du contrôle des processus
opérationnels doit être articulée au business
model de l’entreprise de service dans un système global et cohérent de
contrôle de gestion.
2.2.
Des processus opérationnels aux business
models
L’analyse du positionnement des
services, préalable indispensable à la mise en œuvre des systèmes de contrôle
de gestion, est assez ancienne. La contribution fondatrice est celle de Collier
et Meyer (1998) qui croise deux facteurs dans une représentation matricielle :
la nature de la demande du client et les modes de délivrance de la prestation.
Le mode de délivrance de la prestation peut être peu normalisé car s’adressant
à une clientèle diversifiée ou fortement contrôlé car visant un segment
particulier. Ceci amène à distinguer un positionnement orienté vers la demande
(adapté aux besoins divers d’une clientèle exigeante) ou s’appuyant sur l’offre
(capable d’assurer une prestation homogène et calibrée auprès d’une clientèle
ciblée et peu exigeante). Cette idée est
aussi à l’origine de la distinction que fait Jougleux (2006) entre le cas où la
personnalisation du service est importante (avec responsabilité directe des
unités de terrain dans la qualité de service au client) et le cas où la
standardisation est forte aussi bien dans le processus que dans le résultat de
la servuction (avec respect des normes spécifiées du service délivré au
client). Dans ce second cas, le rôle du contrôle des modalités opérationnelles
de délivrance de la prestation est alors essentiel. On voit que dans certaines
prestations de service la participation du client est assez libre et participe
d’une logique expérientielle qui crée de la valeur pour le client alors que,
dans d’autres cas, elle est très encadrée par l’entreprise et contribue essentiellement
à baisser le coût en mobilisant le client.
La distinction que l’on peut
faire entre les business models sur
l’axe « inter-activité » pour aboutir à des « modes de
réalisation différents du service » et sur l’axe « diversité »
pour aboutir à une plus ou moins grande « personnalisation du
service », peut être effectuée également sur les autres axes caractérisant
les services comme nous le montrons dans le tableau 2, ci-dessous. Dans ce
tableau, nous reprenons les caractéristiques centrales des activités de
service, nous présentons les business
models alternatifs et nous en déduisons les dimensions clés de gestion à
piloter. Aux quatre caractéristiques liés au front office et à l’aval (immatérialité, immédiateté,
inter-activité et diversité), on pourrait d’ailleurs rajouter deux
caractéristiques liées au back office
et à l’amont : la profondeur (avec une l’importance plus ou moins grande
du back-office) et le degré de
responsabilité directe (production propre du service ou coordination d’une
offre de partenaires).
Tableau 2 :
Des processus
opérationnels aux business models
Caractéristique
centrale
de l’activité
|
Business models
alternatifs
|
Dimension
clé
à
piloter
|
Immatérialité
|
service
+ ou – intangible :
facteurs
d’ambiance et d’environnement importants
versus
modèle
dépouillé
|
Matérialisation
du service
|
Immédiateté
|
variations
de la demande + ou – importantes :
ajustements
amples de la production
(pointes
d’activité, queues, coups de feu)
versus
ajustements
faibles
(écarts
réduits, prévisibles
ou
préparation possible en back-office)
|
Fluctuations
de la demande
|
Inter-activité
|
+
ou - grande coproduction avec le client :
services
high contact
versus
services
low contact
|
Modes de réalisation
de la prestation
|
Diversité
|
+
ou – grande hétérogénéité de la prestation :
offre
généraliste
modulée
en fonction des segments de clientèle
versus
offre
ciblée
homogène
et standardisée
|
Personnalisation
du service
|
Ceci amène bien entendu à des
préconisations en matière de contrôle de gestion. Plusieurs études récentes se
sont penchées sur les possibilités d’action en fonction des dimensions opérationnelles
perçues comme décisives. Une étude de Goureaux et Meyssonnier (2011) sur les
modalités du contrôle de gestion dans la restauration commerciale montre
comment les choses peuvent s’articuler très différemment en fonction du degré
de personnalisation du service. Un travail de Goullet et Meyssonnier (2011)
explique comment les modes de réalisation de la prestation sont normés et les
processus opérationnels sont contrôlés par le franchiseur dans les réseaux de
franchise de services. Une recherche de Meyssonnier et Tahar (2011) sur la
gestion des temps et le contrôle des délais dans les services publics communaux
décrit comment les fluctuations de la demande des usagers sont maîtrisées et la
qualité de service assurée et contrôlée.
