Le cadre législatif et réglementaire français.
Les dispositions législatives
et réglementaires en vigueur en France en matière comptable n'ont accordé au tableau
de financement, que très récemment, l'attention qu'il mérite. Ainsi, au sens de
la loi comptable du 30 avril 1983, reprise dans le Code de Commerce (art.8, al
3), les comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et
l'annexe, ces trois documents formant un tout indissociable. D'un strict point
de vue légal, le tableau de financement ne donne donc lieu à quasiment aucune
obligation tant en termes d'établissement qu'en termes de publication. Seule la
loi du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement
amiable des difficultés des entreprises, applicable à celles réalisant un
chiffre d'affaires égal ou supérieur à 120 millions de francs ou disposant d'un
effectif égal ou supérieur à 300 personnes, impose l'établissement et la diffusion
d'un tableau de financement. Toutefois, la diffusion du document est très
restreinte puisque limitée aux commissaires aux comptes, au comité d'entreprise
et au conseil de surveillance dans les sociétés anonymes qui disposent de cet
organe de gestion. Cette loi n'a pas défini de modèle, le décret d'application
précisant simplement que l'entreprise doit faire apparaître ses moyens de
financement.
Les nouvelles règles de
consolidation, adoptées par le Comité de la Réglementation Comptable
le 29 avril 1999, comportent, contrairement aux anciennes règles qui se
contentaient de recommander la publication d’un tableau de financement, des
dispositions faisant du tableau des flux de trésorerie un document à inclure
dans les notes annexes. Ces nouvelles règles ont repris à leur compte l'avis
relatif au tableau des flux de trésorerie émis, en décembre 1997, par le
Conseil Supérieur de l'Ordre des Experts-Comptables (CSOEC). Très largement
inspiré de la norme internationale IAS 7, cet avis annule et remplace une précédente
recommandation du CSOEC en date de 1988 relative au tableau de financement. Ce
changement de dénomination a marqué un tournant important en France puisque,
dans son premier texte, le CSOEC présentait simultanément deux modèles, le
tableau d'emplois/ressources et le tableau de trésorerie. Il marquait alors sa
préférence pour ce dernier tableau sans toutefois rejeter le premier. De son
côté, le dernier rapport Le Portz publié en 1998, relatif à l'indépendance et à
l'objectivité des commissaires aux comptes des sociétés faisant appel public à
l'épargne, recommande de faire du tableau des flux de trésorerie un document de
synthèse à part entière, voire de l'inclure dans les notes annexes.
Enfin, notons qu'en pratique
les entreprises cotées qui établissent un document de référence ne peuvent plus
faire l'économie de la publication d'un tableau de financement, la Commission des
Opérations de Bourse (COB) ne délivrant plus son visa en l'absence d'un tel
document.
Un déficit d'image au sein des petites et moyennes entreprises.
Autant les grands groupes cotés
considèrent le tableau des flux de trésorerie comme un état de synthèse à part
entière, autant les petits groupes français, notamment ceux qui ne sont pas
astreints à la publication de comptes consolidés, gèrent leurs flux de
trésorerie à l'aide de tableaux de bord hebdomadaires ou mensuels et
établissent assez rarement un tableau des flux de trésorerie au sens comptable
du terme. Le tableau de financement souffre en France d’un déficit d’image
important, les services comptables et
financiers l’établissant souvent à la hâte avant la réunion du conseil
d’administration chargé d’arrêter les comptes, les dirigeants éprouvant de
nombreuses difficultés à l’interpréter et à l’analyser, notamment en présence
de multiples variations de périmètre et de taux change. Une telle attitude
apparaît particulièrement préjudiciable car elle a probablement conduit de
nombreuses petites et moyennes entreprises à déposer le bilan, faute
d'informations suffisamment précises sur l'évolution de l'indicateur clé que
constitue la trésorerie. Cette dernière permet d'assurer le financement de
l'activité des entreprises ainsi que leur pérennité et témoigne de leur état de
santé. On observera à cet égard que les mises en redressement ou liquidations
judiciaires sont souvent consécutives à une insuffisance de trésorerie. Elle
constitue en outre un agrégat simple, clé de voûte de la gestion et de
l'analyse financière, notamment sous l'angle prévisionnel. C'est également un
concept objectif et neutre, proche des préoccupations de la ménagère. Il est
accessible au profane de la comptabilité et présente l'intérêt d'être "dépollué" des conventions
comptables qui sous-tendent la formation d'agrégats tels que le résultat net ou
la capacité d'autofinancement. Le tableau d'analyse des flux de trésorerie
répond donc aux impératifs d'une démarche budgétaire, articulée autour des
encaissements et des décaissements prévisionnels. Sa structure fonctionnelle,
liée à l'existence des flux d'exploitation, d'investissement et de financement,
trouve parfaitement à s'intégrer dans le cadre d'un plan de financement.
