La valorisation des entreprises par une appréciation des ressources humaines



Introduction

Jusqu’à une époque récente les procédures comptables se sont développées dans une optique patrimoniale. Ainsi, pour l'entreprise la comptabilité assure trois fonctions : évaluer les résultats et le patrimoine :

q  contrôler l'activité‚ de l'entreprise
q  soutenir la gestion

Mais la comptabilité est aussi une source d'informations qui intéresse également les actionnaires qui suivent l'évolution de la firme.

Or, les investisseurs ont beaucoup de mal à identifier, mesurer et analyser les données sociales. Les entreprises rencontrent également des difficultés à communiquer une information pertinente dans le domaine des ressources humaines car il leur faut transformer des données qualitatives en données quantitatives.

Pour surmonter cette difficulté, de nombreux auteurs ont imaginé intégrer les ressources humaines dans les actifs de l'entreprise. C'est ainsi que dans les années 60 -70, Gary BECKER a développé la théorie de capital humain. L'être humain est considéré comme un actif ayant une valeur monétaire caractérisée par l'ensemble de ses aptitudes, ses connaissances et son savoir-faire. Comme tout capital, il doit faire l'objet d'un investissement et de dépenses d'entretien qui procurent des avantages aux entreprises qui l'emploient.

L'émergence de la comptabilité des ressources humaines renvoie au problème de la difficulté d'obtenir l'information financière et à celui des limites des états comptables en matière de prise de décisions. De façon plus générale, elle pose le problème de l'évaluation économique et financière des ressources humaines dont l'entreprise utilise le savoir faire et  les  connaissances pour créer de la valeur.
  
I – Vers un pilotage socio-économique des organisations

Le pilotage socio-économique des organisations pose le problème de la notion de capital humain (1) et des objectifs de la comptabilité‚ des ressources humaines (2).


- I - La notion de capital humain

L'art 911-1, al 1 du P.C.G 1999 définit l'actif comme "tout élément du patrimoine ayant une valeur‚ économique positive pour l'entité". Ainsi, les actifs sont des valeurs positives indifférentes au découpage du temps en période, conservés dans le patrimoine, convertibles, récupérables dans l'attente d'une affectation ultérieure sous forme de produits et de charges.

Cette définition a par la suite été modifiée. Une conception patrimoniale et juridique du bilan s'est imposée. Ainsi, les actifs sont considérés tels que les biens durables, les créances, les liquidités. Ils sont objet de propriété ou de créance et ils ont une valeur vénale : les actifs sont garants de la solvabilité‚ de l'entreprise car susceptibles de procurer un revenu par l'utilisation ou par la location.


A côté‚ de ces actifs qui ont une valeur vénale, ont été rajoutés des actifs fictifs entraînant une nouvelle conception économique du bilan : un actif est devenu un instrument de production durable qui procurera des recettes dans l'avenir par sa contribution à la production. Il n'a pas forcément une valeur vénale et n'est pas nécessairement objet de propriété.

Cette dernière définition de l'actif a permis de prendre en compte  le capital immatériel dont fait partie le capital humain. Ce dernier est défini par Gary BECKER, auteur de la théorie du capital humain, comme l'ensemble des capacités productives qu'un individu acquiert par accumulation de connaissances  générales ou spécifiques, de savoir-faire etc …


Malgré cette définition, le concept de capital humain demeure un concept pauvre difficilement interprétable car la notion de capital humain exprime l'idée que c'est un stock immatériel imputé à une personne pouvant être accumulé et s'user. Cette constatation est appuyée par le fait que le capital immatériel est défini comme étant "la détention d'un savoir d'une expérience concrète, d'une technologie d'organisation, de relations avec les clients et de compétences professionnelles qui confèrent un avantage compétitif sur le marché".

Cependant, la notion de capital immatériel n'inclut pas seulement la capacité cérébrale humaine, mais aussi les marques déposées et les actifs comptabilisés à leur coût d'acquisition  et qui sont valorisés avec le temps.
  

- II -  Les objectifs de la comptabilité des ressources humaines.

L'identification du capital humain dans la comptabilité des ressources humaines a pour  objectifs majeurs :

q  De fournir une information chiffrées concernant le coût et la valeur des individus en tant que ressources pour une organisation

q  Servir de cadre d'aide à la prise de décision, notamment en ce qui concerne le recrutement, la sélection, la formation du personnel : fournir un moyen d'évaluation des politiques de gestion des ressources humaines.

q  Inciter les employeurs à imaginer les salariés comme une ressource évaluable pouvant s'apprécier selon la manière dont elle est gérée.