2.3.
Focalisation du système de contrôle serviciel sur la relation personnel en
contact – client
Le rôle du client comme
« acteur » de la co-production de la prestation est essentiel dans
les services. Plusieurs éléments sont à prendre en compte comme le soulignent
Plé, Lecocq et Angot (2010) :
-
quelle est la nature de la production dans laquelle
s’implique le client ?
-
à quel moment intervient-il dans le processus ?
-
quels sont les interlocuteurs du client dans la
phase de contact ?
-
quelle est la nature de la contribution du
client ?
Pour piloter les activités de
service, on doit maîtriser et contrôler ces différents éléments qui sont au
cœur de la performance et qui recoupent largement les dimensions clés de
pilotage énoncés dans le tableau 2 : la matérialisation du service, les
fluctuations de la demande, les modes de réalisation de la prestation et la
personnalisation du service.
Une grande partie de la
satisfaction perçue du client (de la valeur de l’offre de service à ses yeux)
provient autant des conditions de l’expérience commune lors de la prestation
que du résultat intrinsèque des opérations de délivrance de la prestation. Le
contrôle de gestion des services ne peut donc se concevoir sans une focalisation
sur la relation personnel en contact - client dans la phase de co-production du
service avec le déploiement d’outils ad
hoc (guide des valeurs et des procédures ou « bible » de
l’entreprise de service ; blueprints
adaptés à respecter par le personnel en contact, recours aux nouvelles
technologies panoptiques de contrôle à distance ; suivi et analyse des
réclamations des clients ; clients « mystère » envoyés sur le
terrain ; audits « surprise » internes et externes ; etc.),
surtout si cette phase est développée et intense. La gestion des déviances des
clients (Suquet, 2011) relève aussi de
cette problématique. Le contrôle de gestion des services doit donc être tourné
vers le terrain et accorder autant d’importance au contrôle de la relation avec
le client qu’au contrôle des opérations. La clé du succès réside
fondamentalement dans le respect des facteurs clés de succès du business model et le contrôle de gestion
est primordial, spécialement dans les entreprises qui privilégient la
standardisation des prestations (services normés ou industrialisés de masse)
auprès d’une clientèle choisie (peu de diversité de la clientèle) avec une
coproduction très encadrée (peu de latitudes accordées au client
« acteur »).
2.4.
L’instrumentation du contrôle
stratégique des services
Nous avons présenté précédemment
(cf. section 1.3.) les composantes du business model : la proposition de
valeur ; l’architecture de valeur ; les ressources et les compétences ;
l’équation économique. Le contrôle de gestion des services peut articuler les
composantes du business model à la
dimension clé de la gestion opérationnelle dans un balanced scorecard synthétique. Le terme de balanced scorecard recouvre des réalités très différentes et est
perçu de façon très diverse dans la communauté scientifique, parmi les
professionnels et même par ses concepteurs qui ont varié dans leur approche au
fil du temps ! Pour nous sa qualité principale n’est pas son côté
« équilibré » ou multi dimensionnel (par opposition à une logique
financière dont la prépondérance serait critiquable). C’est la cohérence de sa
construction au service de la mise en œuvre de la stratégie, par les relation
structurantes de cause à effet depuis les indicateurs avancés et locaux du
niveau opérationnel jusqu’aux indicateurs de réalisation de la performance
financière globale, qui est décisive. La force du balanced scorecard réside dans la pertinence de la chaîne des
causalités reliant les divers indicateurs du contrôle de gestion, évitant le
cloisonnement des champs de responsabilité et assurant la convergence des
comportements. Ceci permet d’en faire un outil de cohésion et de travail
collectif des managers au service de la mise en œuvre de la stratégie de l’entreprise
par delà leurs responsabilités de terrain ou leurs spécialités fonctionnelles.
