L’impact de la responsabilité sociale de l’entreprise sur les pratiques de contrôle de gestion : Cas d’une grande entreprise publique marocaine




Suite à un certain nombre de pressions de l’environnement, les entreprises ont été amenées ces dernières années, à s’interroger sur leur responsabilité vis-à-vis de la société (communauté et environnement). La Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE) postule, et dans le même raisonnement que la théorie des parties prenantes développée par  Freeman (1984), que l’entreprise détient une responsabilité sociale et sociétale  vis-à-vis de la communauté dans son ensemble. Ce phénomène s’est traduit par une évolution des discours et des stratégies de communication des  entreprises (Martinet et Reynaud, 2001). Un développement dans le champ du contrôle de gestion quant à la façon dont les outils de contrôle de gestion intègrent cette nouvelle forme de performance a été bien senti (Bollecker et al. 2006).
Plusieurs approches ont été développées ces dernières années dans le champ du contrôle de gestion afin d’intégrer la dimension de la RSE dans les systèmes de contrôle des organisations. Des systèmes de pilotage et de mesure de la performance ont apparu. Ces derniers se  déclinent sous différentes formes (tableau de bord et tableau de bord prospectif) et ont pour fonction principale de: « traduire la mission et la stratégie de l’entreprise en un ensemble d’indicateurs de performance qui constituent la base  d’un système de pilotage de la stratégie » (Kaplan et Norton, 1996). Certaines d’entre elles proposent même un cadre pour l’évaluation de la RSE à partir des systèmes de contrôle de gestion.
Des chercheurs ont démontré l’impact que peut détenir une décision sociale sur l’amélioration des performances financières (Wolff, 2004 ; Husted et Allen, 2006 ; Boudier et Bensebaa, 2008). Les travaux portant sur les entreprises du secteur des services publics sont peu nombreuses (Rousseau  2008 ; Charbonneau et Caron 2009).  D’autres travaux plus récents concernant des chercheurs qui, et à travers plusieurs études de cas, cherchaient à comprendre la logique de fonctionnement des entreprises tentant de concilier deux notions jugées indispensables pour tout établissement de secteur des services publics de performance financière et de RSE (Merlin-Brogniart 2011, Labaronne et Oueslati, 2011).
C’est dans le prolongement de ces études de cas que s’inscrit notre travail. Il se propose de comprendre le fonctionnement du système de contrôle de gestion d’une grande entreprise publique marocaine : l’Office National de l’Electricité et de l’Eau Potable (ONEEP). L’étude de ce système va nous permettre d’expliquer l’impact des décisions à caractère social sur la performance de cet établissement.  L’ONEEP apparaît comme une entreprise « engagée » qui se reconnaît des responsabilités envers le bien commun. Les managers de l’ONEEP sont en relation permanente avec les élus locaux qui les sollicitent pour une aide ponctuelle ou une subvention régulière afin de financer leurs dépenses de fonctionnements ou d’investissements régionaux. Aussi, l’entreprise se voit parmi les établissements publics les plus développés en matière de pratiques de gestion.
Cet établissement se voit capable de répondre à l’objet de notre travail : l’ONEEP s’engage depuis sa création dans des projets à caractère social et réalise au même temps des performances lui permettant de poursuivre ses actions de financement et d’investissement au Maroc. Aussi, et à notre connaissance et sur la base des investigations menées dans le domaine, aucun travail de recherche ne s’est intéressé empiriquement à l’étude du système de contrôle de gestion et son fonctionnement dans un office marocain.
Dans ce travail, nous proposons en premier lieu une analyse théorique sur les pratiques du contrôle de gestion et de la gestion de la performance dans la sphère publique (1). L’étude empirique est décrite dans un second temps (2).  Cette dernière se propose sous forme de trois sections. Une première pour présenter le cas objet de notre étude. Une deuxième pour justifier notre choix méthodologique. Une dernière présente et commente les résultats.

1-      Les pratiques de contrôle de gestion et de la gestion de la performance dans le secteur des services publics
Il n’existe pas de contrôle de gestion dont les outils, méthodes et principes de fonctionnement serait adapté à toutes les entreprises. Le système de contrôle de gestion doit être repensé au sein de l’entité en question en fonction de ces particularités (objectifs, taille, contexte environnemental, secteur d’activité,..). Ce principe s’applique aussi pour les établissements publics.