Ainsi, les travaux relatifs à  la comptabilité des ressources humaines ont engendré diverses méthodes dans un contexte de management de l'investissement humain.


II – ACTIVATION DU CAPITAL HUMAIN : une origine ancienne (1960, 1970)

Il faut remonter aux années 60 pour trouver les premières tentatives développées pour intégrer les ressources humaines dans le bilan comptable. Dans les années 1970, le programme de recherche sur le Capital humain par T. Schultz et G. Becker a donné lieu à divers projets sur la comptabilité des ressources humaines ; plus précisément la reconnaissance de l’investissement humain comme un actif.


- I - Logique de l’activation comptable

On part d’un constat : l’information financière, les états comptables sur lesquels s’appuient les managers, les investisseurs, traduisent mal la valorisation du capital humain.


- A - Charge ou immobilisation ?

En référence aux principes comptables, et plus précisément à celui de l’indépendance des exercices, une question se pose tout naturellement encore aujourd’hui quant aux dépenses de personnel :
S’agit-il de 

Ø  Coûts propres à la période ?
Auquel cas les dépenses sont enregistrées en charges et n’apparaissent clairement qu’au compte de résultat.

Ou de 

Ø  Coûts d’investissement ?
Auquel cas il doit être fait état d’une immobilisation incorporelle portée à l’actif du bilan et sujette à amortissement.

Face à l’absence de définition précise de l’ancien PCG et du nouveau (1999), référons nous à la norme IAS 38 quant aux conditions d’activation des éléments incorporels :

ü L’élément doit générer des avantages économiques futurs qui profiteront probablement à l’entreprise (l’estimation doit reposer sur des données objectivement vérifiables).

ü  Le coût de cet actif doit être mesuré de façon fiable.

En remarque, lorsque l’immobilisation est générée en interne (« production immobilisée »), c’est surtout la phase de développement qui doit être immobilisée. L’entreprise doit démontrer « sa capacité technique à terminer l’actif pour permettre son usage interne ou sa commercialisation ; l’existence d’un marché pour les produits qui seront issus de l’incorporel ou pour l’incorporel lui-même, ou son utilité pour un usage interne et l’existence des ressources financières et techniques qui lui permettront d’achever le développement. »

La question de l’activation comptable est légitime lorsque l’on pense au coût de recrutement, de formation, d’apprentissage des tâches et d’organisation du travail. Ces dépenses engendrent des effets productifs sur plusieurs périodes (amortissement). Ces effets peuvent donc générer des avantages économiques futurs, et l’on peut tenter de mesurer le coût des diverses dépenses.

Afin d’illustrer ces propos, prenons l’exemple de la seule entreprise ayant présenté des documents de synthèse intégrant les ressources humaines au bilan : la R. G. Barry Corporation (1968,1969). Il s’agit d’une entreprise de taille moyenne dans l’Ohio à Colombus (USA) qui fabrique des chaussures.


- B - Une solution opérationnelle au management

De façon plus générale, la comptabilité des ressources humaines pose le problème de l’évaluation économique et financière des ressources humaines dont l’entreprise utilise le savoir-faire et les connaissances pour créer de la valeur.

Les travaux relatifs à la comptabilité des ressources humaines ont donc eu pour objectif d’apporter une solution opérationnelle à un certain nombre de problèmes de management tels que :