Si nous revenons aux dimensions
clés de la gestion opérationnelle que nous avons identifiées précédemment, on
peut comprendre alors les diverses composantes du business model qui sont activées de façon privilégiée et la nature
du balanced scorecard dans le cas des
activités de service (cf. tableau 3 ci-dessous).
Tableau 3 :
L’instrumentation
du contrôle stratégique des services*
Dimensions clés
à piloter
|
Business models alternatifs
|
Composantes du business model mobilisées de façon
prioritaire dans le balanced scorecard
|
|||
Proposition
de valeur
dans l’axe
« commercial »
|
Architecture
de valeur
dans l’axe
« process »
|
Ressources
et compétences
dans l’axe
« potentiel »
|
Equation
économique
dans l’axe
« financier »
|
||
matérialisation
du service
|
modèle
« riche »
|
attributs nombreux, variés et visibles pour des
consommateurs exigeants
|
|
|
maximisation
de la marge unitaire
et optimisation
des liquidités
|
modèle « dépouillé »
|
|
chaîne de valeur efficiente et appareil
productif
low cost
|
|
maximisation
de la marge totale
et optimisation
des liquidités
|
|
fluctuation
de la demande
|
service assuré
dans toutes les
circonstances
|
|
|
disponibilité des hommes et sur-dimensionnement
des moyens matériels
|
maximisation
de la marge unitaire et optimisation
des liquidités
|
service assuré
dans certaines
limites
|
|
optimisation temporelle
et lean
management
de l’appareil productif
|
|
maximisation
de la marge totale
et optimisation
des liquidités
|
|
modes de
réalisation
de la
prestation
|
service high contact
|
client
« co-créateur »
de valeur dans la phase de contact
|
|
formation relationnelle
et autonomie
du personnel
en contact
|
maximisation
des profits
et optimisation
des liquidités
|
service low contact
|
client « acteur » autonome
de la création de valeur
|
automatisation
et développement des technologies
de self-service
|
|
maximisation
des profits
et optimisation
des liquidités
|
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personnalisation
du service
|
offre
généraliste
|
prestations polyvalentes
et adaptées
|
|
formation technique
de tout le personnel
(en contact et en back-office)
|
maximisation
des profits
et optimisation
des liquidités
|
offre ciblée
|
prestations
dédiées et spécialisées
|
focalisation de l’organisation
et standardisation
des opérations
|
|
maximisation
des profits
et optimisation
des liquidités
|
*
Toutes les composantes du business model
doivent être présentes dans le balanced
scorecard mais nous mettons en exergue ici celles qui nous semblent
particulièrement importantes dans chacun des cas considérés.
Si on prend les business models qui se focalisent sur la
matérialisation du service, on peut avoir soit un modèle « riche »
qui assure une proposition de valeur fondée sur l’existence d’attributs
nombreux, variés et visibles pour des consommateurs exigeants et qui permet de
dégager une marge unitaire importante, soit un modèle « dépouillé »
qui lui s’appuie une architecture de valeur efficiente et un « appareil
productif » low cost qui vise
une profitabilité totale significative malgré des marges unitaires réduites.