Nous essaierons dans ce qui suit de présenter brièvement un aperçu sur les pratiques éthiques de contrôle de gestion et de la gestion de performance que doivent être appliquées au sein des établissements du secteur public.

1-1 Les pratiques du contrôle de gestion dans le secteur public
La gestion publique et au-delà des critiques et réactions qu’elle a soulevées (Hernes, 2005 ; Kane J. et Patapan H., 2006 ; Pichault, 2007), vise à influencer les pratiques organisationnelles au sein des établissements publics dans l’objectif de dégager une performance axée sur trois principaux piliers (Hood, 1995).
ü  Pilier « économie » : permet de s’assurer que les dépenses allouées aux projets publics sont utilisées d’une manière rationnelle.
ü  Pilier « efficacité » : permet de s’assurer que les objectifs assignés aux établissements publics sont réalisés.
ü  Pilier « efficience » : permet de s’assurer que les établissements publics s’organisent d’une manière leurs permettant de satisfaire les besoins des usagers au moindre coût économique tout en utilisant un minimum de ressources.
L’atteinte de ces trois objectifs peut être assurée par la mise en place d’un système de contrôle de gestion cohérent et adapté à la logique de l’établissement public (Togodo A.A. et Van Caillie D., 2012).
Dans la logique publique, le contrôle de gestion peut être utilisé pour s’assurer du respect de l’orthodoxie financière en matière d’équilibre entre les dépenses et les recettes publiques. Ceci fait référence à l’axe «économie » de la performance expliquait par Hood (1995). Le contrôle de gestion aura de ce fait pour mission fondamentale, le contrôle de conformité prenant la forme d’audit et d’inspection (Togodo A.A. et Van Caillie D., 2012).
Une autre finalité de l’utilisation du contrôle de gestion dans une logique publique est d’instaurer une rationalité économique (maximisation des services et produits publics tout en minimisant les dépenses et les ressources rares). Pour Bouquin (1989), la performance d’une entité publique est perçue sous les axes de l’efficacité et l’efficience. A ce niveau-là, les outils de contrôle de gestion peuvent être exploités afin d’évaluer les inputs et les outputs.
Une troisième finalité, appelée finalité « politique » attribut au contrôle de gestion des missions d’évaluation de l’impact des actions entreprises par les dirigeants des établissements publics, d’une part, de responsabilisation comptable de ces dirigeants, d’autre part (Bogt, 2003).
Le contrôle de gestion a été conçu et adapté à la structure et culture des grandes entreprises industrielles privées. Il se détachera de ces principes de base pour satisfaire aux spécificités du secteur des services publics. Ces outils, issus d’un secteur concurrentiel, doivent être adaptés aux caractéristiques des établissements publics, parmi lesquelles :
ü  Une culture particulière : donnant une grande importance à la notion d’intérêt général ;
ü  Des finalités et missions particulières : missions régaliennes, missions de service public ;
ü  Des règles de gestion particulières : celles de la comptabilité publique, celles de la logique des marchés publics,…
Les spécificités du contrôle de gestion dans les établissements publics dépendent des objectifs que l’Etat désire réaliser à travers l’établissement. Il n’existe pas de contrôle de gestion sans définition préalable des objectifs, puisque les pratiques et outils du contrôle de gestion conduisent le gestionnaire à réagir, manager et décider en fonction d’un certain nombre d’objectifs.
Reste à savoir que la définition des objectifs dans le secteur des services publics présente certaines difficultés. Il n’est pas toujours facile de traduire des objectifs politiques en modalités pratiques et en objectifs mesurables. Aussi, il peut y avoir un décalage entre les attentes des usagers et les objectifs d’intérêt général tels que perçoivent les responsables politiques.
La définition des objectifs supposent la mise en place de moyens capables de permettre à l’établissement la réalisation de ces dits objectifs. Certaines spécificités liées aux moyens doivent également être prises en considération lors de la mise en place d’un système de contrôle de gestion dans un établissement de service public : (l’annualité des budgets limite la visibilité de la programmation des moyens, la nature des crédits limite le redéploiement des moyens et donc une autonomie du responsable,…).
Une autre  spécificité des entreprises publiques, que doit prendre en considération le contrôle de gestion, est que ces dernières ne sont réellement soumises à la concurrence. Les établissements publics exercent, dans la plupart des cas, leurs activités dans des secteurs promoteurs, stratégiques, et ayant le monopole de la prestation fournie.