-          Le suivi du coût des investissements en ressources humaines dans une perspective d’évaluation des projets d’investissement et de calcul du retour sur investissement       ( R.O.I. ). Ce retour sur investissement est appréhendé de deux façons. D’une part en calculant le ROI interne à la DRH. Il s’agit ici de diminuer le ratio nombre de salariés RH / effectif total. Par exemple, l’investissement dans un progiciel RH est l’un des meilleurs moyens de diminuer ce ratio. Cependant, ce ratio est difficile à manipuler car les écarts se révèlent gigantesques dans ce domaine en fonction de l’organisation de l’entreprise et des méthodes de travail des salariés. De ce fait, il semble illusoire de penser qu’un progiciel permettra à toutes les entreprises d’atteindre le ratio affiché haut et fort par Cisco : « deux personnes pour gérer les notes de frais de 20 000 salariés ». D’autre part en calculant le ROI en terme d’opportunités business. Le ROI en termes d’opportunités pour l’entreprise demeure souvent intuitif dans les groupes français. C’est dans cette optique que la comptabilité des ressources humaines vient en aide au management car elle permet de se baser sur des éléments concrets et non plus sur l’intuition des managers.
-          L’explication du goodwill, les ressources humaines devant justifier une partie de cette survaleur. Le goodwill consiste à corriger la valeur patrimoniale d’une entreprise afin de tenir compte de la capacité bénéficiaire future de l’entreprise. La méthode consiste à calculer un superbénéfice annuel (rente de goodwill), à l’actualiser sur une durée à fixer. Ce superbénéfice est ensuite ajouté à la valeur patrimoniale pour avoir la valeur de l’entreprise. Cependant deux problèmes se posent. D’une part le choix de la durée d’actualisation. Il s’agit de la durée pendant laquelle  l’actif économique est susceptible de produire le superbénéfice. D’autre part, le choix du taux d’actualisation. En principe, on utilise le coût du capital majoré d’une prime, pour tenir compte du niveau de risque de l’entreprise. Cependant, dans cette formule on ne tient compte que de l’actif économique. De ce fait la comptabilité des ressources humaines, intégrant les ressources humaines dans l’actif de l’entreprise, permettrait d’évaluer l’entreprise telle qu’elle est réellement. Ainsi, la valeur d’une entreprise se verrait majorer ou minorée en fonction de la qualité de son personnel.
-          Le développement d’une gestion de personnel reposant sur des informations comptables analytiques, voire individuelles.

- II -  Méthodes d’évaluation

Bien que se référant étroitement au modèle comptable, les travaux relatifs à la comptabilité des ressources humaines ont suscité un large débat autour des concepts de coût et de valeur. Ils ont engendré différentes propositions d’utilisation, dans le contexte du management de l’investissement humain, de méthode d’évaluation qui reposent sur des logiques de nature différente.


- A -  Evaluation au coût historique

Cette méthode a été développée à l’origine par Brummet, Flamholtz et Pyle (1968). L’analyse du coût des ressources humaines en investissement, susceptible d’amortissement, et charges de période ne soulève pas de difficulté technique, dès lors que le système d’évaluation reste fondé sur le coût historique. Dans cette optique, c’est le coût réel d’obtention des ressources par l’entreprise qui fonde l’évaluation. Cette problématique classique nécessite la conception d’un réseau d’analyse des dépenses de personnel permettant la mise en œuvre, à un niveau suffisamment détaillé, de critères de rattachement à la période et à l’analyse en coûts directs et indirects. Cette méthode offre deux avantages. D’une part, elle ne rompt pas avec la logique globale d’enregistrement des investissements au coût historique. D’autre part, elle offre la possibilité de vérifier le calcul des données.
Dans cette approche deux types de coûts sont identifiés : Le coût de détection de la ressource et le coût d’entretien de celle-ci. Dans le coût d’entretien, la formation pose le problème de l’appropriation du savoir : le savoir est capitalisé par l’individu et lui confère donc un caractère inaliénable ou inappropriable mais il peut être admis que les comportements individuels ou collectifs vis-à-vis de la formation pendant la période précédent le travail et pendant l’activité pourraient correspondre à un investissement que consent le salarié et qu’il cherche lui-même à rentabiliser.
La reconnaissance de l’investissement en ressources humaines pose le problème fondamental de l’amortissement de cet investissement. Comme le souligne E. Marquès (1974), la durée de vie probable des investissements humains dépend de nombreux facteurs tels que la durée de vie des individus, l’état de leur santé, l’âge de la retraite, le climat social, la probabilité de rupture du contrat de travail, l’obsolescence des connaissances techniques. Deux voies ont été proposées pour mesurer cette durée de vie : l’une, de nature statistique, repose sur l’élaboration de courbes de carrière par catégorie de personnel à partir des données historiques ; l’autre, de nature comportementale, examine le jeu des variables conduisant un individu à quitter une entreprise afin d’en déduire une probabilité.

La Barry Corporation a choisi de publier ses comptes en respectant les normes légales pour intégrer l’élément humain, après identification de ses composantes et prise en compte d’un plan d’amortissement. Elle a considéré comme investissement toutes les dépenses liées au recrutement, à la formation et au perfectionnement interne et externe.