Vers une présentation plus homogène et plus riche.
Suite à la publication des
nouvelles règles de consolidation, le comportement des groupes français, qu’ils
soient ou non cotés, devrait évoluer dans le sens de pratiques plus homogènes,
certains groupes établissant encore un tableau d’emplois/ressources, d'autres
se dispensant purement et simplement de toute publication en la matière. Les
nouveaux textes français vont entraîner un alignement par rapport aux
référentiels comptables en vigueur au plan international et aux Etats-Unis, la
norme internationale IAS 7 et la norme américaine SFAS 95 conférant au tableau
des flux de trésorerie, depuis plusieurs années déjà, un caractère de document
de synthèse obligatoire.
La lecture des rapports
financiers des grands groupes français, y compris les plus prestigieux, donne
souvent l’occasion de mesurer le laconisme, voire l'indigence de l’information
financière relative au tableau de financement, les tableaux publiés étant, dans
leur grande majorité, dépourvus de notes annexes. Or, quand on sait à quel
point l’élaboration de ce document repose sur nombre de conventions, on est en
droit de s’interroger sur la pertinence de la publication d’un tableau qui,
pris individuellement, ne présente que peu d’intérêt. Il ne viendrait
d’ailleurs à l’idée de personne de publier un bilan et un compte de résultat
sans notes annexes. A cet égard, les nouvelles règles de consolidation
devraient favoriser la promotion et l’enrichissement du document puisqu'elles
imposent, à l’image des référentiels comptables internationaux, l’utilisation
de notes annexes spécifiques.
La nécessité de notes annexes.
Le premier type d'information
qu'il semble indispensable de fournir concerne la définition de la trésorerie
elle-même puisqu’il s’agit de la variable d’ajustement autour de laquelle est
articulée tout le raisonnement. N'oublions pas que le tableau a pour objet
principal d'analyser la variation de trésorerie intervenue entre deux dates de
clôture. Cette définition devrait être complétée par un tableau de
rapprochement entre la trésorerie utilisée pour les besoins du tableau lui-même
et celle ressortant du bilan. L'avis du CSOEC a retenu une définition très
restrictive de la trésorerie en la limitant aux instruments financiers
permettant à l’entreprise de gérer sans risques significatifs ses excédents et
besoins de trésorerie à court terme. A titre d'exemple, les comptes à terme
ouverts à l’origine pour une durée de plus de trois mois ne sont pas
constitutifs de la trésorerie mais relèvent des opérations d’investissement. Il
apparaît en outre nécessaire de fournir au lecteur des comptes une information
détaillée sur les valeurs mobilières non incluses dans la trésorerie car
soumises à un risque de variation de
valeur. Seules les SICAV et FCP monétaires sont susceptibles de relever
de la trésorerie. Les titres cotés qui présentent par nature un risque de
variation de valeur et les titres non cotés qui, en l’absence de marché ou
d’acquéreur potentiel, ne sont pas liquides, sont exclus de la trésorerie.
Nombreux sont les groupes qui, considérant que la trésorerie n'est pas
significative en soi, préfèrent, compte tenu de la fongibilité de la trésorerie
et de l'endettement financier à court terme ou à long terme, articuler leur
raisonnement autour d'une variable d'ajustement égale au solde net des agrégats
précités, soit l'endettement financier net en présence d'un solde négatif, soit
la trésorerie nette en présence d'un solde positif. Concernant les effets
escomptés non échus, les rédacteurs de l'avis du CSOEC n'ont pas souhaité, dans
un souci d'homogénéité avec le bilan, opérer le retraitement visant à majorer
l'encours client et l'endettement financier à court terme; une position
contraire aurait eu le mérite de neutraliser l'incidence du choix de tel ou tel
mode de financement à court terme sur le besoin en fonds de roulement et sur la
trésorerie.