1-2 La gestion de la performance globale dans le secteur public
La performance, que ça soit dans le cadre d’un secteur privé ou public, avait une conception unidimensionnelle, elle a longtemps été réduite à sa seule dimension financière. Les mesures de performance se limitaient à l’utilisation d’indicateurs quantitatifs ayant pour objectif l’évaluation des activités et réalisations (Burns et Waterhouse, 1975).
Moynihan, 2006 précise que le but de la mesure de la performance ne doit pas se limiter à de simples indicateurs mais plutôt à la mise en place d’un système ayant la capacité de mesurer les résultats à travers non seulement des indicateurs financiers mais aussi une utilisation optimale des informations dégagées par l’ensemble des départements d’une entité. L’objectif est d’améliorer le management et la gouvernance démocratique. Vu sous cet angle, les indicateurs financiers ne seront plus capables de traduire toutes les réalités de l’établissement en question.
Dans le contexte public, les établissements produisent principalement des services. Or, les services sont par nature parfois difficiles à quantifier et à mesurer. L’analyse des réalisations pose des problèmes propres. Le rapport entre les objectifs et le résultat final, le rapport entre les moyens déployés et les réalisations, supposent en premier lieu l’existence de références, surtout historique, qui ne va pas de soi lorsque le contrôle de gestion est récent dans l’établissement.
Aussi, précisions que les indicateurs financiers de la performance résultent du système comptable qui génère et collecte des informations financières, or ce dernier n’est pas souvent assez structuré pour communiquer des informations qui seront d’aide à la prise de décisions au sein de l’établissement concerné.
La performance doit être appréhendée à partir de multiples dimensions. Dans le secteur des services publics, le système de mesure de la performance peut jouer les rôles suivants :
ü  Aider l’établissement a évalué si les contributions de l’Etat, des fournisseurs, des usagers et des employés sont conforment à celles qui sont espérées d’eux ;
ü  Aider l’établissement à mesurer si les besoins des usagers ont été assurés par les services de l’entité en question dans les meilleures conditions possibles ;
ü  Aider l’établissement dans le design et la mise en place de ses programmes d’actions pour contribuer non seulement à la réalisation de ces objectifs principaux mais aussi secondaires ;
ü  Et enfin, aider l’établissement à organiser et à évaluer ses contrats et planifications négociés avec ses partenaires afin de répondre au mieux aux attentes des usagers.
La performance doit être évaluée donc à partir d’indicateurs qualitatifs non financiers, ce qui permettra aux dirigeants d’avoir une vision plus claire sur l’organisation de l’entité en question à moyen et à long terme. Bien que ces indicateurs non financiers soient moins faciles à évaluer (Pollitt, 1986), des études ont pu confirmer qu’ils ont un impact sur la performance financière et la qualité des informations et des décisions (Ittner et Larker, 2003).
La conception des indicateurs de performance doit bénéficier d’une attention particulière (Van Dooren, 2005). Pour être efficace et faciliter la prise de décisions, ces indicateurs doivent être détaillés, résistants aux changements et aux comportements, fiables, opportuns et surtout adaptés aux spécificités, aux caractéristiques et à la culture de l’établissement en question.
La mesure de la performance du secteur des services publics a attiré l’attention de nombreux chercheurs et consultants au cours de ces dernières années (Poister et Sreib, 1999 ; Harty, 1999 ; Kelly et Swindell, 2002 ; Melkers et Willoughby, 2005 ; Halachmi, 2010,…).
Cinq principales étapes ont marqué l’évolution des mesures de la performance à partir du système de contrôle de gestion dans le secteur public :
La première étape : le système de contrôle de gestion se limite à l’élaboration d’un budget et d’un reporting. Ce système avait comme objectif l’amélioration des programmes budgétaires pour faciliter la prise de décisions financières. Tous les efforts déployés par les chercheurs pour imposer la prise en compte des éléments rationnels de mesure de performance n’ont donné de résultats concluants. Les gouvernements et managers du secteur public ne veulent pas encore abandonner la logique d’élaboration des budgets.
La deuxième étape : la performance, durant cette étape, va prendre une orientation politique (Melkers et Willoughby, 2001). Les outils de mesure de la performance vont se multiplier (le budget programme, l’évaluation du management des programmes, la mesure de la production). La fin de cette période s’est caractérisée par la mise en place de mécanismes de feedback dans la mesure des performances (Chia et Koh, 2007).