BILAN DE BARRY CORPORATION



ACTIF
Eléments financiers avec intégration des ressources humaines
Eléments financiers seuls
Valeurs immobilisées
Immobilisations nettes en ressources humaines
Valeur d’exploitation
Autres actifs
 70 000
 32 000
100 000
 50 000
 70 000

100 000
 50 000
Total
252 000
220 000
PASSIF


Capitaux propres et réserves
Capitalisation en ressources humaines
Impôt théorique sur capitalisation
Dettes dont impôt sur les sociétés
Bénéfice net
 80 000
 21 333
 10 667
120 000
 20 000
 80 000


120 000
 20 000
Total
252 000
220 000



COMPTE DE RESULTAT DE BARRY CORPORATION



Eléments
Avec prise en compte des ressources humaines
Sans prise en compte des ressources humaines
Chiffre d’affaires net
Coût de revient
530 000
440 000
530 000
480 000
Marge brute
90 000
50 000
Dotation aux amortissements
20 000
20 000
Bénéfice d’exploitation
70 000
30 000
Dotation aux amortissements des R. H.
Dotation pour impôt latent
8 000
10 667

Bénéfice avant impôt
51 333
30 000
Impôt
10 000
10 000
Bénéfice net après impôt
41 333
20 000


Les charges supportées par l’entreprise et correspondant à une valorisation des ressources humaines sont évaluées à 40 000. Leur durée d’amortissement est estimée à 5 ans, ce qui représente un amortissement de 8 000 par an.

L’immobilisation nette en ressources humaines tient compte d’un amortissement de 8 000 pour le premier exercice. L’importance relative du facteur humain est à prendre en considération dans cette entreprise puisque les actifs humains représentent environ le tiers des actifs immobilisés. Naturellement la capitalisation des ressources  humaines suppose un attachement des salariés à leur entreprise. Le traitement comptable décrit est analogue à un transfert de charges accompagné d’une inscription d’une valeur à l’actif.
La reconnaissance d’une partie des charges comme investissement net en ressources humaines se traduit mécaniquement, dans les états financiers présentés sous cette option, par un bénéfice d’exploitation plus élevé.

Si le bénéfice est majoré l’impôt reste le même du fait de la création d’une dotation pour impôt latent dont le principe est fiscalement retenu par hypothèse. Le montant de l’impôt est alors de ((70 000 – 8 000)* 1/3) – 10 667 = 10 000

Afin de respecter les contraintes réglementaires et les pratiques comptables ne permettant pas de publier des états financiers fondés sur le principe d’une reconnaissance des investissements en ressources humaines, Barry Corporation a dû procéder, dans ses rapports annuels de 1969 à 1973, à une double présentation du bilan et du compte de résultat.


B - L’évaluation au coût de remplacement

On s’attache ici à évaluer le potentiel humain au coût auquel s’exposerait l’entreprise si elle devait remplacer les ressources humaines existantes. Cette évaluation trouve son origine à partir des travaux d’Edwards et Bell (1961) mais ceux-ci ont dû être adaptés au contexte (Likert 1967, Flamholtz 1973). En effet, la méthode repose sur une estimation par rapport aux prix relatifs actuels. Mais en matière de gestion des hommes, le remplacement à l’identique n’a aucun sens, tant au plan individuel que collectif. On ne peut envisager d’appliquer la méthode à l’ensemble du personnel d’une entreprise, sous peine de faire courir un risque important de surévaluation sur la base de l’hypothèse absurde d’un remplacement de  tous les salariés. Toutefois, la méthode peut être pertinente pour estimer la valeur de quelques équipes clefs : vendeurs spécialisés, techniciens ou financiers pointus, par exemple. Il faudrait donc se baser sur le coût de recrutement, formation et développement des savoir-faire des collaborateurs qui ont une efficacité et une connaissance de l’organisation équivalente. Marquès (1974) nous amène donc à distinguer plusieurs types de remplacement :

·        Le remplacement en services présents équivalents.
Il convient pour un personnel non spécialisé et facilement substituable.

·        Le remplacement en services potentiels équivalents.

·        Le remplacement en services potentiels probables .
Ces deux derniers types sont adaptés pour des collaborateurs de niveau plus élevé.

Enfin, il ne faut pas omettre d’intégrer des coûts spécifiques directs et indirects propres à la substitution de personnel comme les coûts liés au départ du salarié, coûts de recherche et de mise en place d’un salarié assurant des services équivalents.