Les notes annexes relatives aux
conventions d'affectation des flux de trésorerie dans les différentes fonctions
(exploitation, investissement, financement) du tableau sont très rarement
présentes dans les rapports financiers des groupes. Elles donnent pourtant un
éclairage indispensable au lecteur des comptes sur le classement des intérêts
financiers, des produits financiers et de l'impôt. Selon l'avis du CSOEC, les
flux de trésorerie relatifs aux intérêts payés et aux produits des
investissements financiers sont habituellement classés parmi les flux liés à
l'exploitation. D'autres analyses sont susceptibles d'être effectuées visant à
classer les intérêts payés dans la fonction financement, ces flux négatifs
traduisant le coût de l'obtention des ressources financières. Inversement, les
produits des investissements financiers peuvent être classés dans la fonction
investissement si l'on considère qu'ils sont l'expression du rendement du
capital investi. De leur côté, les flux de trésorerie correspondant à l'impôt
sont habituellement classés parmi les flux liés à l'activité, le texte du CSOEC
recommandant, en présence de plus-values de cessions d'immobilisations
significatives, de rattacher l'accessoire au principal. Cela a pour conséquence
de faire figurer dans la fonction investissement les produits de cession
d'immobilisations pour un montant net d'impôt. De manière symétrique, lorsque
le flux global de trésorerie lié à l'exploitation est calculé à partir du
résultat net, l'élimination des plus-values de cession doit se faire pour un
montant net d'impôt. L'application de la règle de rattachement de l'accessoire
au principal présente l'avantage, d'ailleurs totalement justifié, d'améliorer
le montant de la capacité d'autofinancement. En l'absence d'un tel
rattachement, la capacité d'autofinancement serait indûment minorée de l'impôt
payé afférent aux opérations de cession d'actifs immobilisés. En pratique, dans
les groupes comportant simultanément des sociétés bénéficiaires et des sociétés
déficitaires, la mesure de l'impôt strictement imputable aux opérations de cession
peut s'avérer délicate.
Le tableau des flux de
trésorerie gagne également en lisibilité lorsqu'il est accompagné de notes
d'informations analysant les opérations non monétaires d'investissement ou de
financement. Ces notes sont d'une importance toute particulière car elles
permettent d'assurer un lien entre les variations bilantielles intervenues
entre deux dates de clôture et le tableau des flux de trésorerie dont
l'objectif est avant tout d'expliquer les variations de trésorerie. Or, il se
trouve que de nombreuses transactions n'ont aucune incidence sur la trésorerie.
A ce titre, la souscription de contrats de crédit-bail, en présence du
retraitement optionnel prévu par les textes en vigueur en France, conduit à
porter à l'actif du bilan le montant de l'immobilisation acquise par ce biais
et au passif le montant de l'endettement correspondant. De la même manière, la
conversion d'obligations en actions donne lieu à des flux non monétaires
internes à la fonction financement qui n'ont pas vocation à apparaître dans un
tableau explicatif de la variation de trésorerie.
En matière de prises de
contrôle, les opérations réalisées par certains groupes ont parfois des
incidences très significatives sur les différentes composantes du bilan
consolidé. Or, lorsque les groupes acquéreurs ne disposent pas de la trésorerie
suffisante pour payer comptant, ou ne souhaitent pas accroître leur niveau
d'endettement, ils n'ont souvent d'autre solution, au prix il est vrai d'une
certaine dilution, que d'ouvrir le capital de la société consolidante ou des
filiales. Dans ces circonstances, le tableau des flux de trésorerie donne au
lecteur des comptes une vision très restrictive de l'entrée de périmètre
puisque celle-ci conduit uniquement à majorer la trésorerie du groupe à hauteur
de celle figurant au bilan de la société cible, dès lors que cette dernière est
consolidée par intégration globale ou proportionnelle. L'objet d'une note
annexe est ici de faire le lien entre l'actif net de la société cible (en
isolant sa trésorerie), l'augmentation des capitaux propres consécutive aux
apports (lorsque la société consolidante est bénéficiaire des apports) et
l'augmentation des intérêts minoritaires (lorsqu'une des filiales du groupe est
bénéficiaire des apports).
Un intérêt particulier pour les auditeurs.