La troisième étape : cette phase est l’ère de la Nouvelle Gestion Publique (Hood, 1995 ; Goddart, 2005). L’objectif est d’améliorer la gouvernance publique afin d’accroître la gouvernance d’entreprise et répondre au mieux aux attentes des usagers. Les outils de mesure de la performance ne vont pas réellement changer mais, les indicateurs vont prendre en considération d’autres aspects comme la satisfaction des usagers, la mesure de l’impact des actions politiques,… L’orientation client de cette phase va préparer la phase suivante.
La quatrième étape : cette phase se caractérise par l’utilisation scientifique des indicateurs et outils de la performance dans les intérêts propres de l’établissement public et pour un management et un pilotage axés sur le résultat (Poister et Streib, 1999). L’utilisation des technologies de l’information et de la communication a aidé à la mise en place d’indicateurs capables de mesurer et évaluer la gestion stratégique.
Dernière étape : on note une utilisation diversifiée des outils de contrôle de gestion et de mesure de performance à travers le monde. Une amélioration des outils classiques tels que : le budget, la planification et la gestion de la performance. L’apparition de nouveaux outils au sein des établissements publics, tels que : le tableau de bord et le tableau de bord prospectif. Ces outils vont permettre l’évaluation de différents aspects outre l’aspect financier, à savoir : orientations usagers, processus interne, innovation et apprentissage. L’objectif principal de ces outils est l’amélioration de l’efficacité et l’efficience du secteur des services publics. Donc une vision plus stratégique de la performance est née. La mise en place de tels outils au sein des établissements du secteur public a permis la prise en compte de l’impact de l’environnement politique et social sur les orientations stratégiques de l’établissement en question d’une part, et ses résultats réalisés d’autre part (Charpenter et Feroz, 2000 ; Edward, 2005 ; Yang, 2007).
Un contrôle de gestion éthique développant des pratiques responsables se présente comme  un système qui va permettre à l’entité publique d’assurer l’accomplissement de trois finalités (Togodo A.A. et Van Caillie D., 2012).Une première dont l’objectif est de maximiser les services et produits publics tout en minimisant les dépenses. Une deuxième qui s’intéressera à évaluer l’impact des décisions entreprises par les dirigeants des établissements publics. Elle aura comme tâche aussi : traduire les objectifs politiques en modalités pratiques et mesurables. Une dernière pour s’assurer du respect de l’orthodoxie financière. Un contrôle de gestion développant des outils capables d’accomplir ces finalités et avant tout un contrôle reposant sur l’utilisation d’indicateurs fiables, opportuns, détaillés et adaptés à la logique publique. Cette logique repose sur l’atteinte non seulement d’objectifs financiers mais aussi d’autres de missions publiques.
2-      Les pratiques du contrôle de gestion dans le secteur public marocain
La nécessité de disposer d’informations non financières pour mesurer et piloter la performance est un constat qui n’est pourtant pas récent dans le domaine du contrôle de gestion. Jonhson et Kaplan (1987) l’évoquaient déjà il y a vingt ans, et de nombreux outils comme le tableau de bord ou le tableau de bord prospectif ont été implantés depuis dans les entreprises publiques pour répondre à ce besoin. En revanche il existe, tout compte fait, peu de travaux empiriques qui informent sur les pratiques effectives des entreprises surtout dans le secteur des services publics.
Au Maroc, plusieurs tentatives de redressements ont été entreprises afin d’améliorer la gestion des établissements du secteur public. L’objectif est d’assurer un certain niveau de performance réalisé à partir d’une pratique responsable des méthodes et outils de gestion. Afin d’approcher de prêt la gestion publique, une étude a été réalisée auprès d’un établissement public marocain.
2-1 Présentation du cas
Une fusion de deux principales entités publiques a vu le jour. L’objectif est de répondre à une logique évidente de synergie : les deux offices sont spécialisés dans des métiers complémentaires et ont en plus le statut de producteurs et de distributeurs d’eau et d’électricité dans la plupart des villes et régions du royaume.
Pour les promoteurs de ce regroupement, l’objectif est de générer des gains d’efficience que les deux établissements publics ne seraient pas en mesure d’obtenir avec une organisation séparée. Pour eux, ce gain d’efficience sera recherché à travers une planification maîtrisée des besoins et des économies d’échelle par des ensembles plus vastes et une continuité territoriale. Le but est également de garantir le service pour les populations les plus défavorisées et de réduire les disparités géographiques. Ce qui permettra de poursuivre la mise à niveau des infrastructures, particulièrement dans le monde rural.