- C - Evaluation au coût d’opportunité

Les besoins et la rareté des ressources sont mis en relation, de sorte que la valeur des biens est ainsi établie. Les agents économiques effectuent donc des choix en essayant d’obtenir les biens qui leur sont personnellement les plus utiles, selon la rareté relative : ils cherchent la meilleure valeur. Ce choix implique un schéma de référence qui pondère les valeurs en détermine un ordre de priorité. Par exemple, il faut manger avant de profiter des loisirs sinon nous mourrons de faim et nous ne pouvons plus profiter des loisirs. Cependant on peut se demander qui fait le choix ? La personne qui a le pouvoir économique c’est-à-dire la personne qui contrôle les ressources rares d’une part et celle qui peut pondérer ses besoins d’autre part.
Pour un étudiant le bénéfice d’opportunité représente la différence entre son futur salaire de diplômé et le meilleur salaire qu’il aurait perçu avant de faire ses études. Il faut évidemment tenir compte aussi de l’intérêt de ce salaire non perçu.
L’opportunité peut donc se définir comme le résultat, le gain obtenu ou perdu suite à un choix économique. L’opportunité est positive quand nous considérons les avantages du choix effectué et négative dans le cas contraire.

Dans l’entreprise, dès qu’on se limite aux productions efficaces, on ne peut accroître la quantité d’un bien qu’en diminuant la quantité d’un autre bien. Cette diminution est inévitable alors que les ressources utilisées dans la production du second bien sont dorénavant consacrées à la production du bien désiré en plus grande quantité. Inversement si on diminue la quantité d’un bien, il faut augmenter le niveau de production d’un autre bien sinon des ressources seront gaspillées. De ce fait le coût d’opportunité d’un bien est la quantité de l’autre qu’il faut sacrifier pour obtenir une unité supplémentaire du premier bien. On peut mesurer le coût d’opportunité d’un bien en diminuant sa quantité. Alors son coût est la quantité de l’autre qu’on obtient.

En ce qui concerne les ressources humaines, le coût d’opportunité est défini comme la valeur des ressources humaines dans leur utilisation alternative la plus favorable. HEKIMIAN et JONES ont suggéré un système concurrentiel d’enchères au sein de l’entreprise où les responsables de division jouent le rôle d’acheteurs de personnel. L’enchère doit permettre de déterminer une situation d’équilibre qui représente le prix du groupe de personnes, assimilé à la valeur économique incorporable aux actifs de l’entreprise. La valorisation au coût d’opportunité suppose donc la mise en place d’un marché interne des ressources humaines, la valeur de chaque individu étant la résultante naturelle de la confrontation de l’offre et de la demande. La valeur du capital humain correspondrait à la somme des valeurs individuelles ayant fait l’objet d’une confrontation interne. Cette méthode fait référence à un prix du marché donc est très proche  de la méthode du coût de remplacement, l’apport résidant essentiellement dans la détermination de la valeur de chaque individu par un mécanisme d’évaluation interne. Selon une procédure d’appréciation interne des compétences et des disponibilités du marché, la valeur de l’individu est estimée et capitalisée.
  
- D - L’évaluation économique

En marge des principes comptables (principe de prudence notamment), B. Lev et A. Schwartz (1971) ont suggéré l’idée d’évaluer les ressources humaines à partir des dépenses de recrutement et de formation augmentées de la valeur actualisée des salaires que recevra un collaborateur pendant une période d’activité dans l’entreprise. Mais comment estimer les salaires futurs ?
Les salaires vont être évalués en fonction de divers catégories homogènes : qualification, âge et fonction. Des statistiques disponibles à l’échelon national et des tables de survie peuvent aider à l’estimation. L’actualisation est réalisée au coût du capital.
Lorsque l’entreprise évolue dans une situation de concurrence pure et parfaite alors le salaire versé correspond à la productivité effective marginale du salarié, c’est à dire à ce que celui-ci « rapporte » par son travail. Dans cette situation, les flux actualisés des revenus sont équivalents à ceux des salaires versés. Mais dans la réalité, l’entité est confrontée à un certain nombre de facteurs qui limitent cette situation. De plus, Friedman et Lev (1974) ont comparé les salaires probables actualisés aux salaires réels de la société. Chaque année, la différence constatée entre les deux reflète une économie de coûts (salaire réel < salaire probable actualisé), propre à la politique de rémunération mise en œuvre. Cette économie représente le retour sur investissement de l’investissement qui est ainsi valorisé.
Dans cette optique, il n’est prévu aucune évolution de carrière pour le salarié, Sadan et Auerbach (1974) ont donc proposé un modèle faisant appel aux chaînes de Markov pour déterminer une matrice des probabilités de transition afin d’estimer à terme l’évolution d’une population de base.
Enfin, les auteurs considèrent comme non pertinente la méthode de comptabilisation des actifs lorsque l’on traite les investissements en ressources humaines. Ils privilégient un enregistrement à l’actif et simultanément, en contrepartie, dans les dettes au bilan.