Le tableau des flux de
trésorerie présente un intérêt tout particulier pour les auditeurs qui
s’assurent par son biais que la traduction comptable des événements et
transactions, déjà appréhendés par l’examen des soldes du bilan et des flux du
compte de résultat, trouve une confirmation satisfaisante. Ce document
constitue, au même titre que les tableaux de variation des capitaux propres et
des intérêts minoritaires, un excellent outil de bouclage du processus de
consolidation dans son ensemble. A cet égard, les auditeurs considèrent
généralement qu'un dossier de consolidation dépourvu d'une revue du tableau des
flux de trésorerie n'est pas un bon dossier de consolidation. Ce document doit
être audité à la lumière des états de synthèse déjà disponibles (bilan, compte
de résultat, annexe) et sur la base de travaux de recoupement et d'analyses de
cohérence. Sa validation suppose évidemment une bonne connaissance des
événements intervenus au cours de l'exercice et de leur traduction dans les
états financiers. Son examen peut également conduire à la détection d'anomalies
au sein du bilan et du compte de résultat que d'autres tests n'auraient pas permis de révéler. L'audit du
tableau des flux de trésorerie ne doit pas être conduit de manière indépendante
et sans lien avec les autres états financiers. Toutefois, les contrôles croisés
et les tests de recoupement se heurtent souvent aux logiques de construction
différentes auxquelles obéissent les différents états de synthèse.
L'établissement du bilan et du compte de résultat repose sur le concept de
comptabilité d'engagement alors que l'établissement du tableau des flux de
trésorerie repose sur le concept de trésorerie. L'intérêt d'une analyse de
cohérence générale entre le tableau des flux de trésorerie et les autres états
financiers réside dans l'appartenance commune de certains soldes ou flux à
plusieurs états de synthèse. Cela se vérifie plus particulièrement lorsque la
trésorerie d'exploitation est calculée à partir du résultat net, selon la
méthode indirecte. Dans cette hypothèse, la trésorerie d'exploitation figurant
dans le tableau des flux de trésorerie se calcule notamment en corrigeant le
résultat net (part du groupe) de la part des minoritaires dans le résultat des
sociétés intégrées, de la quote-part dans le résultat des sociétés mises en
équivalence, de l'incidence des amortissements et provisions. S'agissant de la
cohérence entre le bilan et le tableau des flux de trésorerie, le premier
rapprochement doit porter sur la trésorerie elle-même à l'ouverture et à la
clôture de l'exercice, à partir de ses différentes composantes, identifiables
ou non en lecture directe au niveau du bilan. De manière plus générale, la
cohérence entre ces deux états de
synthèse repose sur la possibilité de décomposer les variations bilantielles
sur la base de celles correspondant aux variations de périmètre (entrées et
sorties), aux variations de taux de change, et aux autres flux non
caractéristiques de la consolidation (augmentations, diminutions). A cet égard,
il serait illusoire de vouloir reconstituer la variation des décalages de
trésorerie sur opérations d'exploitation par comparaison directe des soldes
bilantiels (clients, fournisseurs, autres créances, autres dettes…) à la
clôture et à l'ouverture de l'exercice; en effet, la variation globale est
affectée par les variations de périmètre et les variations de cours de change
qu'il convient au préalable de neutraliser. D'autres rapprochements sont
susceptibles d'être opérés, par exemple avec certains tableaux de variation des
notes annexes, tels que les tableaux de variation des immobilisations
(incorporelles, corporelles, financières) ou les tableaux de variation des
capitaux propres (part groupe et minoritaires) ou de l'endettement.
Un message didactique en direction des dirigeants.
On l'aura compris, le tableau
des flux de trésorerie est au cœur des préoccupations de nombreux acteurs
économiques, internes ou externes aux entreprises. Il reste à espérer que les
petites et moyennes entreprises sauront, à l'avenir, en découvrir les vertus.
Le tableau des flux de trésorerie constitue en effet un document fondamental en
matière d'analyse financière et peut être utilisé de manière historique et
prévisionnelle. La profession comptable (experts-comptables, commissaires aux
comptes, auditeurs…) devrait se mobiliser pour aider les entreprises encore
réticentes à franchir le pas et à ne plus considérer le tableau des flux de
trésorerie comme un document accessoire. Une telle démarche passe probablement
par une présentation didactique aux dirigeants des entreprises du fondement du
tableau et de son objet principal. Il suffirait probablement de montrer que le
document est articulé autour de l'analyse d'un concept simple et accessible et
d'insister sur le fait que, ne pas vouloir s'intéresser à la façon dont
l'entreprise a recueilli puis utilisé sa propre trésorerie, relève d'une gestion hasardeuse et risquée.
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