En outre, ce regroupement élargira le champ d’action par activité afin d’atteindre une taille critique favorable aux économies d’échelle. Il s’agira de mettre en place une organisation interne de l’Office qui lui permettra de s’adapter aux développements sectoriels et de concrétiser, dans un futur proche, la réforme des secteurs de l’électricité et de l’eau et particulièrement des services publics locaux de distribution.
Un autre objectif est de réduire les déficits de l’un grâce aux excédents de l’autre, elle fait jouer l’effet de masse du chiffre d’affaires.
Cet établissement se voit capable de répondre à l’objet de notre communication : les deux offices objet de fusion développent des activités qui sont au cœur des secteurs stratégiques (secteur de l’eau et secteur de l’électricité), ils subissent un contrôle externe exercé par l’Etat et tenus de réaliser un certain niveau de performance et de rentabilité, ils sont tenus d’avoir des outils et méthodes de gestion assez développés, capable de leur permettre la réalisation de leurs objectifs (objectif de performance financière et objectif de mission publique).


2-2 Le choix méthodologique
Nous avons  adopté une approche exploratoire. Les données ont été obtenues à travers des entretiens ouverts réalisés auprès de contrôleurs de gestion et responsables financiers. On s’est basé aussi sur l’analyse documentaire (site internet de l’office, fiches de poste du contrôleur de gestion et autres responsables financiers, comptes rendus des réunions de gestion, textes réglementaires,…). La confrontation de ces sources permet une triangulation (Dent, 2003) à partir de données qualitatives.
Le guide d’entretien se présente sous forme de quatre parties. Une première concernant les caractéristiques de l’établissement (activité, organisation, effectif,…) ainsi que les fonctions du répondant (parcours professionnel, formation de base, poste actuel, missions…). Une deuxième concernant le système d’organisation de l’office (contrôle interne et contrôle externe). Une troisième s’intéressant aux caractéristiques du système contrôle de gestion (logique de fonctionnement, outils, missions, niveau de formation des employés de ce département,…). Et une dernière se focalisant sur le lien entre les performances financières calculées à partir des outils du contrôle de gestion et les actions sociales réalisées par les dirigeants de cet établissement.  Les réponses des responsables ont été analysées. On s’est basé sur une analyse horizontale et verticale des réponses collectées.
Nous avons collecté ces informations et nous avons procédé à une analyse de données sur les pratiques et le fonctionnement du système de contrôle de gestion en combinant données primaires (obtenues des réponses des responsables), données secondaires (obtenues de l’analyse documentaire) et observations directes.
L’objectif est d’approcher de près la gestion d’un établissement public, connaître son système de contrôle de gestion, ses outils de mesure de performance, ses orientations stratégiques afin de comprendre sa logique de fonctionnement.
Avant de présenter les résultats de notre étude, il s’avère nécessaires de donner un brevet aperçu sur l’entité objet de notre communication.
L’office national de l’Electricité et de l’Eau Potable – Branche Electricité exerce des activités centrées sur les métiers : production, transport et distribution de l’énergie électrique.
L’office national de l’Electricité et de l’Eau Potable – Branche Eau Potable centre ses activités sur les métiers suivant : planification de l’approvisionnement en eau potable à l’échelle national, production de l’eau potable, distribution de l’eau potable pour le compte des collectivités locales, gestion de l’assainissement liquide et enfin le contrôle de la qualité des eaux.
Les deux entités se présentent comme étant des établissements publics à caractère industriel et commercial, dotés de la personnalité civile et de l’autonomie financière et ont été investi depuis leur création  de l’exclusivité de la production et du transport. Les deux établissements développent des méthodes et outils de gestion similaires, ce qui a facilité la fusion des deux entités.
3-3 Présentation et discussion des résultats
La division contrôle de gestion assure trois activités :
Activité budget, qui assure la gestion de deux principaux services :
ü  Service suivi et contrôle budgétaire : participer à la préparation des budgets et assurer le contrôle et le suivi de leur exécution.
ü  Service prévision et gestion budgétaire : élaborer les prévisions et consolider les budgets d’équipement, de fonctionnement et de trésorerie de l’office.
Comptabilité analytique : ce service a pour principal objectif la détermination régulière des coûts de revient par centre, par produit et par activité et leurs diffusions à l’ensemble des utilisateurs.