- III -   Influence sur la normalisation comptable et sur les états financiers actuels


- A - Le traitement comptable de l’immatériel

Les travaux relatifs à la prise en compte des ressources humaines dans le états financiers, en s’inscrivant dans une problématique de type charges contre immobilisations, ont préfiguré les réflexions actuelles sur le traitement comptable de l’immatériel.

Le Comité de l’Information Statistique (CNIS) définit l’investissement immatériel comme « une dépense qui, bien qu’inscrite en charge d’exploitation, développe la capacité de production et valorise l’entreprise en s’accumulant sous la forme d’un capital amortissable sur une production future en constituant une valeur patrimoniale cessible sur le marché ».

On considère comme investissement immatériel la recherche et développement, les fonctions commerciale et marketing, les ressources humaines, la formation, l’organisation et les systèmes d’information, les systèmes et les processus de production.

Des chercheurs comme BOISSELIER (1993), MARTORY et PIERRAT (1996) se sont interrogés sur le bien-fondé d’activer certains coûts de gestion des ressources humaines.
En principe les charges constatées lors d’un exercice constituent des charges de cet exercice et sont comptabilisées en tant que telles.

Leur constatation à l’actif n’est que facultative et s’agissant d’une dérogation au principe de prudence assortie le plus souvent de conditions, cette constatation constitue donc une décision de gestion. Dans tous les cas si les entreprises le souhaitent elles peuvent laisser ces frais en charges.

Si une entreprise décide d’inscrire à l’actif ces éléments immatériels, deux options s’offrent à elle.
Soit elle les enregistre en immobilisations incorporelles. Pour cela, ces éléments doivent cumulativement constituer une source régulière de profits, être dotés d’une pérennité suffisante et être cessibles.
Soit elle les enregistre en charges à répartir. Les charges à répartir sur plusieurs exercices comprennent :
-          Les frais d’acquisition des immobilisations
-          Les frais d’émission des emprunts
-          Les charges différées : Elles ne concernent que les charges dépensées dans le cadre  d’opérations spécifiques à venir ayant de sérieuses chances de rentabilité globale.
-          Les charges à étaler : représentent des charges importantes, non renouvelables que l’entreprise peut décider de répartir sur plusieurs exercices. Ne peuvent être valablement étalées que les charges ayant un caractère bénéfique durable pour l’entreprise.



Par exemple concevoir la formation comme un investissement immatériel suppose l’identification précise et l’isolement des dépenses. Dans les cas exceptionnels où une entreprise aurait effectué sur un exercice un effort particulièrement important de formation, l’ensemble de l’effort, et non pas seulement le montant supérieur à l’obligation légale, pourrait éventuellement être étalé s’il ne devait pas être répété les exercices suivants.

Les frais engagés lors de la mise en route d’un atelier, d’une usine ou d’un matériel tels que matières premières, frais généraux ou formation du personnel, sont rattachés à la production à venir et cela conduit donc à différer leur prise en charge effective pendant la période entre la fin de son installation (date d’arrêté du cumul des coûts d’entrée) et son utilisation à capacité normale, se rapportant à des productions déterminées à venir, si leur rentabilité durable est démontrée.

L’inscription des charges de personnel en charges à répartir est donc strictement réglementé et est assez rare. De plus on constate que les normes comptables nationales n’ont jamais intégré la comptabilisation des ressources humaines. A l’inverse, les principes issus de la normalisation internationale relative aux éléments incorporels peuvent trouver à s’appliquer dans certains cas particuliers d’actifs humains.



- B - Un exemple : les clubs sportifs

Nous pouvons trouver une influence relativement limitée du concept de capital humain dans le cas du référentiel comptable applicable aux clubs sportifs et plus précisément chez les joueurs professionnels.
En France, les clubs de football professionnel ont l’obligation de présenter des documents financiers visés par un commissaire aux comptes. Selon la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC 1995), les règles de comptabilisation des coûts liés aux joueurs distinguent :

Ø  Les coûts de mutation
C’est à dire les coûts de transfert liés à « l’acquisition » de joueurs professionnels par un club. Dans ce cas, deux traitements comptables sont identifiables selon les situations :

·        Enregistrement en charges d’exploitation avec étalement possible sur plusieurs exercices (charges à répartir).
Cette solution est privilégiée par les guides comptables des fédérations sportives de football, basket,
·        Enregistrement comme élément d’actif incorporel.
Cette solution est retenue par la CNCC uniquement dans le cas d’un apport de joueur avec présence d’un contrat susceptible de générer une valeur incorporelle.
Il faut savoir que cette pratique a largement été reconnue dans les clubs de football du Royaume-Uni, en particulier ceux côtés en bourse, jusqu’à l’arrêt Bosman. En effet, en 1995, la Cours de Justice des Communautés adoptait cet arrêt, par lequel, elle reconnaissait le caractère d’entreprise commerciale aux clubs sportifs et préconisait le principe de libre circulation des sportifs. Elle permettait donc l’organisation d’un marché unique des sportifs professionnels.