Les business models polarisés sur la fluctuation de la demande peuvent
être du type « service assuré dans toutes les circonstances » et
garantir une prestation dans la plupart des situations (par exemple 24h sur 24)
en jouant sur la composante « ressources et compétences » par une
disponibilité des hommes et un sur dimensionnement des moyens matériels
mobilisés (avec une marge unitaire en rapport avec cette capacité) ou bien être
du type « service assuré dans certaines circonstances » par une
architecture de valeur qui permet une optimisation temporelle avec un lean management de l’appareil productif
(et des prix de vente unitaires plus réduits).
Les business models centrés sur les modes de réalisation de la
prestation peuvent être du type « high
contact » avec une proposition de valeur fondée sur le rôle de
co-créateur de valeur du client dans la phase de contact et de façon symétrique,
pour ce qui concerne la composante « ressources et compétences », une
formation poussée dans les aspects relationnels d’un personnel en contact très
autonome. A l’inverse, les business
models peuvent être du type « low
contact » avec alors une proposition de valeur fondée sur le fait que
le client est un créateur de valeur relativement autonome qui doit avoir en
face de lui une architecture de valeur de l’entreprise fondée sur
l’automatisation et les technologies de self-service.
Enfin les business models qui jouent sur la personnalisation du service
peuvent avoir une « offre généraliste » qui nécessite une proposition
de valeur développant des prestations polyvalentes et adaptées et, en matière
de « ressources et compétences », une formation technique poussée
aussi bien du personnel en contact que du personnel de back office. Ils peuvent, a
contrario, être du type « offre ciblée » et développer une
proposition de valeur fondée sur des prestations dédiées et spécialisées et une
architecture de valeur focalisée sur l’organisation et des opérations
standardisées.
Ainsi on voit comment, en
fonction du business model, le
contrôle de gestion global pourra développer un tableau de bord stratégique
fondé prioritairement (en dehors de la composante « équation
économique » toujours présente dans les démarches de contrôle de gestion)
sur une ou deux composantes articulées que ce soit l’offre de valeur,
l’architecture de valeur ou les ressources et les compétences.
Conclusion
Le contrôle de gestion doit être
appréhendé aujourd’hui non seulement dans sa dimension financière traditionnelle
et universelle (calcul, analyse et gestion des coûts ; budgets et tableaux
de bord ; etc.) mais aussi dans ses articulations stratégiques avec le business model et dans sa déclinaison
contextualisée au niveau des processus opérationnels de terrain. Parce qu’elle
s’incarne dans les particularités du métier de l’entreprise, une telle approche
est forcément contingente.
Nous avons donc alors étudié le
contrôle de gestion des entreprises de service.
Les outils de contrôle opérationnels emblématiques des services ont été
présentés et une typologie indicative des systèmes de contrôle pouvant être
déployés en fonction des business models
mis en œuvre a été esquissée. L’importance du contrôle de la relation entre le
personnel en contact et le client lors de la phase de coproduction de la
prestation a été mise en évidence. Nous avons montré aussi comment, dans les
activités de service par delà les outils classiques du contrôle de gestion et
notamment son budget, on peut développer un système de pilotage de la
performance faisant le lien entre le business
model et les processus opérationnels. La dimension opérationnelle clé pour
l’entreprise pourra ainsi être pilotée dans le cadre d’un balanced scorecard en s’appuyant sur des indicateurs relevant de
l’équation économique de l’entreprise et suivant les cas, de façon plus ou
moins importante et plus ou moins combinée, de l’offre de valeur, de
l’architecture de valeur ou des ressources et des compétences.
L’analyse du contrôle de gestion que
nous avons développée, de façon d’abord conceptuelle puis appliquée au cas des
activités de service, montre comment on peut repenser et élargir l’approche
traditionnelle du contrôle aussi bien dans la pratique (au niveau de la
fonction contrôle de gestion ou dans les actions de contrôle des managers de
terrain) que dans la réflexion plus théorique (en dépassant définitivement la
vision fondatrice mais datée d’Anthony et en proposant une alternative aux
visions sociologique critiques aujourd’hui dominantes dans la communauté universitaire).
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