Activité contrôle de gestion
ü  Service contrôle de gestion : mesurer les performances de l’office, proposer et participer aux actions permettant leurs améliorations.
ü  Service contractualisation interne : élaborer et mettre en œuvre un système de contractualisation interne, visant à fixer des objectifs pour chaque service et veiller à leurs réalisations.
La contractualisation qu’a opérée l’Etat avec l’office a permis un passage d’une conception traditionnelle du contrôle de gestion, vers une autre plus moderne. Ce passage est marqué par des étapes et des stades présentés ainsi :
Stade 0 : le contrôle de gestion se limitait à un contrôle budgétaire basé sur l’élaboration, le suivi et le contrôle des budgets dont l’objectif est de respecter les textes législatifs et les contraintes de limitation des budgets.
Stade 1 : la mise en place d’un contrôle interne destiné à quantifier les flux en interne. L’objectif était de minimiser les coûts pour améliorer la gestion des budgets.
Stade 2 : la contractualisation, qui a permis à identifier les rôles, les missions et les obligations que l’office doit respecter.
Stade 3 : la mise en place de système d’information de gestion.
Stade 4 : l’office a connu la conception de service destiné à calculer les coûts, réaliser des prévisions, calculer le résultat final et les écarts : la comptabilité analytique se concrétise au sein de l’entité.
Stade 5 : l’introduction de tableaux de bord
Stade 6 : les dirigeants et responsables de gestion sont entrain d’essayer la mise en place d’un système ABC (le système est toujours en cours d’expérimentation).

L’office actuellement s’inscrit dans une voie de contrôle de gestion qui repose sur le management par objectif via la politique de contractualisation interne et de la définition rigoureuse des indicateurs de suivi qui en résulte. L’introduction de cette politique était nécessaire vue : la taille de l’office (surtout en effectif), l’âge (ce facteur demeure lui aussi intéressant étant donné que la mise en place du système de contrôle de gestion au sein de l’office date de plus de 20 ans), le secteur d’activité (l’office opère dans un secteur commercial et industriel qui se caractérise par une certaine hostilité), et le contrôle externe (l’office est un établissement public qui bénéficie d’un contrôle d’accompagnement, celui-ci est exercé sur les sociétés d’Etat à participation directe et sur les établissements publics dont le système de gestion présente les garanties d’une bonne maîtrise des risques économiques et financiers ou ceux concluant avec l’Etat un contrat de programme. Ce type de contrôle est axé sur l’appréciation des performances économiques, et financières, des résultats, de la qualité de la gestion et des systèmes d’information).
L’étude du système de contrôle de gestion de l’office a été réalisée au niveau de deux entités (une entité qui s’occupe de la branche électricité, et une autre pour la branche de l’eau potable). L’analyse des documents ainsi que les entretiens ont été réalisé séparément, et ce, pour les raisons suivantes :
Ø  Aucun document officiel ne traite à ce jour les résultats de l’office en sa globalité, tous les documents disponibles au niveau des sites internet, au niveau des locaux de l’établissement ne traitent qu’une branche de l’office (soit la branche électricité, soit la branche eau potable).
Ø  Les contrôleurs de gestion, chefs comptables et responsables financiers de l’office ne sont informés par rapport à cette fusion qui a été opéré et affirment qu’aucun changement n’a eu lieu.
L’enquête nous a permis aussi de conclure quant à la similarité qui existe entre les méthodes de gestion, les outils de gestion, les évolutions des systèmes de contrôle de gestion, des objectifs opérationnels et aussi des orientations stratégiques entre les deux entités de l’office. Cette similarité nous a poussé à un moment à croire qu’il s’agissait du même établissement. Les deux entités développent les mêmes méthodes et orientations, ce qui nous a aidé à étudier doublement le système de contrôle de gestion au sein d’un établissement public afin de mesurer son impact sur les performances. Les résultats collectés à partir de nos entretiens au sein de l’entité s’occupant de la branche électricité, étaient confirmé par la suite grâce à ceux réalisés dans les locaux de l’établissement s’occupant de la branche eau potable.
Les interviews sur le terrain ont permis de s’entretenir avec un contrôleur de gestion, deux responsables financiers et les chefs de quelques services utilisateurs des procédures de la comptabilité analytique. Les documents internes ont été collectés.