L'évolution des charges et des recettes des clubs de football de D1 (en KF)







87/88           (20 clubs)
%
97/98           (20 clubs)
%
Variation






Produits d'exploitation :





Matches de championnat
295 962
24
322 209
10
9%
Matches de coupe d'Europe
29 888
2
64 135
2
115%
Autres matches
40 362
3
33 987
1
-16%
Sponsors, publicités
167 768
14
433 847
14
159%
Subventions collectivités territoriales
212 608
17
250 328
8
18%

Droits TV


899 033
28

Indemnités de mutation reçue


780 519
25

Transfert de charges
497 383
40
290 929
9
318%
Autres produits


109 671
3

TOTAL
1 243 971
100
3 184 658
100
156%






Charges d'exploitation :





Achats marchandises et stock
81 375
7
101 083
3
127%
Services extérieurs


83 849
3

Frais de déplacement
58 990
5
146 509
4
148%
Frais d'organisation des matches
64 716
5
101 021
3
56%
Autres services extérieurs
100 203
8
285 249
9
185%
Impôts et taxes
32 671
3
140 650
4
331%
Charges de personnel
645 749
54
1 458 663
45
126%
Indemnités de mutation versées
140 976
12
446 827
14
217%

Amortissement indemnités de mutation


383 436
12

Autres charges
72 948
6
27 433
1
548%
Dotations amortissements et provisions


61 524
2

TOTAL
1 197 628
100
3 236 244
100
170%






Résultat d'exploitation
46 343

-51 586


Résultat comptable
-18 042

-59 890


















Source : La ligue nationale de football et le rapport Sastre (1989, p.68)

Ø  Les coûts de formation (cf III - A)

En se penchant sur le bilan d’un club de football professionnel, on se rend vite compte que l’actif devrait surtout comprendre des éléments immatériels, à savoir les investissements humains à l’origine des résultats du club. Or seules les indemnités versées pour le transfert des joueurs sous contrat avec d’autres équipes sont comptabilisées en charges à répartir puis étalées sur la durée du contrat. Il conviendrait plutôt de les enregistrer en immobilisations incorporelles sans réaliser de dotations, sauf pour constater un amoindrissement de leur valeur ou une impossibilité de revente avant le terme du contrat.
Cet « actif humain » est donc sous-évalué, d’autant plus que la valeur des joueurs peut considérablement augmenter et que ceux issus du centre de formation ou recrutés en fin de contrat ne sont pas valorisés. Le bilan ne donne donc pas une image fidèle du club, la valeur des joueurs n’est pas intégrée, la situation des comptes reflète une fragilité exagérée.

L’activation du capital humain a connu un intérêt beaucoup plus académique que pratique. En effet le monde des affaires et les professionnels de la comptabilité ne l’ont guère exploitée outre mesure. Néanmoins sans user d’un système aussi sophistiqué de comptabilisation tel celui de la Barry corporation, on suit toujours avec attention les coûts de recrutement, d’embauche et de formation.





III – Les problèmes de mise en place d’une comptabilisation des ressources humaines : les limites


L’intégration des ressources humaines dans les bilans comptables semble être soumise à quelques contraintes. Ces contraintes se matérialisent par des problèmes de définition des objectifs et d’évaluation.


- I - Problèmes de définition d’objectif

La comptabilisation des ressources humaines  a essayé de répondre à un besoin

-                      Le besoin exprimé

Les tentatives développées dans les années 60-70 avaient pour objet de mieux traiter dans les documents financiers : le coût d'acquisition, de maintien ou de perfectionnement du facteur travail.
Cependant, ces tentatives n’appréhendent que le coût d'une ressource particulière : le travail, et non cette ressource elle-même. Dès lors, la comptabilisation des ressources humaines semble s’inscrire dans un cadre conceptuel limité.



La comptabilisation des ressources humaines  a également essayé de fournir des instruments comptables et financiers concernant la gestion du personnel.

-          L’apport pour les gestionnaires

Selon G. Lecointre – la comptabilité des actifs humains (1975), l’intérêt limité de l’approche “ Comptabilisation des ressources humaines ” fondée sur le coût historique tient à ce que les états financiers élaborés n’apportent qu’une réponse partielle et réductrice aux besoins d’information des gestionnaires de l’entreprise et des tiers. “

En effet, la valeur économique des ressources humaines est moins révélée par leurs coûts que par leurs capacités ”.

L’inscription des actifs humains au bilan ne présente pas, de plus, d’intérêt en terme d’information dans la mesure où ces éléments peuvent aussi bien figurer dans les documents annexes, par exemple ceux destinés à informer les partenaires sociaux ou financiers.



- II - Problèmes de définition d’évaluation

La comptabilité des ressources humaines pose des problèmes de mise en place et d’évaluation. L’intérêt majeur des recherches et expériences menées dans ce domaine réside dans le fait qu’elles donnent naissance à des approches pluridisciplinaires (psychosociologie, économie, mathématiques, comptabilité)


-                      Les difficultés juridiques et fiscales

Les problèmes d’évaluation présentent avant tout des difficultés juridiques dans la mesure où les actifs humains au bilan ne répondent pas aux critères de patrimonialité, et fiscales, puisqu’elle pourrait être considéré comme une réévaluation libre génératrice d’une imposition.

L’évaluation commence toujours par un recueil d’information. Mais comme toute empreinte de subjectivité, elle comporte un élément décisionnel. L’élément de subjectivité peut intervenir de plusieurs façons. Ainsi, la reconstitution d’une équipe peut être estimé en fonction des coûts probables qu’il faudrait dégager ou bien en fonction du taux de dépréciation (donc le rythme de dépréciation d’un actif humain).

Si nous prenons l’exemple de Barry Corporation, l’amortissement correspond à la notion comptable la plus élémentaire de répartition des charges sur plusieurs périodes. Cela signifie que toute organisation qui souhaite suivre l’exemple de Barry Corporation doit choisir des durées d’amortissement qui correspondent à la durée de vie des actifs qu’elle a pris en compte : frais de recrutement, d’adaptation et de formation en fonction de l’obsolescence de cette formation.


-                      La notion de valeur du potentiel humain

L’évaluation est susceptible d’intéresser le chef d’entreprise, le personnel et les tiers apporteurs de capitaux ou éventuels acquéreurs. La compréhension de la notion de valeur du potentiel humain semble être intimement liée à la représentation que l’on a de l’entreprise et de ses finalités. Un contrôleur de gestion s’attachera aux méthodes fondées sur l’observation des coûts alors qu’un éventuel investisseur s’intéressera plutôt au potentiel global des équipes.


-                      Le contrôle de gestion de l’immatériel

Selon Gary Entwistle, professeur agrégé de comptabilité à l’Université de la Saskatchewan à Saskatoon, dans sa thèse de doctorat, intitulée R&D Disclosure in Knowledge Based Firms, en 1997, les normes comptables actuelles sont discriminatoires envers les entreprises basées sur la connaissance et celles qui font de la recherche et du développement.

En effet, traditionnellement, les éléments d'actif d'une entreprise (usine, matériel, baux, etc.) sont inscrits au bilan comme biens corporels. Toutefois, les entreprises du secteur de la haute technologie, en particulier dans les domaines des logiciels et d'Internet, ont très peu de biens corporels. La reconnaissance de l'importance croissante des biens incorporels dans le bilan est apparue dès lors que ces entreprises avaient des bénéfices plus élevés que ce que le bilan faisait prévoir.
Ainsi, la valeur du potentiel humain n’est qu’une partie de la valeur globale des éléments incorporels de l’entreprise. Le sujet ne se rapporte donc pas qu’aux ressources humaines.

Conclusion


En France, l'observation des pratiques comptables montre que peu d'entreprise ont recourt à l'activation de l'investissement en ressources humaines. En effet, le recours à la comptabilité des ressources humaines est une comptabilité sophistiquée que seule la Barry Corporation a su mettre en oeuvre. Cependant, beaucoup d'entreprises sans mettre en oeuvre cette comptabilité, suivent avec attention les coûts de recrutement, d'embauche et de formation.


Une évidence s'impose : la dimension humaine est le fondement et le moteur de l'entreprise. Les structures, les systèmes ne génèrent rien par eux-même. Seul l'humain donne vie et futur à l'entreprise. Or, cette évidence est à l'opposé de ce que les outils de mesure reflètent.

On peut ainsi conclure qu'il n'existe pas de méthode simple pour mesurer la valeur de ce qui se passe dans les têtes et  les cœurs des dirigeants et des employés.

BIBLIOGRAPHIE


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