L’analyse des réponses des responsables et l’analyse des documents officiels, nous a permis de sortir avec les conclusions suivantes :
ü  Le niveau de formation des employés et responsables gestionnaires est plutôt élevé mais pas forcément dans le domaine de la gestion ;
ü  Un recours aux consultants externes pour la mise en place des outils de contrôle de gestion ;
ü  Une régulation par l’Etat du fonctionnement de l’office par la mise en place de manuel de procédures administratives et financières « Pour le bon fonctionnement de l’établissement, il a été mis en place un manuel des procédures» déclare un chef comptable ;
ü  Présence de logiciels de comptabilité analytique et de contrôle de gestion mais peu exploités.
Les objectifs à atteindre sont définis par service et par département. Chaque service est contraint de respecter des échéances. Le service contrôle de gestion élabore un plan d’action annuel que chaque service exécute. Des réunions sont organisées mensuellement afin de discuter de l’avancement des projets et objectifs des services et départements. Toutefois, les responsables sont autonomes dans l’exercice de leur responsabilité. Le service contrôle de gestion est chargé de l’évaluation de la réalisation des plans d’action annuels. Les décisions opérationnelles sont prises librement par les départements et services concernés.
Les salariés reçoivent des primes exceptionnelles de rendement. Des cérémonies et des voyages organisés s’organisent périodiquement au profit de tous les agents. A part le principe d’avancement systématique (en fonction de l’ancienneté), l’office pratique aussi une promotion sur la base du mérite par l’organisation d’un concours interne annuel (en fonction des postes disponibles).
La communication au sein de l’office est plus formelle qu’informelle. La stratégie organisationnelle n’est ni offensive ni défensive. L’office se voit contraint de se conformer à un certain nombre d’exigences.
Le système de contrôle de gestion se caractérise par la présence d’un service dédié au contrôle. Ce service se charge de faire des audits de dépenses et consommations des budgets. Il travaille en collaboration avec le service « suivi budgétaire ». Ces deux services se préoccupent à faire des comparaisons entre les objectifs définis au niveau de la direction générale pour chaque département et service et les réalisations. Des rapports d’audits s’envoient par voie hiérarchique en moyenne deux fois par an à tous les chefs et responsables de départements.
Le contrôle des procédures à respecter est très ferme. La culture organisationnelle est axée sur la valeur « contrôle ».
L’office en question, et en dehors du budget des dépenses et le compte de gestion, utilise les nomenclatures des coûts unitaires surtout dans l’audit. On a aussi repéré la présence de documents comptables non obligatoires conçus pour prendre compte des quantités et des coûts prévisionnels. Le système de contrôle de gestion est caractérisé par une finalité conformité élevée. C’est ce que Meyer et Rowan (1997) ont appelé « l’alignement avec les mythes institutionnels rationalisés ». Le système d’information comprend des systèmes classiques tels que le compte de gestion et le budget des dépenses. Outre ces systèmes, l’office travaille aussi avec un budget de programme.
L’office participe aussi à un certain nombre d’actions au profil de la société marocaine, on peut citer à titre d’exemple :
ü  L’ONEEP développe des programmes massifs dans la protection de l’environnement à travers des investissements d’économie d’eau et d’énergie électrique ;
ü  Il pilote des projets écologiques.
L’ONEEP est profondément impliqué dans le développement des infrastructures publiques locales. Cette attitude souligne la bipolarité du comportement de cet acteur public. D’une part, il se comporte en manager « privé » en recherchant la performance qui, à terme, servira l’intérêt général à travers l’utilisation, par la puissance publique, des dividendes et des impôts versés par l’Office. D’autre part, il revendique le statut « d’acteur public» en restant attaché à la place qu’il occupe dans la société marocaine.
L’ONEEP est le modèle d’une entreprise dominante qui ne se préoccupe ni des attentes ni des aides de ses parties prenantes et aussi, celui d’une entreprise dominée qui subit les pressions de son environnement. L’entité est engagée dans un processus d’interactions socio-politiques.
Le système de contrôle de gestion dans l’ONEEP développe trois finalités. Une première axée sur la valeur « conformité » (le système de contrôle de gestion est procédural avec un pilotage par les règles, sous l’autorité indirecte et des fois directe de l’Etat),une deuxième axée sur la valeur « économique » (l’ONEEP adopte une «nouvelle gestion publique »  axée sur l’efficacité et la performance économique, et une troisième sur la valeur « politique » (en négociant directement avec les élus locaux et en acceptant, ou pas, de financer telle ou telle infrastructure, les managers de l’ONEEP endossent la responsabilité de définir ce qui relève, ou pas, de l’intérêt général).
Le système de contrôle de gestion est assez développé. Les indicateurs ne se limitent pas à l’aspect financier. Nous avons constaté une utilisation d’indicateurs variés renseignant sur plusieurs autres aspects. La recherche constante d’une amélioration des techniques et outils de gestion afin d’accroître une certaine performance financière va de pair à l’ONEEP avec celle d’une meilleure utilisation du personnel. L’office consacre une grande partie de ses efforts à la formation professionnelle en vue d’une promotion ouvrière, tandis que se poursuit inlassablement un grand programme de constructions à caractère social et culturel. C’est ce que Turban et Greening (1997) ont appelé « l’effet bénéfique des actions sociales ». Ces auteurs précisent que la performance financière d’une entreprise résulte avant tout de la qualité d’une main d’œuvre attirée par la réputation en matière sociale de l’entreprise en question. Ainsi, il semble que les actions sociales sont parfois interprétées comme un signal positif auprès des employés (Turban et Greening, 1997).
L’ONEEP participe aussi à l’amélioration du niveau de vie de la population du pays, par sa contribution prépondérante au budget d’équipement auquel sont versés intégralement ses bénéfices, tandis que les impôts divers dont il s’acquitte au même titre que toute entreprise au Maroc assurent à l’État des rentrées d’argent régulières.
L’ONEEP apparaît comme une entreprise « engagée » qui se reconnaît des responsabilités envers le bien commun. Elle peut être qualifiée de « citoyenne » (Logsdon et Wood ; 2002). Ses managers la gèrent avec le souci de la performance, en adoptant des pratiques de gestion assez développée.
Conclusion
Nous avons cherché à comprendre la logique de fonctionnement du système de contrôle de gestion dans une grande entreprise marocaine. Nous nous sommes inspirés des travaux qui étudient les systèmes de contrôle de gestion dans les organisations publiques. On s’est basé sur les résultats des travaux empiriques de Togodo A.A. et Van Caillie D. (2012) pour s’assurer de la validité de notre construit théorique. Ces travaux et à travers plusieurs tests quantitatifs confirment qu’une pratique responsable des outils de contrôle de gestion passe par la prise en compte de trois finalités lors de l’utilisation de tout système de gestion. Ces trois finalités ont été repérées dans notre étude de cas. Nous avons cherché par la suite à comprendre l’impact de ces pratiques sur les performances de cet établissement. L’utilisation de plusieurs indicateurs renseignant sur outre l’aspect financier, l’aspect satisfaction clientèle, l’aspect processus internes à adopter afin d’améliorer les outils et pratiques de gestion et enfin un dernier aspect orienté vers le personnel de l’entité, nous a  permis de comprendre l’origine de la performance globale de l’entreprise en question. Cette dernière fait référence à l’engagement de l’ONEEP dans plusieurs projets à caractère social, l’utilisation responsable de son système de contrôle de gestion et aussi une grande importance dédiée à son personnel.
L’ONEEP est inséré dans un contexte institutionnel marocain dont les caractéristiques, comme nous l’enseigne l’économie néo-institutionnelle (North, 1990), sont déterminées de façon endogène par des facteurs économiques, politiques, sociaux, culturels et comportementaux. Face aux limites de l’Etat marocain, et compte tenu des moyens financiers importants de l’ONEEP, les dirigeants de l’office se sentent tenus de déployer des actions sociales de grande ampleur pour répondre aux attentes des populations locales et de la société marocaine. Le contexte social marocain se caractérise par une solidarité traditionnelle forte, de nature familiale et interpersonnelle plus qu’institutionnalisée (Allali, 2008). Cette dernière encourage les détenteurs d’une certaine richesse  à venir en aide aux plus pauvres (Labaronne et Ben Abdelkader ,2008). Une forme de paternalisme en découle qui répond aux obligations que les managers de l’ONEEP doivent assumer au regard des attentes fortes de la société marocaine. Dès lors, leurs actions sociales peuvent apparaître comme étant le reflet d’un  isomorphisme institutionnel (Capron et Quairel-Lanoizelé, 2007) qui leur impose de se conformer aux exigences sociales et réglementaires ou encore aux attentes de la population pour bénéficier d’une légitimité de leur action managériale.

Bibliographie
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